Maire-info
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Édition du jeudi 16 novembre 2023
Immigration

Immigration : le Sénat adopte un texte considérablement durci

Le projet de loi sur l'immigration, dans une version presque intégralement récrite par le Sénat, a été adopté mardi par 210 voix contre 115. Beaucoup plus dur que le texte initial présenté par le gouvernement, ce texte suscite l'incompréhension des associations humanitaires, qui parlent de « déraison ».

Par Franck Lemarc

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© Senat.fr

Avec quelque 120 articles ou dispositions nouvelles, le texte issu des débats en séance publique au Sénat n’a plus grand-chose à voir avec lui que le gouvernement avait déposé. Conçu à l’origine comme un texte alliant « le répressif et le social », le volet social a été réduit à la portion congrue tandis que le volet répressif a été très fortement durci. C’est ce qu’a résumé la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie en lançant au ministre de l’Intérieur, qui avait déclaré il y a quelques semaines vouloir « être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants » : « Il ne s'agit plus que d'être méchant avec tout le monde ». Ce que Gérald Darmanin a vivement contesté, demandant à la gauche de « ne pas caricaturer ce texte », qui « comprend des mesures de régularisation », allie « fermeté contre les délinquants, intégration, simplification des procédures », et contient « des mesures que jamais la gauche n’a proposées en cinquante ans ».

Durcissement

Si le Sénat a en effet adopté quelques mesures proposées par la gauche, comme la possibilité de régulariser certains sans-papiers victimes de marchands de sommeil, la tonalité générale du nouveau projet de loi est néanmoins clairement au durcissement – avec un texte bien plus dur que les fameuses lois Pasqua de 1993.

L’une des mesures les plus emblématiques adoptées au Sénat est la suppression de l’aide médicale d’urgence (AME), remplacée par une aide médicale d’urgence (AMU) bien plus restreinte (lire Maire info du 8 novembre). Mais des dizaines d’autres mesures destinées à durcir le droit actuel du séjour des étrangers ont été adoptées, sans qu’il soit possible d’en faire ici une liste exhaustive. Citons en vrac : le rétablissement du délit de séjour irrégulier et celui des quotas migratoires, le renforcement du contrôle de l’immigration étudiante, la limitation à trois du nombre de renouvellements consécutifs d’une carte de séjour, l’allongement de 5 à 10 ans de la période de séjour sur le territoire pour pouvoir espérer obtenir la nationalité, le durcissement des possibilités de regroupement familial et d’acquisition de la nationalité par le mariage, la radiation automatique de Pôle emploi et de la Sécurité sociale des personnes ayant été notifiées d’une décision de refus de séjour, de retrait de titre ou document de séjour ou d’expulsion, l’obligation pour un étranger assigné à résidence de payer lui-même les frais de cet hébergement…

Un nouvel article permet de priver un étranger de l’acquisition de la nationalité par droit du sol s’il « n’est manifestement pas assimilé à la communauté française ». Un autre – qui choque particulièrement les associations – impose une présence « stable et régulière »  sur le territoire de cinq années pour pouvoir toucher les allocations familiales et l’APL ou pour bénéficier du Dalo. Y compris pour les étrangers en situation régulière.

Les mesures qui concernent les maires

Certaines mesures de ce texte concernent directement les maires ou plus généralement les collectivités territoriales.

Le nouvel article 1er D a trait au regroupement familial. Il impose au maire de la commune de résidence d’un étranger souhaitant procéder au regroupement familial de vérifier « les conditions de logement et de ressources »  de la personne.

Par ailleurs, un nouvel article vise à renforcer la protection des maires dans le cadre des mariages frauduleux. Lorsque le procureur de la République est saisi à propos d’un projet de mariage douteux, il peut, sous quinze jours, ou bien faire opposition au mariage, ou bien permettre sa célébration, ou bien décider de surseoir à la célébration pendant un mois, le temps de diligenter une enquête. L’amendement adopté dans le projet de loi allonge ce délai de sursis à deux mois renouvelables.

Le texte permet également de refuser la délivrance ou le renouvellement d’une carte de séjour, ou de retirer celle-ci à tout étranger qui se serait rendu coupable de violence contre un élu.

Enfin, le texte a créé une nouvelle obligation de débat annuel au Parlement sur la politique d’immigration, débat qui sera précédé de la remise d’un rapport du gouvernement sur cette politique. Ce rapport devra obligatoirement comprendre un chapitre consacré aux « actions conduites par les collectivités territoriales »  en matière d’immigration et d’intégration.

Et l’article 3 ?

L’article 3 du texte, qui permettait une possibilité de régularisation temporaire pour des travailleurs sans-papiers dans les secteurs dits « en tension », et dont Les Républicains avaient fait une ligne rouge, a été supprimé. Après de longues négociations, il a été remplacé par un nouvel article présenté par la rapporteure de la commission des lois, Muriel Jourda, qui certes permet une régularisation temporaire de ces travailleurs mais ne la rend pas de droit : elle serait soumise « au seul pouvoir discrétionnaire du préfet », peut-on lire dans l’exposé des motifs.

Pour Les Républicains en effet, la procédure prévue dans le texte initial créait un « droit à la régularisation », droit qui n’existe pas – le Conseil constitutionnel ayant récemment rappelé que « aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ». Créer un tel droit, estime LR, « créerait manifestement une prime à la fraude et une nouvelle incitation à l’immigration irrégulière ». Mais Muriel Jourda estime néanmoins que certains de ces travailleurs sont « indispensables à la vitalité de certains secteurs économiques ». Elle a donc proposé – et fait voter – un nouvel article, avec des critères nettement « resserrés ». Un travail sans papiers pourrait prétendre à l’obtention d’une carte de séjour « travailleur temporaire »  valable un an, sous trois conditions : avoir exercé un emploi en tension pendant 12 mois au moins dans les deux dernières années ; occuper un tel emploi au moment de la demande ; et avoir résidé en France de façon ininterrompue depuis au moins trois ans. Si toutes ces conditions sont remplies, le préfet examinerait le dossier et la décision reviendrait à lui seul. La rédaction adoptée précise que lors de l’examen du dossier, le préfet devra prendre en compte, « outre la réalité et la nature des activités professionnelles de l’étranger, son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci, ainsi qu’aux principes de la République ».

Les associations appellent à « un sursaut » 

Dans un communiqué publié mardi, une trentaine d’associations dont la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, Emmaüs, Médecins du monde, la Ligue de l’enseignement, le Secours catholique et Médecins du monde, dénoncent avec virulence « un acharnement aussi déraisonné que dangereux pour les personnes exilées ». Qualifiant « d’aberrant et consternant »  la suppression de l’AME, les associations s’indignent notamment du délai de cinq ans pour pouvoir percevoir les prestations sociales, qui « ne fera que freiner l’insertion en particulier des familles et des femmes ». « Aucune mesure pouvant ‘’rendre la vie impossible’’ aux personnes exilées n’a été épargnée, conformément aux ambitions de longue date du ministre de l’Intérieur. » 

Les associations appellent « les citoyens et citoyennes à se mobiliser et les députés à un sursaut de lucidité pour que le seul cap à tenir soit celui de l’humanité, de la dignité et de l’égalité des droits ».

Ce texte a été transmis à l’Assemblée nationale, qui n’a pas encore fixé de date d’examen.

     

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