Maire-info
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Édition du mercredi 11 juin 2025
Transparence de la vie publique

La Cour des comptes critique le recours croissant des collectivités aux cabinets de conseil

Un recours qui serait « insuffisamment motivé » et mal piloté, estiment les magistrats financiers qui notent, toutefois, que « l'influence de prestataires dans la définition de politiques publiques n'a pas été relevée ». Contrairement à ce qu'avait observé le Sénat, en 2022, pour l'État.

Par A.W.

Le recours aux cabinets de conseil privés par les collectivités locales a enregistré « une croissance significative »  ces dernières années, alors même que leur utilité reste « le plus souvent faiblement justifiée ». C’est ce que constate la Cour des comptes, dans un rapport publié hier.

Réalisée dans le cadre d’une proposition citoyenne, cette enquête porte sur 15 collectivités réparties dans les régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nouvelle-Aquitaine ainsi que le Pays de la Polynésie française. Elle porte aussi bien sur les régions, départements, que sur les communes et les intercommunalités et concerne au total 10 millions d'habitants.

Une demande en hausse de 20 %

La Cour des comptes constate, d’abord, une demande croissante de prestations de conseil privées, bien que les collectivités disposent, selon les magistrats financiers, de ressources internes disponibles.

Si les prestations intellectuelles commandées par les collectivités contrôlées n’ont représenté qu’une « part relativement modeste »  de leurs dépenses (environ 1 %), elles ont représenté 195 millions d’euros, en valeur absolue, entre 2019 et 2023, pour les 15 collectivités métropolitaines. 

Une tendance qui est « à la hausse »  avec « une croissance significative de l’ordre de 20 % », constatent les magistrats financiers qui rappellent toutefois que la proportion est « bien moindre que celle constatée pour l’État ».

Pour justifier leur recours à ces cabinets, les collectivités évoquent ainsi « la réalisation de certaines études prescrites par les textes, le défaut d’expertise en interne, un surcroît temporaire d’activité, ou encore le besoin d’un regard extérieur ».

Des recours « peu étayés » 

Des raisons que les magistrats financiers jugent « peu étayées »  dans leur « grande majorité ». Dans plusieurs situations, les collectivités n’ont ainsi « pas démontré »  que « les ressources disponibles en interne – ou au sein de leurs satellites ou d’autres organismes publics présents sur leur territoire – n’étaient pas en capacité de répondre à la commande ».

Résultat, « dans bon nombre de situations, des tâches relevant de missions permanentes des collectivités, et pour lesquelles elles disposaient pourtant de services structurés, ont été externalisées », déplore la Cour. 

Et celle-ci de citer le fait de confier à un cabinet extérieur la mesure annuelle du taux de fraude dans les transports en commun, d’externaliser « l’élaboration, l’évaluation ou le renouvellement de plusieurs schémas dans le champ social »  ou encore de recourir à des experts pour des missions de conseil stratégique en communication alors que « la direction de la communication de la collectivité compte 67 agents ». Il est à noter que France urbaine, dans une réponse à la Cour, émet des réserves sur ces arguments : « La seule mise en regard du recours à des prestations de conseil avec le nombre total d’agents de catégorie A de la collectivité ou encore avec la vocation de son territoire dans le domaine de la prestation – le tourisme en l’occurrence et le fait d’avoir accueilli une manifestation de rayonnement européen – ne sauraient constituer une démonstration rigoureuse du fait que le recours à un prestataire était injustifié. En effet, comme le rapport le rappelle, certains recours peuvent notamment être justifiés par « le besoin d’un regard extérieur »  à la collectivité voire au territoire. » 

La Cour pointe aussi des « situations d’abonnement »  avec la pérennisation « d’année en année »  du recours aux mêmes consultants, pour des expertises relevant notamment de la gestion de la dette et de la trésorerie, mais aussi des ressources humaines. Des situations qui exposent les collectivités à « un risque de dessaisissement des services sur leurs fonctions d’expertise technique et de pilotage », préviennent d’ailleurs les magistrats financiers.

