Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 3 novembre 2023
Sécurité

Ingérences étrangères : un rapport parlementaire pointe les risques dans la commande publique et dans le monde associatif

« Ciblés » par certains pays, les élus locaux devraient être sensibilisés aux risques après chaque élection, estime la délégation parlementaire au renseignement. Celle-ci assure, notamment, que « la préférence accordée aux moins-disant » comporte des « risques réels » d'ingérence.

Par A.W.

De l’espionnage à l’utilisation de l’espace cyber ou des opérations de manipulation de l’information, l’ingérence étrangère en France est devenue une menace « protéiforme, omniprésente et durable ». C’est ce que conclut le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement, rendu public hier (mais dont certains passages ont été caviardés). 

« Le niveau de menaces d’ingérences étrangères se situe à un stade élevé dans un contexte international tendu et décomplexé », préviennent ainsi ses auteurs, qui expliquent que si les services de renseignement peuvent recourir « à divers moyens d’entrave pour contrecarrer les ingérences étrangères », ces outils ne « suffisent pas à eux seuls dans la durée ».

« Naïveté »  des élus

Les auteurs du rapport déplorent notamment la « naïveté »  – « la première des vulnérabilités »  – de nombreux acteurs, que ce soit aussi bien les entreprises que les milieux académiques, mais aussi les élus et les hauts fonctionnaires.

Un constat qui n’est pas franchement une surprise puisque, « d’un point de vue général et intemporel, les principales vulnérabilités demeurent humaines », note la délégation parlementaire. « Argent, intérêt, corruption et ego »  constituent ainsi « les leviers traditionnels de la manipulation, opportunément exploités par des professionnels du renseignement ».

À l’échelle nationale, la DGSI a ainsi détecté, « au cours des trois ou quatre dernières années, des tentatives d’approche de la part de certains agents de renseignement visant l’ensemble du spectre politique », expliquait, en février dernier, le patron de la sécurité intérieure française, Nicolas Lerner, à l’occasion de son audition à huis clos par la commission d’enquête parlementaire. 

Dans ce cadre, ses services ont pu constater que « certains pays […] s’intéressent beaucoup à l’échelon territorial »  et « il a pu arriver très ponctuellement que la DGSI mette au jour ou soupçonne des relations entre un élu ou ancien élu local […] avec une puissance étrangère et signale aux autorités compétentes l’infraction soupçonnée – en l’espèce, un financement ». 

Commande publique : le risque du recours au moins-disant 

S’agissant des élus locaux en particulier, leur sensibilisation aux risques reste « très imparfaite », selon les auteurs du rapport. Et ceci alors même que les collectivités territoriales sont susceptibles d’accueillir des investissements étrangers pouvant constituer « le support d’une éventuelle ingérence étrangère ». 

En matière de commande publique, par exemple, « la préférence accordée aux moins disant peut emporter des risques réels d’ingérences étrangères », alertent les rapporteurs, tout en soulignant que « les règles des marchés publics ne laissent généralement pas ou peu de marges de manœuvres aux décideurs locaux pour écarter des entreprises dont le profil présente un risque potentiel pour la protection des intérêts fondamentaux de la nation ». Les auteurs du rapport n’explicitent, toutefois, pas en quoi consistent exactement ces risques.

« Les élus locaux, étant décisionnaires du point de vue économique et financier et pouvant engager une part de la souveraineté, constituent [bien] des cibles »  de choix pour certains pays étrangers, prévenait ainsi le patron de la sécurité intérieure française en début d’année, et mettait en garde contre les tentatives d’influence ou de corruption qui pénétreraient jusque dans les territoires.

Associations liées à d’autres pays

Autre menace, selon les rapporteurs : « Les liens qui peuvent exister entre des associations locales et certains pays ». Ceux-ci nécessiteraient « une vigilance accrue »  de la part des élus, « notamment au regard du risque de séparatisme et d’atteinte aux valeurs de la République ». « La double nationalité constitue à cet égard une vulnérabilité que les acteurs de l’ingérence ne manquent pas d’exploiter. Dès lors, si la détention de la double nationalité n’empêche en rien l’expression d’une loyauté pérenne, il convient néanmoins d’opérer une mise en garde, a minima une sensibilisation au profit des intéressés », conseillent les auteurs du rapport. 

