Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 26 mai 2025
Immigration

Le Conseil constitutionnel censure tardivement une nouvelle disposition de la loi immigration

Seize mois après la promulgation de la loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration », un nouvel article de cette loi a été déclaré inconstitutionnel par les Sages, avec effet immédiat. 

Par Franck Lemarc

On se souvient du débat et de l’adoption houleuse de la loi Immigration, entre la fin de l’année 2023 et le début de l’année 2024, et du fait que cette loi avait été adoptée en incluant des articles dont le gouvernement lui-même était convaincu qu’ils n’étaient pas conformes à la Constitution. Résultat : un mois après l’adoption définitive du texte, le Conseil constitutionnel en censurait un bon tiers (35 articles sur 86). 

Plus d’un an après, ce texte continue de produire des répliques sur le plan constitutionnel : hier, au Journal officiel, une nouvelle décision des Sages était publiée, censurant une des dispositions issues de l’article 41 de la loi. 

« Nul ne peut être détenu de façon arbitraire » 

Cet article 41 a créé un nouvel article L253-1 dans le Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Ce nouvel article dispose que « l’autorité administrative peut assigner à résidence ou, si cette mesure est insuffisante et sur la base d'une appréciation au cas par cas, placer en rétention le demandeur d'asile dont le comportement constitue une menace à l'ordre public » 

C’est le Gisti, une association de défense des droits des étrangers, mais également le Syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’Homme qui ont posé la question de la conformité à la Constitution de cet article. Ces associations ont saisi le Conseil d’État en décembre dernier, qui a à son tour posé la question sous forme de QPC (question prioritaire de constitutionnalité) au Conseil constitutionnel.

Ces associations estiment que cette nouvelle disposition du Ceseda est contraire à l’article 66 de la Constitution, qui affirme que « nul ne peut être arbitrairement détenu », et que l’autorité judiciaire « assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Pour les requérants,  la possibilité de placer en détention un demandeur d’asile « en raison d'une simple menace à l'ordre public ou d'un risque de fuite et en dehors de toute procédure d'éloignement »  est, précisément, « arbitraire » , et contrevient en cela à l’article 66 de la Constitution. Par ailleurs, ils estiment que le demandeur d’asile placé en détention « ne (peut) exercer ses droits de manière effective », ce qui porterait atteinte « au droit constitutionnel d’asile » . Enfin, ils reprochent à ces dispositions de réserver le même traitement à un demandeur d’asile et un étranger sous OQTF. 

Une disposition « disproportionnée » 

Les Sages ont rendu leur décision le 23 mai. 

Ils rappellent tout d’abord qu’aucune règle constitutionnelle « n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ». Il appartient en revanche au législateur « d’assurer la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés ». Parmi ces libertés figurent celle qui est inscrite à l’article 66 de la Constitution, « qui ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire ». 

Comme toujours, les Sages ne jugent pas inacceptable des « atteintes »  aux libertés garanties par la Constitution, mais rappellent que ces atteintes doivent être « proportionnées, adaptées et nécessaires ».

En l’espèce, ils constatent que les dispositions contestées autorisent le placement en détention d’un demandeur d’asile « alors même qu’il ne fait pas l’objet d’une demande d’éloignement, sur le fondement d'une simple menace à l'ordre public, sans autre condition tenant notamment à la gravité et à l'actualité de cette menace ». L’objectif poursuivi – à savoir « éviter que des étrangers en situation irrégulière se prévalent du droit d'asile dans le seul but de faire obstacle à leur éloignement du territoire national »  – ne justifie pas « une privation de liberté pour ce seul motif » , tranchent les Sages.

L’autre motif de mise en détention prévu par cet article est « le risque de fuite » . Ce « risque de fuite »  est caractérisé par une autre disposition de la loi Immigration, qui a défini un certain nombre de conditions permettant « d’établir »  le risque de fuite. Parmi ces conditions, le fait, pour un étranger entré irrégulièrement en France, de « ne pas présenter sa demande d’asile dans (un) délai de 90 jours ». Assez logiquement, le Conseil constitutionnel ne voit pas en quoi cette circonstance caractériserait un « risque de fuite » . Il estime donc que placer une personne en détention sur ce motif est contraire aux libertés garanties par l’article 66. 

Conclusion : si l’assignation à résidence du demandeur d’asile, prévue par l’article L523-1 du Ceseda, reste possible, le placement en rétention prévu par le même article est, en revanche, contraire à la Constitution. Cette disposition est donc retirée de la loi. 

Les Sages n’ont vu aucune raison de « reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité »  – ce qui peut se produire lorsqu’une telle décision aurait des conséquences manifestement disproportionnées. La décision prend donc effet immédiatement et s’appliquera « à toutes les affaires non jugées »  à la date de la publication de la décision, soit le 24 mai. 2025.

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2