Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 21 juin 2023
Logement

Habitat indigne : un guide, une mission et un réseau pour donner aux maires les moyens d'agir

Hier ont eu lieu les rencontres de l'AMF dédiées à la lutte contre l'habitat indigne, autour de deux tables rondes associant maires, services de l'État et agences dédiées. Un nouveau guide pratique intégrant le cadre juridique récent de l'habitat indigne est à dispositions des élus. En attendant les conclusions d'une mission spécifique à la rentrée.

Par Caroline Reinhart

« Le cadre juridique de l’habitat indigne est très complexe. Il est difficile d’identifier les procédures à mettre en œuvre et les responsabilités de chacun. C’est un travail de fond réalisé par les maires toute l’année. »  Pour Thierry Repentin, maire de Chambéry, co-président du groupe de travail logement de l’AMF et président de l’Anah, la lutte contre l’habitat indigne est un combat quotidien pour les maires et présidents d’intercommunalités compétents en la matière. Une bataille qui n’est pas réservée aux grandes villes. Il existe 420 000 logements potentiellement indignes en métropole, 110 000 en outre-mer. Des chiffres-planchers, tant le fléau est important et parfois méconnu.

Un cadre juridique changé

Depuis 2019, un groupe de travail de l’AMF est en place pour faire de la pédagogie sur le sujet, après les évolutions portées par la loi Élan de 2018. Un premier guide en partenariat avec l’Agence nationale de l’information pour le logement (Anil) et le ministère chargé de la Ville et du Logement a déjà été réalisé. Mais le cadre juridique a changé avec l’ordonnance du 16 septembre 2020 et son décret du 24 décembre 2020, visant à simplifier les procédures. Depuis le 1er janvier 2021, une nouvelle police administrative spéciale a ainsi remplacé une douzaine de procédures. Elle se veut plus simple (harmonisation du déroulement procédural quel que soit le fait générateur) et plus efficace (délais plus courts et protection accrue pour les occupants). 

Pour Laurent Bresson, sous-directeur des politiques de l’habitat à la DHUP du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, cette réforme permet « une accélération et une sécurisation de l’action sur le terrain » . « Les services de l’État interviennent via les pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne. Un sous-préfet référent permet de mobiliser les services de la préfecture, l’autorité de régulation de la santé et les autorités judiciaires »  a-t-il aussi rappelé. 

Autre instance ressource pour les élus, le pôle national de la lutte contre l’habitat indigne (PNLHI), présidé par Chantal Mattiussi, également présente aux rencontres de l’AMF. Guides didactiques, parcours de formation : le PNLHI est à la disposition des élus désireux d’en savoir plus sur l’habitat indigne. « Le nouveau guide intègre des modèles juridiques et administratifs, et présente les différents outils financiers dont peuvent se saisir les collectivités », a précisé Chantal Mattiussi. 

Louis du Merle, directeur juridique de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil) était aussi présent pour évoquer la mission socle de l’Agence et celle de ses agences départementales (les Adil), à savoir apporter du conseil gratuit et neutre sur les questions juridiques et fiscales en lien avec le logement. Le réseau des Adil dispose d’un ancrage territorial fort et d’une proximité avec les acteurs du logement, qui en font « un acteur clé auprès des élus », estime Louis du Merle.

Financement des travaux, transfert à l’interco

En dépit de ces instances et de la réforme de 2020, des questions restent en suspens, en particulier celle du financement des travaux d’office à la charge du maire. Malgré toute la bonne volonté des élus, cette problématique rend souvent rédhibitoire le traitement de l’habitat indigne. Pourtant, les collectivités peuvent bénéficier d’une subvention de l’Anah pour financer 50 % du montant des travaux d’office : en 2022, l’Agence a d’ailleurs versé 2,5 millions d’euros dans ce cadre. Il y a par ailleurs une possibilité de recouvrement, mais la procédure reste complexe et nécessité de saisir le juge.

Clairement, l’habitat indigne demeure une question sensible, expliquant la très lente dynamique de transfert de compétence aux intercos. En 2021, seuls 150 présidents d’EPCI ont pris la compétence. « Il faut une vraie volonté des collectivités pour s’engager dans ces procédures, qui requiert une assistance à maîtrise d’ouvrage », a insisté Thierry Repentin. 

