Gérald Darmanin propose de passer les peines encourues de 200 à 4 et de supprimer le sursis
Par Franck Lemarc
« Délais trop longs, peines mal exécutées, complexité généralisée. » Voici, résumés par Gérald Darmanin, les principaux « maux de la Justice » qui aboutissent, explique-t-il dans ce courrier adressé aux magistrats et aux agents, à ce que « 70 % des Français considèrent que la Justice fonctionne mal ». Pour s’attaquer à ces maux, le garde des Sceaux, disant s’inspirer des retours de terrain et des rapports qui lui ont récemment été remis, souhaite « remettre du bon sens, de l’efficacité concrète et de la rapidité » dans le système judiciaire.
Les « rapports » qu’évoque le ministre sont au nombre de trois, et avaient été commandés par son prédécesseur Didier Migaud. Ils ont pour objet la déjudiciarisation, l’exécution des peines et l’audiencement (c’est-à-dire la programmation et la tenue des audiences devant les tribunaux).
Dématérialisation de la Justice
Le ministre reprend, dans sa lettre, plusieurs propositions issues de ces rapports, comme la « déjudiciarisation » de certains sujets, qui permettrait de désengorger les tribunaux. D’une part, pour certains contentieux, le ministre propose d’instaurer « une phase amiable préalable obligatoire ». D’autre part, il suggère que des sujets comme « l’adoption simple ou les successions vacantes » ne soient plus traitées devant les tribunaux mais par des juristes.
Le garde des Sceaux propose également de mettre en œuvre un « portail de la Justice », permettant à « chaque justiciable de suivre en temps réel l’avancée de son dossier », de recevoir ses convocations, etc. Cette démarche de dématérialisation permettrait au passage de substantielles économies en permettant de supprimer les envois de courriers recommandés, qui représentent annuellement un coût de 60 millions d’euros pour le ministère.
Plaider coupable
Au sujet de l’engorgement des cours criminelles, qui conduit à ce que des justiciables doivent « attendre de très nombreuses années avant d’être jugés », le ministre reconnaît que les nouvelles cours criminelles départementales, généralisées en 2021 et très décriées, fonctionnent mal. Pour mémoire, il s’agit de cours composées de cinq magistrats professionnels, sans jury populaire, chargées de juger les personnes majeures accusées de crimes graves tels que viols, coups mortels, vols à main armée, etc.
Censées désengorger les cours d’assises, ces cours criminelles départementales ont, de l’aveu du ministre, « entraîné l’audiencement criminel en général dans une situation inextricable ». Pour autant, il juge inenvisageable de les supprimer.
En revanche, il propose d’étendre aux affaires criminelles la procédure dite de « plaider coupable » – de son nom officiel la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » ou CRPC – qui permet d’éviter un procès. Actuellement, cette procédure n’est applicable qu’aux délits punis d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à 5 ans. Par exemple, un CRPC est possible pour des faits d’agression sexuelle mais pas de viol.
Gérald Darmanin propose donc d’étendre cette possibilité à toutes les affaires criminelles, ce qui permettrait à un prévenu, s’il reconnaît un crime, de se voir appliquer une peine sur proposition du procureur. Dans l’état actuel du droit, le prévenu est toutefois en droit de refuser la peine proposée, ce qui conduit à l’organisation d’un procès.
« Clarification des peines » et retour des peines planchers
L’un des points les plus spectaculaires de ces propositions est une refonte « totale » de l’échelle des peines, susceptible selon le ministre de rendre plus efficaces les sanctions pénales et de faire baisser le taux de récidive.
Il existe aujourd’hui, selon Gérald Darmanin, « un éventail de plus de 200 peines », ce qui rend le Code pénal « illisible ». Le ministre propose de les réduire à quatre : prison, probation, amendes, peine d’interdiction ou d’obligation. La peine de prison ne pourrait plus être assortie de sursis. Les peines « de probation » incluraient les travaux d’intérêt général et les aménagements de peine comme le bracelet électronique.
Le garde des Sceaux propose que les peines de probation ou d’amende soient « privilégiées » par rapport à l’emprisonnement, mais que leur violation « entraîne immédiatement une incarcération ».
Enfin, il suggère de revenir à des « seuils minimaux », c’est-à-dire des peines planchers, « en particulier pour les actes de délinquance du quotidien qui pourrissent la vie de nos concitoyens ».
« Repenser la prison »
Enfin, le ministre reconnaît que les 83 000 détenus actuellement emprisonnés en France le sont dans des conditions « indignes ». On notera qu’il ne retient pas la proposition faite par de nombreux magistrats, par la contrôleuse générale des lieux de privations de liberté et même par le directeur de la prison de la Santé à Paris, consistant à permettre à des détenus de sortir un peu avant la fin de leur peine pour désengorger les prisons.
Le ministre met en revanche l’accent sur l’expulsion « nécessaire » des détenus étrangers et sur la mise en place de « prisons thématiques », avec une « différenciation des détenus suivant leur niveau de dangerosité ». Il estime également que « convaincre les magistrats de la crédibilité des peines de probation » permettra également de lutter contre la surpopulation carcérale.
À l’inverse, on peut noter que la suppression envisagée du sursis irait dans le sens exactement inverse.
Et maintenant ?
Il reste à présent à savoir quel sera le devenir de ces propositions. Certaines d’entre elles sont de nature réglementaire et pourraient être appliquées par simple décret.
Mais pour les plus ambitieuses, notamment la refonte des peines, il faudra une loi. Le ministre, dans sa lettre, ne l’évoque pas et ne donne pas de calendrier. Mais au vu de la complexité du sujet et de la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, sans majorité, les jeux sont loin d’être faits.
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