Il faut toutefois noter qu"une importante proportion des recours aux cabinets de conseil relève de la rédaction des rapports légalement obligatoires, comme le rapport annuel sur l'environnement ou sur l'urbanisme. « Internaliser »  la rédaction de ces rapports, comme le préconise la Cour des comptes, paraît difficilement imaginable pour de nombreuses collectivités qui n'en ont pas les moyens humains, rappelle-t-on ce matin à l'AMF. 

Mieux évaluer l’utilité des prestations 

Dans « un contexte de recherche d’économies face aux enjeux de redressement des comptes publics », ce type de dépenses offrirait des « opportunités d’arbitrage »  entre « internalisation et externalisation de prestations », fait ainsi remarquer la Cour. Une recommandation qui tombe au meilleur moment pour l’exécutif qui a déjà annoncé vouloir faire participer l’an prochain les collectivités au redressement des comptes publics, notamment dans sa recherche de quelque 40 milliards d’économies dès 2026.

Cependant, la tâche s’avère délicate « en l’absence de vision globale et exhaustive des prestations commandées »  et d’un cadre comptable autorisant « des imputations très hétérogènes ». La Cour pointe aussi une « organisation interne, quasi systématiquement décentralisée »  qui permet aux services « d’agir de manière autonome, le plus souvent sans validation au plus haut niveau des prestations commandées ».

Et « si les règles de publicité et de mise en concurrence ont été globalement respectées lors de la passation des marchés de prestations intellectuelles, dans la grande majorité des cas, le besoin n’était pas clairement justifié, ni défini », note la Cour qui rappelle aussi que « l’expression préalable des besoins est lacunaire et la mise en concurrence peu intense »  et doit être « renforcée ».

Certaines collectivités n’ont ainsi pas, systématiquement, mis en concurrence les prestataires, ou ont tendance à la « surreprésentation des entreprises locales », quand d’autres privilégient « les offres des prestataires en place, présents depuis plusieurs années, […] au motif, notamment, que la qualité de leur travail avait apporté pleine satisfaction à ces collectivités ».

En outre, « elles déclarent être satisfaites de leur qualité, les collectivités procèdent rarement à une évaluation formalisée des prestations réalisées, ce qui ne permet pas d’apporter objectivement la preuve de l’utilité de ces prestations ».

Une proposition de loi en suspens

Cependant, les magistrats financiers reconnaissent que « l’influence de prestataires dans la définition de politiques publiques n’a pas été relevée », contrairement à ce qu’avait observé le Sénat, en 2022, pour l’État et qui avait conduit à une polémique en pleine campagne pour l’élection présidentielle.

Les sénateurs avaient, en effet, révélé l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, et notamment les « manquements »  et le « manque de transparence »  dans les administrations centrales. Alors que l'État avait dépensé plus d'un milliard d'euros l'année précédente en prestations de cabinets de conseil. Un « phénomène tentaculaire », selon les termes du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le sujet qui réclamait la « maîtrise »  de ces dépenses. 

À la suite de ces révélations, les sénateurs avaient fait adopter, en octobre 2022, une proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

Après avoir tardé à inscrire ce texte à l'ordre du jour de l’Assemblée (en début d’année 2024), les députés avaient décidé de faire entrer les collectivités dans son champ, au grand dam des associations d’élus et alors même que les députés avaient reconnu qu’« aucune dérive réelle [des collectivités] n'ait été constatée en matière de recours aux prestations de conseil ». Lors de la navette parlementaire, en deuxième lecture, le Sénat les en avait toutefois à nouveau exclues.

Reste que, depuis l’an passé, l’examen du texte est interrompu, celui-ci attendant désormais d’être examiné en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, où les députés pourraient y réintégrer les collectivités. 

Juste avant la dissolution de cette dernière, les sénateurs avaient d'ailleurs poussé le gouvernement à ce que le texte arrive plus vite à la chambre basse que lors de la première lecture. « Voilà deux ans que nous examinons ce texte, il est temps d’atterrir », s’impatientait ainsi à l’époque Michel Masset (RDSE), tandis que le sénateur communiste Éric Bocquet dénonçait « la machine gouvernementale a sapé le travail parlementaire ».

Consulter le rapport.
 

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