Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 21 novembre 2019
Congrès des Maires de France

Fracture numérique : comment répondre à « l'impression de déclassement » de millions de Français

Deux ministres - Julien Denormandie et Cédric O - mais aussi la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), Marie-Laure Denis, se sont relayés, hier au Forum numérique du Congrès des maires de France. Chacun dans leur domaine de compétences, ils ont touché du doigt les inquiétudes que crée la fracture numérique et tenté d’y apporter des réponses. Ce qu’il faut retenir.

Dématérialisation de l’administration : « Vous vous retrouvez face à un mur » 
Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a retenu un enseignement du Grand débat national : la dématérialisation des services publics - qui pourront tous être accessibles en ligne d’ici 2022 - est associée, pour beaucoup de Français, à « une violence sociale et sociétale extraordinaire ». Elle leur « renvoie une impression de déclassement, le sentiment qu’ils ne peuvent plus être autonomes »  pour effectuer leurs démarches administratives. 
C’est là tout l’enjeu : comment assurer l’égalité des Français devant l’accès aux droits quand 13 millions d’entre eux se disent en situation « d’illectronisme », c’est-à-dire en grande difficulté avec les outils numériques. « Quand on ajoute ceux qui ne savent pas remplir une déclaration d’impôt en ligne, c’est au moins la moitié de la population qui est éloignée du numérique », considère même Patrick Molinoz, maire de Venarey-les-Laumes (Côte-d'Or). C’est dire l’ampleur de la tâche. Sur Internet, « vous vous retrouvez face à un mur », reconnaît Cédric O, qui souhaite que le numéro de téléphone des administrations apparaissent de nouveau clairement sur leurs sites internet. « Il faut reprendre les choses ».
Au-delà de cette nécessité, il estime que sur les 13 millions de Français, la moitié seulement peut « monter en compétence ». Pour les aider, le gouvernement a lancé le « Pass numérique », un chèque de 10 euros - financé par l'État et les collectivités et actuellement expérimenté dans 48 territoires - que l’usager, identifié au préalable par des agents territoriaux, pourra utiliser dans l’un des 5 000 lieux de médiation numérique du pays pour être autonome en ligne. Pour l’autre moitié, celle qui ne pourra pas se former, Cédric O va lancer, en 2020, l’expérimentation de l'outil Aidant Connect, permettant de « sécuriser celles et ceux qui effectuent les démarches à la place d’un autre usager et gérer l’urgence. Ce sera notamment le cas dans les Maisons France services ». Sa généralisation est prévue pour le second trimestre.

Couverture numérique : « Un deuxième exode rural se prépare » 
« Aujourd’hui, le problème que l’on a, ce n’est pas l’inclusion numérique », proteste un maire d’une commune rurale de Côte-d’Or. « On n’a pas les tuyaux ». Pour beaucoup d’élus présents hier, fracture numérique rime avant tout avec fracture territoriale. « Un deuxième exode rural se prépare », ose même dans un coup de gueule, le président du conseil départemental d’Eure-et-Loir, Claude Térouinard. « La frustration grandit »  d’autant plus chez le Français qui constate que « la 4G est présente dans la commune voisine »  alors que lui « n’en bénéficie pas chez lui », atteste Michel Sauvade, maire de Marsac-en-Livradois (Puy-de-Dôme).
Face à ces témoignages, Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement qui suit l’évolution de la couverture numérique du territoire, a bien reconnu que « l’on n’habite pas de la même façon quand on n’a pas la fibre ». Dans le même temps, affirme-t-il, il se dit « convaincu »  que « les opérateurs seront au rendez-vous ». « Avant fin 2020, la zone Amii sera raccordable à la fibre à 92 % (…) D’ici juillet 2020, 485 zones blanches auront disparu. Grâce au New Deal Mobile, on va implanter entre 10 000 et 12 000 pylônes mais on est obligé d’y aller par phase », rétorque-t-il pour apaiser les impatients. Julien Denormandie ne nie toutefois pas les « disparités territoriales » : « Il y a un territoire pour lequel je suis inquiet (en référence à l’objectif 2020 : bon débit pour tous) et 25 départements où je suis particulièrement la situation (en référence à l’objectif 2022 : très haut débit pour tous, dont 80 % de fibre Ftth) ».

RGPD : « 60 % des communes n’ont pas désigné de DPD » 
La protection des données est aussi un sujet sensible quand on parle numérique et collectivités. Là encore, on constate des disparités territoriales. Les communes - bien souvent les plus petites - ont parfois du mal à suivre la cadence. 
Depuis le 25 mai 2018, les communes et les intercommunalités sont, comme l’ensemble des organisations, soumises au Règlement général pour la protection des données (RGPD). Elles sont dans l’obligation de désigner un délégué à la protection des données (DPD), « personnage central »  s’il en est dans l’application du cadre juridique. Pourtant, « 60 % des communes n’ont pas encore désigné de DPD »  (leur nombre est passé de 3 000 à 13 600 entre mai 2018 et aujourd’hui), a affirmé Marie-Laure Denis. Quand 90 % des départements et 100 % des régions ont procédé à cette désignation. Évidemment, la présidente de la Cnil a incité les communes à le « faire le plus vite possible »  d’autant qu’il ne faut, selon elle, « pas se faire une montagne de la mise en conformité au RGPD ».
Les communes ont, en effet, le choix entre plusieurs formules : un DPD peut être interne à la commune, externe ou « mutualisé »  à l’échelle de plusieurs communes ou de l’intercommunalité. Seule exigence sur laquelle il ne faut pas transiger : « imposer une séparation des rôles entre le responsable de traitement des données personnelles et le DPD ». « La désignation des adjoints et des conseillers municipaux »  est, par conséquent, à proscrire, selon la Cnil. « Le DPD doit être le poil à gratter », résume la présidente de la Cnil. Qui peut être amenée à sanctionner financièrement les communes qui ne respecteraient pas le RGPD. « C’est du cas par cas, on n’aura pas le même niveau d’exigence en fonction de la taille des collectivités », rassure Marie-Laure Denis qui cherche avant tout à « nouer un dialogue avec les élus ».

À Paris, Ludovic Galtier
 

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