Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 26 mai 2023
Logement

La crise du logement s'aggrave et « le gouvernement regarde ailleurs », alertent les associations d'élus

Critiquant l'action du gouvernement en matière de logement, les élus locaux s'alarment de l'aggravation à venir de la crise et demandent un soutien financier pérenne aux maires bâtisseurs. Entre autres propositions.

Par A.W.

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Les représentants des communes et des intercommunalités partagent « une très forte inquiétude par rapport à la crise dans laquelle le pays s’enfonce jour après jour ». C’est l’alerte, lancée hier, devant la presse, par la secrétaire générale de France Urbaine, Nathalie Appéré, accompagnée par les représentants de l’AMF, l’APVF, des Intercommunalités de France et de l’Amif. « Cette crise s’aggrave, et il y a la perception que le gouvernement regarde ailleurs », s’étonne celle qui est aussi maire de Rennes. 

Alors que la présentation des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement a été reportée de manière « incompréhensible »  au 5 juin, les élus locaux s’agacent de ce « mauvais signal envoyé ». « Nous ne comptons plus les groupes de travail auxquels nous avons participé »  et les propositions qui ont été formulées, mais « les décisions ne viennent pas et sont perpétuellement ajournées ». Pourtant, il y a « urgence », assure Nathalie Appéré.

« Le paroxysme de la crise est devant nous » 

« A chaque jour qui passe et à chaque report, les conséquences sont extrêmement concrètes [que ce soit] sur le quotidien de nos habitants [ou sur] nos territoires ». Faute d’accès à un logement, « des jeunes refusent des formations », « des femmes victimes de violence qui ne peuvent pas quitter leur conjoint », quand d’autres « renoncent à un emploi », constate l'élue, en rappelant que « la France compte 4 millions de mal-logés, 12 millions d’habitants fragilisés par rapport au logement »  et « des inégalités d'accès qui grandissent dans un contexte d'inflation ».

L’engorgement est « à tous les niveaux » : la construction est en « net recul », les « taux d’intérêts sont très haut », les délais d’attente en logement social « explosent », « les prix se renchérissent »  et la difficulté à trouver des logements, notamment à prix abordables, devient la règle. 

« Tous les maillons de la chaîne sont totalement enrayés […] et on nous dit que nous serions frileux, que nous gèlerions les permis de construire pour pouvoir être réélus ». « Faire porter le chapeau aux maires, c’est quand même sacrément gonflé », se crispe la maire de Rennes, en réaction visiblement aux propos du chef de l’Etat, au début du mois, qui estimait que « des maires, mis à la tête de grandes métropoles, ne veulent plus construire ».

Dans les faits, cette crise du logement est « globale », insiste, de son côté, le vice-président de l’Association des petites villes de France (APVF), Romain Colas. « Elle concerne l’ensemble de la France et des échelons de collectivités, mais [elle] se vit de manière contrastée. Dans les zones périurbaines, on a une tension formidable avec une offre qui ne suit pas la demande, et dans les zones rurales, à l’inverse, les centres-bourgs anciens qui, faute de requalification et d’investissements suffisants, se trouvent dans des situations de vacance des logements et de vacance commerciale », détaille le maire de Boussy-Saint-Antoine (Essonne).  

La situation est d’autant plus inquiétante que « le paroxysme »  de la crise serait plutôt « devant nous », estime Thierry Repentin, le secrétaire général adjoint de l’AMF et maire de Chambéry. « Les problématiques tendues - voire catastrophiques selon les territoires - vont aller en s’aggravant », abonde Jean-Philippe Dugoin-Clément, premier vice-président de l’Association des maires d’Île-de-France (Amif), pour qui « l’effondrement des permis de construire des années 2020, 2021, 2022 et 2023, on va les sentir en 2025, 2026, 2027 et 2028. Et on ne récupèrera pas rapidement le retard pris ».

Soutien aux maires bâtisseurs

En cause notamment, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Ce « péché originel »  a entraîné « des effets pervers »  sur les politiques du logement : « Aujourd’hui, accueillir du logement sur le territoire de sa commune, et singulièrement du logement social, ça veut dire assumer une charge nouvelle nette puisqu’il n’y a plus les recettes qui vont en face de la production de logements », rappelle Romain Colas, qui note que ce n’est « pas de nature à inciter les élus locaux parce que cela signifie financer les services publics pour les populations nouvelles ». Donc de nouvelles dépenses, sans nouvelles recettes. 

« On ne reviendra pas sur la taxe d'habitation. C'était une martingale électorale mais une faute majeure de gestion urbaine et politique », se désole aussi Jean-Philippe Dugoin-Clément, qui plaide pour l’instauration « d’une recette pérenne entre l’arrivée de nouveaux habitants, l’acte de construire, et les recettes, les budgets des communes »  et « pas juste un "one shot», une aide ponctuelle. « Il faut un dispositif pour toutes les communes, qui tient compte des spécificités de chacune, qui soutient le logement social et est versé rapidement », explique-t-il.

Les élus veulent ainsi que les « maires bâtisseurs »  soient davantage soutenus avec, par exemple, une augmentation du fonds pour la réhabilitation des friches, car, « quand on construit, il faut être courageux, on prend un risque budgétaire et politique ».

Pour Thierry Repentin, « il faut mettre en place un nouveau modèle économique »  et « réformer un certain nombre de fiscalité pour redistribuer la valeur vers les communes et leurs groupements ». A ses yeux, certaines recettes pourraient être partagées différemment : « Les droits de mutation, par exemple, se font aujourd’hui à partir des dynamiques communales et intercommunales. Or, les communes et les intercos sont très peu destinatrices de ces fameux droits de mutation », juge-t-il, en proposant également d’expérimenter des outils à la manière de l'encadrement des loyers, avec notamment un « encadrement des prix du foncier ». « Tout est dans les propositions du CNR, il s’agit de les prioriser et de mettre les moyens ! ».

L’autre mesure qui percute le développement du logement, c’est le Zéro artificialisation nette (Zan) qui, « s’il n’y a pas de mesures prises, pourrait aggraver cette situation ». Les élus pointent ainsi la difficulté de construire en artificialisant le moins de sols possibles. « Le Zan va créer des injonctions paradoxales », assure le vice-président de l’APVF, en soulignant que « 75 % des maires considèrent que les nouvelles obligations vont avoir un effet à la baisse sur la production de logements et un tiers des maires déclarent avoir revu à la baisse leurs objectifs de production de logements ».

Zones touristiques : « Une plus grande autonomie » 

Pour enrayer la crise, les élus locaux pointent un autre « énorme enjeu »  qui se situe « dans les zones touristiques ». Romain Colas réclame ainsi une « plus grande autonomie à donner aux maires sur l'arbitrage entre politique du tourisme et politique du logement. C'est valable en Bretagne comme dans bien d'autres coins du pays ». 

« Les habitants sont chassés par le développement d'Airbnb et d'autres plateformes de location et donc, on ne trouve plus à se loger », observe-t-il. Un phénomène qui peut d’ailleurs être « renforcé et accéléré »  du fait des mesures sur les passoires énergétiques (dont l'interdiction de leur mise en location), selon Jean-Philippe Dugoin-Clément. « Il faut donner de la souplesse sur la taxe sur les logements vacants et sur la taxe sur les résidences secondaires », affirme ainsi Thierry Repentin.

A l'approche de la présentation des conclusions du CNR Logement, la pression continue donc de monter sur l’exécutif puisque la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) a également annoncé, hier, attendre « avec impatience »  des mesures pour relancer leur activité - qui a poursuivi sa dégringolade au premier trimestre - selon son président Pascal Boulanger. 
 

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