Maire-info
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Édition du jeudi 15 décembre 2022
Outre-mer

Gestion des déchets outre-mer : les sénateurs estiment que la « cote d'alerte » est atteinte

Dans un rapport publié la semaine dernière, des sénateurs pointent la situation très dégradée du traitement des déchets dans les départements et collectivités d'outre-mer, avec de sérieuses conséquences sur la santé publique. Les sénateurs proposent une dizaine de pistes d'évolution. 

Par Franck Lemarc

« Retards majeurs », « décalage complet »  par rapport à la métropole, « cote d’alerte dépassée » … Dans leur rapport, les sénatrices Gisèle Jourda (Aude) et Viviane Malet (La Réunion) ne mâchent pas leurs mots pour dépeindre la situation, également dégradée dans tous les départements d’outre-mer et qui « place certains territoires en urgence sanitaire et environnementale ». Les sénatrices appellent à un « plan Marshall »  en la matière.

Aucune déchetterie à Mayotte

Principal indicateur du retard pris outre-mer en termes de gestion des déchets : le taux d’enfouissement. Alors qu’il est aujourd’hui de moins de 15 % en métropole, ce taux est de 67 % outre-mer, et frôle même les 100 % à Mayotte et à Saint-Martin. Ce taux dépasse également les 80 % en Guyane. 

À l’inverse, la valorisation, qui dépasse les 40 % en métropole, est à peu près inexistante dans certains territoires, dont Mayotte et Saint-Martin. Les sénatrices pointent un « retard massif »  dans les équipements : en Guyane, il n’existe que « deux déchetteries pour un territoire grand comme le Portugal ». À Mayotte, il n’y en a aucune (la première devrait ouvrir l’an prochain), et 41 % de la population de la capitale, Mamoudzou, n’est pas desservie par la collecte. Décharges illégales et dépôts sauvages se multiplient, sans compter la question des déchets des « quartiers informels »  – expression élégante pour dire « bidonvilles ». 

Situation inégale selon les territoires

Ce constat catastrophique est nuancé par le fait que certains territoires ont une dynamique plus « positive »  que d’autre : c’est le cas de La Réunion et de la Nouvelle-Calédonie. À l’inverse, c’est à Mayotte et en Guyane que la situation est la plus grave : « Tout est à construire pour une population qui explose ». Entre ces deux situations, plusieurs territoires sont « sur une ligne de crête », notamment la Martinique et la Guadeloupe. 

Certains territoires, en plus d’un retard chronique, ont eu à souffrir des conséquences de catastrophes naturelles – comme Saint-Martin, où « le cyclone Irma a profondément désorganisé le service ». 

Haro sur la TGAP

Cette situation aboutit à une véritable « urgence sanitaire », qui s’ajoute à la problématique de l’accès à l’eau potable dans certains départements. Dépôts sauvages, anciennes décharges illégales qui se dégradent en empoisonnant la terre, apportent des maladies graves touchant directement les habitants : dengue, hépatite A, typhoïde, leptospirose. Pour cette dernière maladie, véhiculée par les rats et qui peut s’avérer mortelle, le taux de prévalence à Mayotte et en Guyane est « 70 fois supérieur au taux national »  ! À La Réunion, des maladies comme le saturnisme (causée par l’ingestion de plomb) refond leur apparition. 

Les sénatrices pointent aussi le danger pour l’environnement, dans des territoires qui abritent « 80 % de la biodiversité française ». 

Les causes de cette situation sont clairement identifiées dans le rapport. En premier lieu, un financement « insuffisant »  et une inadéquation complète du dispositif de la TAGP (taxe générale sur les activités polluantes). 

Cette taxe est jugée « unanimement »  par les interlocuteurs des sénatrices « injuste et inefficace », et elle a des conséquences qui s’apparentent à un cercle vicieux. En effet, la TGAP, élaborée sur le principe pollueur-payeur, frappe les structures qui stockent des déchets ou les incinèrent. Or l’enfouissement, on l’a dit, est le mode de traitement prédominant, « voire unique », dans les territoires ultramarins. Le poids de la TGAP, pour les intercommunalités, est donc devenu « écrasant », et « accable des acteurs aux équilibres financiers déjà précaires ». La TGAP « asphyxie »  les EPCI et les syndicats de traitement… et obère d’autant leurs capacités d’investissement, au moment où, précisément, ces investissements sont le plus nécessaires. 

Les sénatrices se livrent à une charge sévère contre la TGAP et son mode de gestion – en particulier le fait que son produit abonde le budget de l’État au lieu d’aller au soutien de la politique de traitement des déchets. Elles relèvent le sentiment « d’injustice »  ressenti par les élus ultramarins qui se sentent « punis »  pour ne pas atteindre les objectifs de tri et de réduction des déchets, et le payent au prix fort via la TGAP, « alors que la plupart des éco-organismes sont défaillants dans les outre-mer sans être, eux, pénalisés ».

Plans de rattrapage

C’est en effet un autre des constats de ce rapport : les éco-organismes sont « discrets, voire absents », dans ces territoires. « Les filières REP [responsabilité élargie du producteur] ont négligé les outre-mer », écrivent les sénatrices. Un chiffre en témoigne : alors que la performance de la filière emballages ménagers est de 51,5 kg par habitant et par an en métropole, elle est de 13 kg en Guadeloupe, 12 en Guyane et… 2 kg à Mayotte. 

Le développement des filières REP figure donc en bonne place dans les propositions émises par les rapporteures, qui demandent que leur soit imposée une obligation de résultat, avec la mise en place de « pénalités pour les éco-organismes qui n’atteignent pas les objectifs ». Par ailleurs, les sénatrices demandent un « moratoire »  sur la TGAP, pendant 5, 7 ou 10 ans selon les cas, afin de faire gagner des marges de manœuvre financières aux territoires, qui se chiffreraient en dizaines de millions d’euros. 

Elles demandent également que l’État mette des moyens massifs dans des « plans de rattrapage »  pour réaliser les équipements prioritaires là où ils manquent : il faudrait pour cela, jugent-elles, au moins « 250 millions d’euros sur cinq ans ». 

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