Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 20 décembre 2023
Gouvernement

L'adoption de la loi immigration aggrave encore la crise politique

Après la large adoption par l'Assemblée nationale du projet de loi immigration et intégration, hier soir, la seule conséquence concrète à cette heure est la démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. Mais cette séquence laissera des traces, même si l'exécutif s'efforce de déminer. 

Par Franck Lemarc

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© Ass. nationale

« J’ai le sentiment du devoir accompli. (….) Il n’y a pas de crise de la majorité ». Élisabeth Borne, ce matin sur France inter, a voulu jouer l’apaisement. Mais au bout de plusieurs semaines d’extrême tension politique, l’adoption d’un texte qu’Olivier Marleix, président du groupe LR à l’Assemblée nationale, n’a pas hésité à qualifier hier soir dans l’Hémicycle de « texte des LR »  et que la patronne du RN a désigné comme « une victoire idéologique »  va, fatalement, redistribuer les cartes. 

Le « piège » 

Les heures qui ont précédé le vote de l’Assemblée nationale ont été marquées par de multiples annonces et coups de pression. La réunion de la CMP elle-même s’est déroulée d’une façon assez inhabituelle, sous la surveillance constante du président Macron qui, selon des sources élyséennes, en a suivi les travaux « article par article ». 

Puis est venue la fumée blanche de la CMP et l’annonce d’un compromis trouvé, et le coup politique de Marine Le Pen : à rebours des déclarations de tous les ténors de son parti, elle a annoncé que les députés RN voteraient ce texte à l’Assemblée nationale – alors que le président du parti, Jordan Bardella venait d’affirmer le contraire. « Le dernier ressort du piège posé par le Rassemblement national se referme sur nous », constatait, amer, le député Renaissance de Paris Gilles Le Gendre : ce texte, impulsé et voulu par le président de la République depuis le début de son second mandat, trouvait le plein soutien du parti de l’adversaire d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron qui déclarait, au soir du second tour, le 24 avril 2022 : « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite. Je veux (…) leur dire que j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir. » 

Parade

Pour tenter de sortir de ce piège, le chef de l’État a dégainé, quelques minutes avant le vote, une arme originale : il a fait savoir que si le texte était adopté grâce aux voix du Rassemblement national, il n’accepterait pas le résultat et demanderait alors une « nouvelle délibération ». Il s’agit d’un droit constitutionnel : l’article 10 de la Constitution dispose qu’un texte adopté définitivement par le Parlement doit être promulgué par le chef de l’État sous quinze jours, sauf s’il demande, « avant l’expiration de ce délai, une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ces articles ». La Constitution précise que « cette nouvelle délibération ne peut être refusée ». 

Mais faire usage de cette disposition au seul motif qu’un texte a été adopté grâce aux voix d’un groupe politique paraissait plus que risqué. Certains ténors de la droite, comme François-Xavier Bellamy, déclaraient hier soir que si le chef de l’État prenait cette décision, ils ouvriraient une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme. 

Cela ne sera finalement pas nécessaire. Le décompte des votes à l’Assemblée nationale permet en effet au gouvernement de dire que le texte a été adopté « sans les voix du Rassemblement national ». 

Le texte a recueilli 349 voix pour et 186 contre, tandis que 38 députés se sont abstenus. Même en retirant les 88 voix du Rassemblement national, le texte aurait donc encore obtenu 261 voix pour, et aurait donc été largement adopté. 

Les 62 députés LR ont voté pour le texte, et la totalité des députés Nupes (PCF, LFI, PS et écologistes) ont voté contre. 

C’est au sein des groupes liés au gouvernement que des fractures sont, en revanche, apparues. Au sein du groupe Renaissance, 20 députés ont voté contre le texte (dont le président de la commission des lois, Sacha Houlié) et 17 se sont abstenus ; au MoDem, 5 voix contre et 15 abstentions ; dans le groupe Horizons, 2 voix contre. Soit un total de 59 députés de la majorité qui n’ont pas accepté de voter le texte. 

Il paraît donc assez hardi de la part de la Première ministre de déclarer qu’il n’y a pas de « crise de la majorité ». D’autant plus lorsque l’on entend, ce matin, la présidente de l’Assemblée nationale elle-même, Yaël Braun-Pivet, déclarer – même si elle a voté pour le texte – que certains aspects de celui-ci la « gênent terriblement ». Ce matin, un premier député de la majorité, Jean-Charles Larsonneur (Horizons) a annoncé qu’il quittait son groupe, déclarant que « (sa) colonne vertébrale n’a pas changé depuis 2017 ». Il reste à voir si cette décision en appellera d’autres. 

Ministres vrais-faux démissionnaires

Autre coup de pression mis dans la soirée d’hier : celui de plusieurs ministres venus de la gauche, dont la presse a rapporté leur intention de démissionner si le texte était adopté. Parmi eux, le ministre des Transports (Clément Beaune), de la Santé (Aurélien Rousseau), de la Culture (Rima Abdul Malak) ou encore du Logement (Patrice Vergriete). Cette annonce n’a pas eu le moindre effet sur la Première ministre, qui n’a pas modifié pour autant ses consignes de vote au groupe Renaissance. 

Le seul à avoir mis sa menace à exécution, à cette heure, est Aurélien Rousseau, qui a remis une lettre de démission à la Première ministre, indiquant à la presse : « [Ce texte] touche aux murs porteurs. Je ne donne de leçons (…) à personne. Je constate cliniquement que ce n’est pas possible pour moi d’expliquer ce texte. »  La démission du ministre de la Santé a été actée ce matin, et il a été remplacé, « par interim », par Agnès Firmin-Le Bodo. Quant aux autres membres du gouvernement qui auraient menacé de démissionner si le texte était adopté, ils font preuve, à l’heure où nous écrivons, d’un silence prudent. 

Les contrecoups de cette séquence – entre tensions au sein même du gouvernement et dans la majorité et déplacement du centre de gravité à l’Assemblée nationale vers le Rassemblement national – se feront immanquablement sentir dans les semaines et les mois qui viennent. D’autant que le gouvernement a accepté de relancer la machine dès la rentrée, avec la présentation promise d’un texte sur l’aide médicale d’État qui provoquera les mêmes débats. 

Cet épisode a montré une fois de plus l'extrême difficulté qu'il y a à gouvernener sans majorité absolue à l'Assemblée nationale. Dès lors que la motion de rejet a été votée la semaine dernière, il n'existait plus de bonne solution pour le gouvernement, qui avait le choix entre un abandon pur et simple du texte – démontrant alors son impuissance – ou une CMP où la majorité se trouvait obligée de beaucoup céder à l'opposition de droite. Les LR, pourtant très minoritaires à l'Assemblée, ont ainsi pu forcer la majorité à venir sur leurs positions. 

Il reste à savoir ce que l'opinion retiendra de cette séquence. Si le gouvernement, comme la droite et le RN, ont beaucoup argué pendant les débats de ce que ces mesures de durcissement étaient « très attendues des Français », il faudra attendre les futures enquêtes d'opinion, maintenant que le texte est adopté, pour connaître le sentiment de ces derniers. 

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