Maire-info
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Édition du jeudi 6 novembre 2025
Numérique

Ingérences étrangères : les élections municipales loin d'être épargnées

Les commissions des lois et de la culture du Sénat ont organisé hier une table ronde sur les risques de manipulations numériques en période électorale. Si l'utilisation de nouveaux moyens de communication numériques permet aux acteurs politiques de renouveler leurs méthodes de campagnes, des dérives sont à craindre.

Par Lucile Bonnin

Alors que les citoyens seront appelés aux urnes les 15 et 22 mars prochains pour les élections municipales, puis pour l’élection présidentielle en 2027, les préoccupations autour des risques de manipulations numériques en période électorale sont plus que jamais d’actualité. C’est notamment pour cette raison que le Sénat a organisé hier une table-ronde réunissant les principaux acteurs garants de la sûreté numérique.

Ces dernières années « l’agressivité numérique de puissances hostiles »  a atteint très haut niveau, a indiqué Hugues Moutouh, secrétaire général du ministère de l’Intérieur. Une montée en puissance de la menace qui se fait d’autant plus sentir lors des rendez-vous démocratiques. 

Ingérences étrangères : une menace protéiforme 

L’exemple de l’élection présidentielle en Roumanie est un cas d’école. Pour la première fois dans l’Union européenne, un scrutin a été annulé après des soupçons d'ingérence étrangère. En cause : la manipulation d'algorithmes et l’instrumentalisation d'influenceurs sur le réseau social TikTok sur fond d'ingérence russe.

Utilisation de comptes inauthentiques, recours à des influenceurs numériques, usurpation d’identité de médias ou de candidats : ces menaces hybrides numériques présentent en effet un « risque d’altération de la sincérité et de l’intégrité du vote », selon le ministère de l’Intérieur. 

Anne-Sophie Dhiver, directrice adjointe du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) estime que « l’état de la menace est préoccupant ». « Depuis le milieu des années 2010, aucun rendez-vous électoral et référendaire majeur n’a été épargné par une tentative de manipulation de l’information impliquant des acteurs étrangers et la menace informationnelle est permanente et croissante ».

Selon Viginum, quatre grandes stratégies sont utilisées pour interférer dans les élections : la polarisation de l’opinion publique autour de thématiques clivantes ; l’alimentation de la défiance à l’égard des médias d’information traditionnelle, l’exposition réputationnelle de candidats et, enfin, la décrédibilisation de la procédure électorale – en insinuant qu’elle est illégitime. Sur cette dernière technique, l’exemple de la présidentielle américaine de 2020 montre la puissance que peut avoir la désinformation sur les réseaux sociaux. Plus de 360 000 membres du réseau Facebook avaient alors rejoint le groupe Stop the Steal (Arrêtez le vol), un record. Le mouvement a pris de l’ampleur sur d’autres réseaux. Quelques mois plus tard, le 6 janvier 2021, le Capitole était pris d’assaut par des milliers de sympathisants de Donald Trump alors qu’il avait été battu par Joe Biden et qu’il rejetait en bloc le résultat des suffrages.

Cela serait une erreur de croire que les élections municipales, étant donné leur enjeu très local, seraient épargnées par la menace. « Elles en font d’ores et déjà l’objet », constate la représentante de Viginum. Depuis septembre dernier déjà, selon un groupe de recherches américain intitulé Insikt, une centaine de faux sites d'informations locales a été créé par un réseau d'influence russe dans la perspective des élections municipales de 2026. Ainsi des sites comme Suddouestdirect.fr ou infosdupays.fr ont été créés par des Intelligences artificielles (IA) dans le but, selon une enquête menée par Franceinfo, d'exacerber la fragmentation politique en France. 

Sensibilisation des équipes de campagne

Autre exemple marquant d’ingérence à l’occasion d’une élection : l’affaire Macron Leaks en 2017. Pour mémoire, un piratage visant les ordinateurs de l'équipe de campagne du candidat Emmanuel Macron a été fomenté par un groupe de hackers russe qui ont publié sur twitter des mails et des faux documents.

Afin de protéger le débat public numérique en contexte électoral, Viginum, rattaché au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), est créé en 2021. Ce dispositif de protection contre les ingérences numériques étrangères a publié deux ressources essentielles en amont de l’élection européenne, mais qui peuvent aussi bien être utiles aux équipes de campagne des futurs candidats aux élections municipales. 

Un guide de sensibilisation à l’attention des équipes de campagne est accessible sur le site de Viginum ainsi qu’un autre guide édité cette fois par l’Anssi et intitulé 10 règles d’or pour les équipes de campagne. Des conseils sur la cybersécurité sont par exemple détaillés dans ces ressources.

Les présidents des commissions des lois et de la culture, Muriel Jourda et Laurent Lafon, ont rappelé l’existence « d’un cadre juridique pléthorique »  pour lutter contre les manipulations numériques en période électorale soulignant au passage la nécessité d’intensifier les actions de contrôle en amont des élections.

Rôle capital des médias et de l’éducation 

Laurent Cordonier, directeur de la recherche de la Fondation Descartes, explique qu’il est à ce jour difficile d’estimer l’impact précis des campagnes numériques qui ont été menées par exemple en Roumanie ou dans la fameuse affaire Cambridge Analytica. Les chercheurs n’ont cependant pas de doute sur le fait que « là où les campagnes de manipulation deviennent plus dangereuses c’est lorsqu’elles s’infiltrent dans les médias traditionnels ». Il cite la psychose autour des punaises de lit qui s'était répandue en France juste avant la tenue des Jeux olympiques et paralympiques. « Il faut aider les médias à ne pas devenir les relais involontaires de campagnes de manipulation », alerte Laurent Cordonier. La Fondation Descartes travaille d’ailleurs sur la mise en place d’un outil pour détecter les récits sur les réseaux sociaux qui sont poussés de manière artificielle. Benoit Loutrel, directeur général de l’Arcom, en a profité pour souligner que si « les médias jouent un rôle stratégique »  dans nos démocraties, « leur modèle économique s’érode notamment »  pour « les médias de proximité ». 

Plusieurs sénateurs, lors de cette table-ronde, en ont profité pour souligner l’importance de mener une politique publique plus proactive sur l’éducation aux médias en direction des jeunes et des moins jeunes. Pour le directeur de l’Arcom, il est essentiel de travailler au développement « « d’un sens critique »  et « d'enseigner l’utilisation à bon escient des Intelligences artificielles (IA) ». « Il y a aussi des choses à inventer via un partenariat entre État et territoires comme cela a été fait pour le déploiement des réseaux mais cette fois-ci pour les innovations numériques », a-t-il expliqué, estimant que ces menaces numériques ne sont finalement que de nouvelles formes de sujets anciens.

Ce sujet sera abordé au prochain congrès des maires et des présidents d’intercommunalité de France, dans le cadre du forum « Elections municipales 2026 : Bien préparer le scrutin et anticiper la suite »  qui aura lieu le mercredi 19 novembre de 14h à 18h, en salle Egalité. 

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