L'aménagement du territoire, meilleur rempart face au dérèglement climatique
Par Caroline Reinhart
Après le déni et la sidération, place aux solutions ! Lors du forum dédié à la préparation des communes aux « prochains évènements climatiques » ce 19 novembre, de nombreux élus ont pu faire état de leur vécu face à des catastrophes qui ne feront que se répéter et s’amplifier.
Des retours d’expérience cruciaux : aucun territoire ne sera épargné. Selon le ministère de la Transition énergétique, deux communes sur trois sont exposées à au moins un risque naturel, concernant ainsi 6 Français sur 10. Quant au coût de l’inaction, il est désormais connu : la dernière étude de la fédération française de l’assurance estime que le montant des sinistres dus aux évènements naturels pourrait atteindre 143 milliards d’euros entre 2020 et 2050 – soit une augmentation de 93% par rapport à la période 1989- 2019.
« Le changement climatique n’est pas une opinion, c’est un fait scientifique. Plus aucun territoire n’est à l’abri d’événements extrêmes. Les maires doivent donc se préparer à l’improbable et l’impensable ». D’emblée, le cadre est posé par Eric Menassi, maire de Trèbes (11), président de l’association des maires de l’Aude, co-président du groupe de travail Prévention des risques et gestion des crises de l’AMF.
Pour le maire de Mandelieu-la-Napoule (06) Sébastien Leroy – l’autre co-président du groupe de travail créé par le président de l’AMF, David Lisnard, en 2022 –, « ces évènements sont imprévisibles, irrésistibles, mais pas ingérables ». En première ligne, les maires doivent donc se préparer. « Des villes jamais inondées le seront, des communes sans passif d’incendie en connaîtront. Et si chaque territoire a sa solution propre, seules la maîtrise, la préparation et l’anticipation peuvent fonctionner. », a-t-il ainsi martelé.
Mieux vaut prévenir
Les témoignages d’élus qui se sont succédé ont démontré l’extrême diversité des territoires, et la nécessité de trouver une réponse adaptée à chacun d’entre eux. Ainsi, Claire Masson, maire d’Auray (56) a évoqué le cas de sa commune, confrontée aux tempêtes (Ciara en 2023), aux inondations et aux risques littoraux, qui a dû mettre en œuvre une large palette d’actions d’adaptation. Un audit complet des arbres après les chutes liées aux vents a été réalisé, tout comme des tests réguliers du PCS avec les pompiers. Autres actions engagées : des diagnostics Gemapi sur le cours d’eau de la commune, des actions de désimperméabilisation des sols, mais aussi, la réouverture du bocage. Par ailleurs, la commune a fait inscrire dans son PLU un coefficient de biotope qui impose de ne pas bitumer ou imperméabiliser plus de 50% de la parcelle. Au-delà, des mesures compensatoires de végétalisation doivent être prévues. Les parkings sont désormais non bitumés, et une gestion alternative des eaux pluviales dans les rues est en cours de réalisation. Soutenues par la population, ces actions se heurtent néanmoins au mur du financement : les aménagements résilients coûtent souvent beaucoup plus cher, et les aides publiques ne suivent pas toujours (agences de l’eau, intercommunalité).
De son côté, Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison (92), président de la métropole du Grand Paris et de l’EPTB Seine Grands Lacs, a évoqué les inondations majeures ayant récemment touché l’Île-de-France, rappelant le rôle crucial de la prévention face à un risque comparable à la crue de 1910. Malgré des infrastructures insuffisantes – 4 lacs réservoirs (830 millions de m³) – un travail de concertation avec les agriculteurs et les élus de l’amont ont permis de lancer le casier pilote de la Bassée (165 M€, 10 millions de m³), un « combat de titan » ; des paiements pour services environnementaux (PSE), qui permettent d’associer les agriculteurs aux travaux ; la multiplication des zones d’expansion des crues (de 6 à 345 projets en 3 ans). Clé de ces avancées, la solidarité financière de l’aval vers l’amont, rendue possible par la taxe Gemapi (5,4 €/habitant/an). En ce sens, Patrick Ollier appelle à une évolution législative pour pérenniser la coopération entre la métropole et son EPTB, dénonçant au passage l’uniformité des lois nationales qui ne tiennent pas compte des spécificités locales.
