Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 23 novembre 2023
Politique de l'eau

Gemapi : le gouvernement publie le décret sur le transfert des digues, pourtant rejeté par les élus

Le gouvernement a publié ce matin le décret relatif au transfert de la gestion des digues domaniales aux communes et groupements de collectivités territoriales concernés par la Gemapi. Un texte qui avait été, en septembre, unanimement rejeté par les représentants des élus. 

Par Franck Lemarc

Étrange calendrier. En plein congrès de l’AMF, au moment où les ministres se succèdent à la tribune pour parler « co-construction », « liberté d’action pour les maires » , et après les déclarations du chef de l’État hier pour louer « le droit à déroger » , le gouvernement publie au Journal officiel le décret organisant le transfert de gestion des digues domaniales, qui aura lieu dans deux mois maintenant. Alors que les élus sont, depuis dix ans, vent debout contre la façon dont cette réforme a été menée. 

Vide juridique 

On arrive en effet au terme du délai fixé par la loi Maptam du 27 janvier 2014, qui donnait dix ans pour préparer le transfert des digues domaniales (appartenant à l’État) aux communes et EPCI compétents, qu’il convient maintenant, apprend-on dans le texte, d’appeler les « gémapiens ». Ce transfert a été assorti de la création d’une compétence « exclusive et obligatoire »  et, rappelons-le, d’une nouvelle taxe pour financer cette l’exercice de cette compétence, la taxe Gemapi. 

La loi Maptam prévoyait que pendant la phase transitoire – 2014-2024 – l’État continuerait de gérer et entretenir les digues « pour le compte de l’autorité locale titulaire de la compétence Gemapi » . À l’issue de ce délai, soit le 24 janvier prochain, les digues seront mises à disposition des « gemapiens » . L’État ayant constaté que des « questionnements sur les modalités opérationnelles »  se sont faits jours à l’approche de la date fatidique, il a élaboré un décret pour « clarifier »  ces dernières. C’est ce décret qui a été présenté devant le Conseil national d’évaluation des normes le 7 septembre dernier, et reçu un avis unanimement défavorable des représentants élus. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de le publier quand même. On peut, au passage, s’étonner du fait que comme souvent, ce projet de décret a été présenté aux élus dans les conditions de « l’extrême urgence » , ce qui ne laisse à ceux-ci que 72 h pour l’examiner et rendre un avis, quatre mois avant l’échéance de janvier 2024, alors que l’État avait 10 ans pour se préparer. 

Il y a également une certain audace des services de l’État à parler de « questionnements sur le modalités opérationnelles » , alors que c’est en réalité la rédaction même de la loi qui créée ces difficultés. Il faut se souvenir que ce dispositif de création de la Gemapi avait été ajouté dans la loi Maptam en plein débat, par amendement, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État. Résultat, un texte particulièrement flou sur le plan juridique, qui ne prévoyait précisément les conditions dans lesquelles devait s’opérer le transfert, prévoyant simplement « une convention ». 

À quelques mois de l’échéance, le gouvernement comble ce flou de la plus mauvaise des manières : en prévoyant une simple substitution automatique de l’État aux collectivités et EPCI « gémapiens », exonérant l’État de toute obligation et ne laissant aucune place à des négociations. 

Marchés publics

Le décret indique simplement que les conventions de mise à disposition prévues dans la loi « prennent effet à compter du premier jour suivant la fin de la période transitoire ». En cas d’absence de convention, le préfet prononcera, au plus tard le 29 janvier 2024, la mise à disposition des digues aux gémapiens. La liste des ouvrages mis à dispositions sera publiée ensuite, par arrêté ministériel… c’est-à-dire que ce n’est qu’a posteriori que les communes et EPCI connaîtront les ouvrages dont elles héritent. 

Dès lors, les communes et EPCI concernés devront « assumer l’ensemble des obligations du propriétaire ». 

Le décret publié donne un certain nombre de détail sur le contenu de ces conventions. Les représentants de l’État, au Cnen, ont indiqué que ces conventions « pouvaient se présenter comme un outil opérationnel permettant de résoudre les éventuelles difficultés constatées par les parties prenantes ». 

Autre problème soulevé par les élus : celui des marchés publics passés antérieurement au transfert. Le décret ne donne guère de possibilité aux gémapiens de dénoncer certains marchés avant le transfert – ce qui entraîne, ont plaidé les élus au Cnen, « une perte d’autonomie contractuelle »  pour les collectivités. Le décret finalement publié précise simplement que les contrats et marchés publics « sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu’à leur échéance, sauf accord contraire [des gémapiens] et du cocontractant » . Mais « accord »  n’est pas « résiliation ». 

En revanche, l’article 3 du décret entrouvre la porte à la possibilité, « par dérogation »  et à la demande de la commune ou de l’EPCI, que l’État poursuivre l’exécution d’un marché public au-delà de janvier 2024 « pour une durée strictement nécessaire au bon achèvement des travaux et prestations ». Cette dérogation n’est possible que dans le cas d’études ou de travaux déjà engagés avant la fin de la période de transition. Dans ce cas, un avenant devra être signé entre l’État, le gémapien et le cocontractant. Cette dérogation, soulignons-le, n’est pas de droit, et se fera sous conditions.

Questions financières

Les membres élus du Cnen ont donc, une fois de plus, dénoncé « un nouveau transfert de gestion qui vient grever les budgets locaux »  : car à l’exception des cas prévus par l’article 3, l’ensemble des travaux d’entretien des digues reviendra, à partir du 24 janvier 2024, aux seules collectivités, ce que la « taxe Gemapi »  ne suffira pas à couvrir. Les élus ont rappelé que le coût du seul diagnostic de ces ouvrages approchera le milliard d’euros, et que les travaux à prévoir, dans les années à venir, pour adapter ces ouvrages aux risques nouveaux nés du changement climatique est estimé à 15 milliards d’euros. 

Les élus ont regretté, devant le Cnen, que « le potentiel financier des collectivités soient affectés pour gérer une compétence qui incombait initialement à l’État ». 
 

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