Mais le volontarisme sans ingénierie reste complexe. Pour Isabelle Le Callennec, maire de Vitré et co-présidente du groupe de travail logement de l’AMF, les communes rurales sont particulièrement dépourvues en la matière. Reste à voir si l’annonce d’Élisabeth Borne lors de la présentation du plan gouvernemental France Ruralités, le 15 juin, visant notamment à mettre en place un nouvel outil pour les ruralités – l’OPAH-RR (pour revitalisation rurale) – répondra à ce manque. À noter que la journée nationale de lutte contre l’habitat indigne qui aura lieu le 3 juillet à Laval, sera centrée sur les territoires ruraux. 

Procédures d’expropriation

Comment agir dans l’urgence ? À Marseille (Bouches-du-Rhône), le sujet est plus que prégnant. 40 000 logements sont considérés comme indignes, et deux évènements tragiques récents, rue d’Aubagne en 2018 et rue de Tivoli en avril dernier, ont fait 16 victimes au total. Patrick Amico, adjoint au maire chargé de la politique du logement et de la lutte contre l’habitat indigne, est venu témoigner de la volonté forte de la municipalité de traiter le sujet. « Nous avons choisi de ne pas transférer la compétence à la métropole pour s’emparer pleinement du sujet. Car traiter le logement, c’est aussi traiter la personne qui y vit ». Le service municipal de lutte contre l’habitat indigne compte 120 personnes. Mais là aussi, côté procédures, ça coince : « Nous avons un cadre juridique, financier, administratif qui ne permet pas d’avancer comme on le voudrait », déplore Patrick Amico. 

Même son de cloche à Mulhouse (Haut-Rhin) : pour Alain Couchot, premier adjoint au maire délégué au logement et au renouvellement urbain, « les réglementations ne sont pas homogènes, et la question de l’harmonisation et de la simplification reste posée. Il y a toujours un besoin d’accompagnement des communes pour les procédures d’expropriation et de rétrocession des biens vacants ou sans maître ». 
Idem à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) : pour Katy Bontinck, première adjointe au maire, vice-présidente de Plaine Commune, « c’est le volontarisme politique et les choix budgétaires qui sont déterminants. Les procédures d’expropriation sont toujours trop longues et coûteuses. » 

Changer de paradigme

De Mulhouse à Vitré, en passant par Marseille et Saint-Denis, les constats sont donc partagés : la complexité des procédures, dispersées entre le Code de la santé publique, le Code de la construction et le Code de l’urbanisme demeure, tandis que l’appropriation publique de biens en habitat indigne passe par des procédures trop longues et coûteuses. 

Une mission a ainsi été confiée à Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis et Michèle Lutz, maire de Mulhouse, par le ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, afin de faire des propositions sur les outils de lutte contre l’habitat indigne. Cette mission, dont les conclusions seront connues à la rentrée prochaine, recensera les ajustements à apporter aux outils, notamment juridiques, utilisés pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne.

Présent lors des rencontres, Mathieu Hanotin a présenté quelques-unes des propositions qu’il souhaite faire au ministre avec Michèle Lutz. Parmi elles, la création d’un droit d’expropriation spécifique à l’habitat indigne pour aller plus vite, en tenant compte de la véritable valeur foncière des biens pour indemniser. Pour l’heure, « la prise en compte de la valeur vénale potentielle rend toutes les opérations déficitaires ». 

Autre proposition : impliquer l’ensemble des acteurs et notamment les investisseurs immobiliers privés. Une des annonces du CNR Logement est d’arrêter le dispositif fiscal Pinel. « Il faut en faire une opportunité pour créer un avantage fiscal massif afin que l’intérêt à agir soit plus important pour les foncières privées. Il faut aussi créer un outil foncier adapté pour faire une grande banque de l’habitat indigne. Et pour en faire une grande cause nationale, il faut s’inscrire dans le temps long. » 

Un réseau des villes de l’habitat indigne a par ailleurs été créé avec Saint-Denis, Marseille et Mulhouse pour fédérer enfin les communes et intercos ayant « les mains dans le cambouis », développer l’ingénierie, et créer un « lobby »  pour agir et défendre l’intérêt des communes concernées. 


Guide de l’habitat indigne de l’AMF, de l’Anil et du ministère.

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