Portant ici la voix des outre-mers, Christian Rapha, maire de Saint-Pierre (La Martinique) commune située au pied de la montagne Pelée – volcan responsable de 28 000 morts en 1902– a rappelé combien le risque volcanique est encore mal connu et sous-estimé en France. Dénonçant comme trop anxiogène la publication chaque semaine des chiffres des micro-séismes, le maire de la « commune la plus dangereuse de France » appelle à renforcer les moyens des observatoires volcanologiques, développer une culture du risque, mais aussi, assurer des plans de continuité d’activité, une crise volcanique pouvant durer des mois ou des années.
Le foncier, clé de l’action
Edmond Jorda, maire de Sainte-Marie-La-Mer (66) et président de l’association des maires des Pyrénées-Orientales décrit une situation climatique critique dans son département, marqué par trois années de sécheresse structurelle qui transforment durablement le territoire (nappes qui s’assèchent, barrage à l’arrêt, milieux aquatiques détruits, biodiversité en recul et multiplication d’incendies même « en plein hiver » ).
Face à cette situation, l’enjeu majeur reste la préservation du foncier, et ainsi, « la lutte contre la cabanisation, facteur aggravant du risque d’incendie ». « Le foncier est la mère de toutes les batailles » , résume le maire pyrénéen, rappelant que la commune de Saint-André a dû zoner massivement les terrains en zone forestière et agir avec l’EPF et l’ONF pour reprendre la main sur l’urbanisation sauvage.
Ici, la réponse territoriale repose sur la réutilisation des eaux usées pour l’agriculture et la lutte incendie ; le renforcement des réserves d’eau via d’anciennes caves coopératives ; le développement de réserves communales de sécurité civile ; la mobilisation des acteurs agricoles, notamment la vigne et le pastoralisme. Enfin, le territoire mise sur la solidarité locale et la mobilisation citoyenne pour adapter les pratiques et réduire les risques. Objectif : « ne pas être les cobayes du changement climatique, mais être pilotes dans les solutions ».
Des territoires divers aux solutions propres, mais avec un rempart commun : porter un projet d’aménagement du territoire. Grand témoin des débats, Magali Reghezza-Zit, géographe, experte des risques naturels, ancienne membre du Haut Conseil pour le climat, a ainsi rappelé la nécessité, pour tous, de s’atteler enfin au sujet. « Quel que soit le bord politique, tous les élus locaux font face à une même communauté de destins. (…) Même quand vous pensez ne pas être concerné, vous l’êtes. La canicule 2022 sera un été normal en 2050 et un été froid en 2100. On a 25 ans, soit le temps d’un cycle d’aménagement, pour accompagner ce déplacement. »
Pour la géographe, l’adaptation passe par une réflexion sur la notion d’habitabilité, et par une révision profonde des usages du foncier. Analyse partagée par Eric Menassi, pour qui « l’aménagement du territoire sera l’enjeu n°1 pour la résilience future » . De son côté, Sébastien Leroy a rappelé l’inadaptation de la réglementation – complexe, parfois contradictoire – à la gestion de crise, tout en vilipendant la multiplicité des interlocuteurs, provoquant blocages en chaine et lenteurs procédurables. Autre sujet récurrent dénoncé, là encore, par le co-président du groupe de travail de l’AMF : les transferts de responsabilités de l’État au bloc communal sans moyens associés, le maire restant le seul responsable devant la population et la justice. Pour Magali Reghezza-Zit, « les normes environnementales ne sont pas des obstacles : ce sont les règles du jeu. Il faut arrêter d’opposer local et national, et remettre la politique, au sens noble, au cœur de la stratégie. Il n’est pas trop tard ! »
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