La DGCL demande aux préfets de s'opposer systématiquement aux congés menstruels dans les collectivités
Par Franck Lemarc
Ce n’est pas une surprise, dans la mesure où ces derniers mois, les préfets de plusieurs départements ont déféré devant le tribunal administratif des collectivités ayant instauré des « congés menstruels ». Mais la direction générale des collectivités locales (DGCL) semble vouloir prendre le problème à bras le corps : c’est le sens de la circulaire signée le 21 mai dernier par Cécile Raquin, et que Maire info a pu se procurer.
Pour mémoire, ces derniers mois, les tribunaux administratifs – notamment de Toulouse et de Grenoble – ont cassé des délibérations prises par des communes ou des EPCI et accordant des autorisations spéciales d’absence (ASA) aux agentes souffrant d’endométriose ou de règles si douloureuses qu’elles en deviennent incapacitantes.
Comme de plus en plus de collectivités prennent de telles décisions, dans le cadre d’une politique de protection et de promotion des femmes, la DGCL a décidé de demander aux préfets de se saisir systématiquement de ces décisions et de les faire annuler, soit par un recours gracieux, soit en saisissant le tribunal administratif.
La DGCL reprend les arguments qui ont déjà été employés par plusieurs tribunaux administratifs : « Seul le cadre juridique national peut instituer des motifs d’ASA » , et les exécutifs locaux n’ont, eux, que la possibilité de les « décliner », « dans le cadre du principe de parité avec la fonction publique de l’État ».
Manque de base légale
Il appartient en effet au seul législateur (le Parlement) d’instituer des motifs d’autorisation d’absence, rappelle la DGCL. Ces motifs peuvent être « déclinés » par le pouvoir réglementaire (c’est-à-dire par décret). C’est ainsi que plusieurs décrets ont « complété et enrichi » au fil du temps la liste des motifs permettant à des agents de s’absenter sans perdre leur salaire – la DGCL cite par exemple « les motifs religieux ».
L’auteure de la circulaire insiste sur le fait que la création des ASA dans un « cadre juridique national » vise notamment à « harmoniser les pratiques au sein de trois versants de la fonction publique » , et qu’elle permet par ailleurs de s’assurer que les ASA ne sont pas utilisés pour déroger aux règles relatives à la durée annuelle de travail dans la fonction publique. On peut en effet rappeler que lorsque le gouvernement s’est efforcé d’imposer les 1 607 heures de travail annuelles dans toute la fonction publique territoriale, certains élus ont publiquement déclaré qu’ils feraient voter des ASA permettant aux agents de rester sur un temps de travail inférieur. La DGCL rappelle donc que cela n’est pas légal.
Les choses sont donc claires : « le pouvoir réglementaire local est incompétent pour créer une autorisation d’absence ». Les ASA créées dans certaines communes et dites « congés menstruels » sont « sans lien » avec les motifs légaux que sont « la parentalité et les événements familiaux ».
Il n’est pas non plus possible, précise la DGCL, de s’appuyer sur l’article 72 de la Constitution – comme ont tenté de le faire certains maires – qui permet aux collectivités de déroger à certaines dispositions législatives. Rappelons que cet article dispose que « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences ».
Mais, rappelle Cécile Raquin, ces dérogations doivent obligatoirement « être autorisées par une loi qui notamment préciser l’objectif visé, identifier les règles législatives auxquelles les collectivités peuvent déroger (…) déterminer les conditions de l’expérimentation » , etc. En l’absence d’une telle loi sur le sujet spécifique des ASA, il n’est donc pas possible d’avoir recours à ce dispositif de dérogation.
Il est donc demandé aux préfets de veiller à ne pas laisser les collectivités prendre de telles décisions, de leur adresser systématiquement un recours gracieux et, « le cas échéant, déférer la décision au tribunal administratif » .
Solutions alternatives
La DGCL rappelle que d’autres solutions existent pour « accompagner » des agentes souffrant de règles douloureuses, notamment le congé maladie « sur présentation d’un certificat médical ». Il existe un dispositif qui paraît adapté à ce type de situation : le congé maladie ordinaire (CMO) fractionné, qui permet « au fonctionnaire dont l’état de santé nécessite un traitement médical suivi périodiquement de s’absenter par journée ou demi-journée ».
Notons tout de même que ce dispositif est nettement moins intéressant pour les agentes que les ASA, puisqu’il entraîne un jour de carence et un traitement réduit à 90 % pendant les absences. Au vu du faible montant des salaires notamment chez les agentes de catégorie C, comme les Atsem par exemple, il y a tout lieu de penser que cette baisse de traitement découragera celles-ci de faire la démarche.
Autre solution proposée par la DGCL : faire appel aux « aménagements des modalités de travail » , notamment le recours au télétravail. Il est rappelé que la durée maximum de télétravail dans la fonction publique, fixée à trois jours par semaine, peut être augmentée « à la demande des agents dont l’état de santé le justifie » , comme en dispose l’article 4 du décret du 11 février 2016. Cette dérogation, valable pour 6 mois maximum, est renouvelable.
Cette solution, d’une part, est loin d’être applicable à toutes, puisque la plupart des postes de catégorie C, dans lesquels 60 % des agents sont des femmes, ne sont pas télétravaillables. Elle ne représente de surcroît pas un arrêt de travail.
L’argumentaire de la DGCL est certes inattaquable d’un point de vue juridique. Mais puisqu’il est impossible à un maire de prendre une telle décision faute de fondement législatif, il n’y a plus à espérer que le législateur se penche sur cette question et donne la liberté aux maires qui le souhaitent d’accorder ce répit aux agentes qui en ont besoin.
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