Au regard de « l’intensification de la menace et des responsabilités qui pèsent sur les élus locaux », la délégation parlementaire au renseignement recommande donc d’« organiser, dans chaque département, à l’initiative du préfet et en lien avec les services territoriaux de sécurité intérieure, une session de sensibilisation des élus locaux aux risques d’ingérences au lendemain de chaque élection locale ». Qu’elle soit « municipale », « départementale »  ou bien « régionale ».

Dans ce contexte, la DGSI a ainsi « autorisé les services territoriaux à parler aux élus locaux »  afin de les « sensibiliser dans un but préventif », indiquait, en février dernier, le chef du contre-espionnage français, assurant en avoir « ressenti la nécessité ces derniers mois à propos, notamment, des équipementiers étrangers », sans plus de précisions. 

Un plan global de sensibilisation des acteurs publics et privés aux ingérences étrangères a conduit, entre juillet 2021 et juillet 2022, à près de 10 000 actions de sensibilisation qui ont concerné environ 55 000 personnes. « Ces actions visent à participer au développement d’une culture de la sécurité chez les publics destinataires. Elles ont conduit à un accroissement du nombre de signalements de situations inappropriées qui, lorsqu’elles le justifiaient, ont donné lieu à des investigations », précisent les auteurs du rapport.

Instituts chinois et enseignants turcs

Plus globalement, la délégation parlementaire au renseignement décrit les « signatures »  des puissances étrangères à la manœuvre dans les actions qui ciblent le pays. 

Parmi elles, elle cite « l’infiltration », « l’ingérence dans les processus électoraux »  et « la manipulation de l’information »  de la Russie, la « stratégie du front uni »  de la Chine, « les velléités d’emprise »  de la Turquie ainsi que « la diplomatie des otages »  de l’Iran. À noter que les auteurs du rapport ne ménagent pas non plus « les alliés »  de la France qui, eux aussi, « n’agissent pas toujours comme des amis ».

Le mode opératoire du « front uni »  de la Chine est ainsi une « stratégie politique et un réseau d'institutions publiques et privées et d'individus clés, placés sous le contrôle du parti communiste chinois », expliquent les rapporteurs. La diaspora chinoise (600 000 personnes en France) y joue un rôle important, tout comme les investissements économiques et les instituts Confucius, qui « sont avant tout au service d’une stratégie d’influence »  même si leur mission officielle est de promouvoir la langue et la culture chinoises.

Selon la délégation, la Turquie a, quant à elle, pour objectif de « contrôler [sa] diaspora en tant que relais des idées du pouvoir d'Ankara, c'est-à-dire hostiles aux Kurdes et aux Arméniens ». 

Dans ce cadre, elle constate notamment que « certains enseignants »  – recrutés, payés et encadrés par les pays d’origine – ont pu utiliser le dispositif des enseignements langues et culture d’origine (Elco) dans le but de « promouvoir une orientation politique ou défendre des actions contraires aux valeurs de la République ». Depuis 2020, les Elco ont toutefois été « systématiquement remplacés »  par le dispositif des « enseignements internationaux de langue étrangère »  (EILE) qui met notamment « fin à la nomination et à la rémunération des enseignants par des États étrangers »  (lire Maire info du 19 février 2020).

De la même manière, la délégation évoque le financement des lieux de culte en France et le détachement d'imams (dont la fin de la pratique a été annoncée pour 2024) au sein de mosquées françaises qui a « permis à la Turquie de peser sur l'islam de France ». Un autre mode opératoire consiste à pratiquer « l'entrisme politique via la participation aux élections locales et nationales ».

Télécharger le rapport.
 

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