Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 4 octobre 2019
Gens du voyage

Gens du voyage : le Conseil constitutionnel se penche sur la loi de juillet 2000

Ce qui ressemble à une erreur rédactionnelle, dans la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, modifiée par la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, pourrait conduire à des conséquences inattendues et importantes. C’est un des résultats d’une décision du Conseil constitutionnel, rendue le 27 septembre.
Plusieurs organisations représentatives des gens du voyage (1) ont déposé fin juillet, auprès du Conseil constitutionnel, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elles s’interrogent sur la conformité avec la Constitution de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui permet notamment au maire d’une commune ou au président d’un EPCI « d’interdire le stationnement des résidences mobiles des gens du voyage et, en cas de stationnement irrégulier, de solliciter du préfet leur évacuation forcée, alors même que son territoire ne comporte aucune aire d’accueil ».
Globalement, les Sages ont réfuté tous les arguments brandis par les associations : pour eux, les dispositions de l’article 9 ne contreviennent ni à la liberté d’aller et venir ni au principe de fraternité, pas plus qu’elles « n’instituent une discrimination fondée sur une origine ethnique ». Le délai de recours face à une mise en demeure de quitter les lieux, contesté par les associations, a lui aussi été jugé conforme à la Constitution.
Le texte instituerait aussi, selon les représentants des gens du voyage, un « bannissement administratif », dans la mesure où « la mise en demeure de quitter les lieux (…) reste applicable sur l’ensemble du territoire couvert par l’interdiction de stationnement pendant un délai de sept jours consécutifs ». Ce « bannissement administratif »  méconnaîtrait « le droit d’égal accès aux soins, le principe d’égal accès à l’instruction, le droit de mener une vie familiale normale et l’objectif de sauvegarde de l’ordre public immatériel ». Là encore, les associations requérantes essuient un revers, les Sages estimant que « les gens du voyage qui font l’objet d’une mise en demeure de quitter leur lieu de stationnement irrégulier bénéficient, sur ce territoire, d’aires et terrains d’accueil permettant un accès aux soins et à l’enseignement ».

Subtilité juridique
Un alinéa du texte a, revanche, bien été reconnu contraire à la Constitution. Il concerne la possibilité, ou non, d’interdire à des personnes de stationner sur un terrain dont elles seraient propriétaires – ce qui constitue une évidente atteinte au droit de propriété.
Pour comprendre cette décision, il faut revenir sur la construction de l’article 9 de cette loi : il commence par quatre alinéas (I, I bis, II et II bis). Le I définit les obligations d’un maire d’une commune membre d’un EPCI compétent en matière de gestion des aires d’accueil, et définit les conditions dans lesquelles il peut interdire le stationnement des gens du voyage ; le I bis définit ces conditions pour les maires dont la commune n’est pas membre d’un EPCI compétent en cette matière (ce qui est très rare puisqu’il s’agit d’une compétence obligatoire des EPCI et que seules quatre communes ne sont pas membres d’un EPCI à fiscalité propre – les îles mono-communales !). Le II définit les modalités de la mise en demeure et le II bis fixe les possibilités de recours. 
Vient ensuite un alinéa III, qui précise : « Les dispositions du I, du II et du II bis ne sont pas applicables au stationnement des résidences mobiles (…) lorsque les personnes sont propriétaires du terrain sur lesquelles elles stationnent. » 
Les associations ont mis le doigt sur une faille dans la rédaction de cet article : le « I bis »  n’est pas mentionné dans cette liste. Autrement dit, s’il est clairement inscrit dans la loi que les maires membres d’un EPCI compétent (alinéa I) ne peuvent pas expulser des personnes qui stationnent sur un terrain dont elles sont propriétaires, rien n’est dit sur les maires n’appartenant pas à un EPCI compétent (alinéa I bis). « Faute de viser le paragraphe I bis », écrivent les Sages, le texte autorise donc, par défaut, les maires dont la commune n’est pas membre d’un EPCI compétent en matière de gestion des aires d’accueil à interdire le stationnement sur des terrains dont les personnes sont propriétaires ! « En permettant qu’un propriétaire soit privé de la possibilité de stationner sur un terrain qu’il possède, poursuivent les Sages, (ces) dispositions méconnaissent le droit de propriété. »  Le paragraphe III de l’article 9 est donc déclaré contraire à la Constitution. 
Sauf qu’ici intervient une subtilité juridique que n’avaient peut-être pas vue venir les associations, et qui pourrait se retourner contre elles. En effet, ce fameux paragraphe III vise avant tout à empêcher l’expulsion des gens du voyage de parcelles dont ils sont propriétaires. Du fait de l’oubli du I bis, le voilà déclaré contraire à la Constitution, et donc passible, dans sa totalité, d’abrogation. Autrement dit, plus rien dans la loi n’empêcherait, dans tous les cas, d’expulser des gens du voyage de leur propre terrain ! C’est ce que le Conseil constitutionnel constate lui-même : « L’abrogation immédiate de [ce paragraphe] aurait pour effet de rendre applicable, dans les EPCI compétents (…) l’interdiction de stationnement et la mise en œuvre d’une procédure d’évacuation forcée à des personnes qui stationnent sur des terrains dont elles sont propriétaires. »  Pour éviter de telles « conséquences excessives », les Sages reportent au 1er juillet 2020 l’abrogation de cette disposition. 
Le temps de permettre au législateur de récrire l’article 9 de loi afin d’y corriger cette erreur de rédaction.

Ludovic Galtier et Franck Lemarc

Télécharger la décision du Conseil constitutionnel.

(1) L’Union de défense active des forains, France liberté voyage, la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les tsiganes et gens du voyage et l’Association nationale des gens du voyage citoyens.
 

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