Maire-info
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Édition du lundi 31 janvier 2022
Grand âge

L'affaire Orpea met en lumière la nécessité d'une réforme profonde du système de gestion du grand âge

Après la publication du livre de Victor Castanet sur les Ehpad du groupe Orpea, les révélations se multiplient. Elles ne doivent pas faire oublier qu'il existe aussi un secteur public et associatif des Ehpad, où la rentabilité n'est pas le maitre mot. Les départements et l'Unccas, vendredi, ont émis de premières propositions pour réformer le dispositif et éviter les dérives. 

Par Franck Lemarc

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C’est un véritable séisme médiatique qu’a provoqué la sortie du livre Les fossyeurs du journaliste Victor Castanet, sur le traitement inhumain et dégradant réservé à des personnes âgées dépendantes dans certains établissements du groupe Orpea. Depuis, de nombreux autres témoignages affluent – et beaucoup rappellent que, au-delà de l’impact médiatique de cet ouvrage, le problème est connu depuis longtemps et que bon nombre de lanceurs d’alerte ont tenté, depuis longtemps, de sonner l’alarme sur le business de « l’or gris», et de certaines sociétés qui, bien que pratiquant des tarifs prohibitifs, font subir aux patients ce que l’on ne peut appeler autrement que de la maltraitance. 

20 % d’établissements à but lucratif

Il ne faut pas oublier, pour autant, que ce qui est décrit dans le livre de Victor Castanet – il le dit lui-même, d’ailleurs – n’est pas la réalité de tous les établissements, qu’ils soient publics ou privés. Au-delà de l’offre privée et des grands groupes comme Orpea ou Korian, cotés en Bourse, voire détenus par des fonds d’investissement comme c’est le cas pour le numéro 3 français du secteur, DomusVi, il existe aussi une multitude d’établissements gérés par des associations ou des communes, qui offrent un niveau de prestation tout à fait satisfaisant et traite les résidents de manière humaine et digne. En fait, seuls 20 % des Ehpad sont des établissements privés à but lucratif, alors que la moitié des Ehpad dépendent d’hôpitaux ou de CCAS et 29 % sont gérés par des associations privées à but non lucratif, des congrégations ou des mutuelles. 

Il serait sans doute excessif de résumer la situation en disant que les Ehpad privés à but lucratif maltraitent les résidents et que la situation est idyllique dans le secteur public, mais il apparaît clairement que la question d’un meilleur contrôle, non seulement sur les tarifs pratiques par le privé mais sur les conditions de vie des patients et les conditions de travail des salariés, se pose aujourd’hui avec acuité. 

Pour l’Unccas, « la question centrale du financement » 

C’est cette question que pose l’Unccas (Union nationale des CCAS) dans un communiqué paru vendredi, où l’association indique que les maires et adjoints chargé des questions sanitaires et sociales « condamnent fermement les pratiques indignes »  décrites dans le livre de Victor Castanet, et dénonce « les conditions de travail intolérables des personnels sommés de devoir gérer une maltraitance institutionnalisée. »  L’Unccas demande surtout « comment ces pratiques inadmissibles peuvent advenir et perdurer dans le système d’autorisations et de contrôle qui est le nôtre », et regrette une fois encore « l’absence d’une grande loi autonomie », maintes fois promise, jamais réalisée. « En filigrane se pose la question centrale du financement de la prise en charge du grand âge, écrit l’Uncass. Faute de véritable 5e risque à la hauteur de cet enjeu de solidarité nationale, le décalage n’en sera que plus criant entre certains acteurs peu scrupuleux du secteur, avides de profits boursiers ; et les autres, animés par le maintien de la qualité du service rendu malgré des financements toujours insuffisants pour couvrir le coût réel des prestations ». 

L’ADF veut aller au bout de la décentralisation

L’Assemblée des départements de France ne dit pas autre chose, dans un communiqué lui aussi publié vendredi. L’association dénonce « la multiplication des intervenants et des chapelles (qui) vient compliquer à l’excès l’indispensable contrôle qui incombe aux pouvoirs publics ». 

L’ADF rappelle qu’il existe aujourd’hui trois sources de financement (un forfait soins, à la charge de l’Assurance maladie, un tarif dépendance financé en grande partie par les départements, et un forfait hébergement, à la charge des résidents avec éventuellement une prise en charge par l’ASH. Sur le contrôle, l’ADF rappelle qu’il est exercé par l’autorité « qui a délivré l’autorisation »  (préfet, directeur de l’ARS ou président du département), et surtout que les départements ne peuvent diligenter de contrôles, dans les établissements autorisés conjointement, sans l’accord de l’ARS. 

L’association dénonce cette complexité et demande une réforme « en profondeur », en l’absence d’une loi autonomie et de « structuration »  de la 5e branche de la Sécurité sociale. L’ADF a des revendications claires pour « parachever le processus de décentralisation » : création de « maisons de l’autonomie »  gérées par les départements, « sans tutelle étatique », « pouvoir de tarification unique », « recrutement, nomination et évaluation des directeurs d’Ehpad par les départements », et rattachement des personnels des Ehpad à la fonction publique territoriale « lorsque le gestionnaire de l’Ehpad est sous statut territorial ». 

Plus largement, l’ADF demande « le transfert de la totalité du bloc social et médico-social »  aux départements, ainsi que le transfert de « l’ensemble de la compétence autonomie ». 

Les positions de l’AMF

Rappelons que l’AMF, pendant son dernier congrès en novembre 2021, avait consacré un forum à la question du grand âge, lors duquel Pierre Martin, maire de Chauvén, ancien directeur d'Ehpad et référent « grand âge »  de l’AMF, avait dressé un constat « bien sombre », constatant, partout « le manque de personnel, les démissions en cascade ». « Nous sommes les oubliés de la politique sociale », avait aussi déploré Pierre Lamarque, maire de Sarbazan et président de l’Union des CCAS des Landes. 

Face aux problèmes de recrutement dans les Ehpad, l’AMF réclame, depuis longtemps, la revalorisation des métiers du grand âge et de leur rémunération. Mais elle demande, elle aussi, que tout le système soit repensé, comme elle l’avait plaidé lors du Ségur de la santé. L’association demande que le rôle des petits Ehpad soit conforté, que leur maillage soit « plus étroit », contrairement aux critères imposés par les ARS. Elle souhaite aussi que les communes soient mieux représentées « au sein des instances de concertation et d’élaboration des politiques de santé à l’échelle des territoires », que la question des tarifs soit revisitée afin d’améliorer l’accès aux établissements des familles les plus modestes. Et, enfin, demande qu’il existe enfin des financements dédiés permettant que la politique à destination des personnes âgées ne s’appuie pas exclusivement sur les « budgets communaux ».

En savoir + : Synthèse et vidéo du forum " Mieux répondre à l'urgence du grand âge" tenu lors du 103e Congrès, en 2021, sur www.mairesdefrance.com

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