Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 7 novembre 2019
Fiscalité locale

Après la taxe d'habitation, la CVAE et la CFE sont-elles dans le viseur du gouvernement ?

C’est une « petite musique », selon l’expression de Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF, que l’on commence à entendre de plus en plus souvent : un certain nombre de parlementaires et de membres du gouvernement souhaitent s’attaquer aux « impôts de production », accusés de grever les finances des entreprises et donc de diminuer leur compétitivité. La commission des finances a examiné, hier, toute une série d’amendements au projet de loi de finances pour 2020 allant dans ce sens. Mais ces impôts locaux représentent une ressource essentielle pour les collectivités, et leur disparition serait un nouvel accroc – et de taille – à l’autonomie financière de celles-ci.
Philippe Laurent le répète depuis plusieurs semaines, et il l’a redit, mardi, lors de la conférence de presse de présentation du 102e Congrès des maires : « Ce que veut, au fond, l’État, c’est la suppression de la fiscalité locale. Ils ont commencé par la taxe d’habitation. Demain ce sera le foncier bâti – même s’ils ne le disent pas. »  Et après-demain, les impôts de production ? « Il y a en ce moment une véritable offensive du patronat sur ce sujet, notait avant-hier le maire de Sceaux, sur ce qu’ils appellent les impôts de production, dont la CVAE » ... qui n'est justement pas un impôt de production puisqu'elle est appuyée sur les résultats des entreprises. « Le ministre de l’Économie semble plutôt favorable à la diminution de ces impôts, qui sont presque tous des impôts locaux », a ajouté Philippe Laurent.

« Trajectoire de baisse » 
Le même jour, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, intervenait sur BFM Business comme en écho aux propos de Philippe Laurent, expliquant que le gouvernement souhaite inscrire les impôts de production (contribution sociale de solidarité des sociétés ou C3S, CFE, etc.) « dans une trajectoire de baisse entre 2021 et 2025 ». Ces taxes, mises en place pour remplacer la taxe professionnelle en 2010, sont « sept fois plus importantes en France qu’en Allemagne », a déclaré la secrétaire d’État, qui a carrément qualifié la C3S d’impôt « extrêmement dangereux pour l’économie ». Un discours que les organisations patronales – Medef et France industrie au premier chef – répètent en boucle depuis deux ans. 
Les députés du groupe Les Républicains ont apparemment été sensibles à ces arguments, puisqu’ils ont présenté, devant la commission des finances, une batterie d’amendements tournant autour de la diminution, voire de la suppression de certains impôts de production. Signés par Véronique Louwagie (Orne) ou Nadia Ramassamy (La Réunion), ces amendements concernent la CFE, la CVAE ou la C3S.
Pour rappel, sur ces trois contributions, la C3S est la seule qui ne revient pas aux collectivités, puisqu’elle sert à financer l’assurance vieillesse. Il s’agit d’un impôt appuyé sur le chiffre d’affaires, et correspondant à 0,16 % de celui-ci. 
La CVAE et la CFE, en revanche, sont bien des impôts locaux, perçus par les communes, les EPCI, les départements et les régions. La somme de ces deux contributions constitue la CET (contribution économique territoriale) qui a remplacé la taxe professionnelle. La CFE (cotisation foncière des entreprises) est assise sur la valeur locative des biens professionnels, et revient à 100 % aux communes et EPCI. Elle représente une ressource de 7 milliards d'euros pour les collectivtés. La CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) est assise sur la valeur ajoutée et est répartie entre communes, EPCI, départements et régions.Elle rapporte 18 milliards d'euros aux budgets locaux. 

« La taxe d’habitation des entreprises » 
Les amendements de Véronique Louwagie demandaient la diminution ou la suppression de ces impôts, ou, a minima, la réalisation de rapports envisageant leur suppression. L’un d’eux propose la suppression pure et simple de la CFE ; un autre le passage de 30 à 50 % de l’abattement sur la valeur locative cadastrale des établissements industriels (ce qui mènerait à une diminution mécanique de la CFE) ; un troisième réclame l’abaissement du plafonnement de la CET de 3 à 2 % de la valeur ajoutée des entreprises ; un quatrième demande la remise d’un rapport du gouvernement sur « la possibilité de supprimer sur plusieurs années la CVAE, la CFE et la C3S » 
Le président de la commission des finances lui-même, Éric Woerth, a déposé – puis retiré – un amendement allant dans le même sens et demandant « la suppression d’une partie des impôts de production qui pèsent de façon nocive sur nos entreprises ». 
La logique de ces demandes est transparente : le gouvernement, expliquent les auteurs de ces amendements, a supprimé la taxe d’habitation. Or, a expliqué Éric Woerth, « la CFE est la taxe d’habitation des entreprises ». Ce qui a été fait pour les particuliers doit donc, au nom de l’équité, être fait pour les entreprises. Les auteurs de ces amendements proposent de compenser la perte de recettes pour les collectivités par une augmentation de la DGF – ce qui reviendrait, exactement comme le décrivait Philippe Laurent, à supprimer tous les impôts locaux et à les remplacer par de la dotation… à la main de l’État. Ce serait une nouvelle suppression de fiscalité d’un montant de 25 milliards d'euros, après les 23 milliards de taxe d’habitation – et dont on peut se demander comment l’Etat en financerait la compensation.
Fort heureusement pour les collectivités, ces amendements ont été rejetés par la commission des finances – ceux du moins qui n’ont pas été retirés par leur auteur avant le débat. Le rapporteur général du budget, Joël Giraud (LaREM), s’est clairement exprimé contre ces propositions : « Le gouvernement a fait le choix d’alléger la fiscalité des entreprises par le biais de mesures sur l’impôt sur les sociétés. (…). Votre amendement, c’est une perte de recettes fiscales pour les collectivités de 8 milliards d’euros ! Avis très, très défavorable. » « La question se pose », pourtant, a répondu Éric Woerth, « même si le Bruno Le Maire indique vouloir commencer par la C3S ». 
Pour l’instant, la suppression ou la diminution drastique des impôts locaux payés par les entreprises ne semble donc pas à l’ordre du jour. Il est probable que le gouvernement, qui a déjà bien du mal à faire avaler aux collectivités la suppression de la taxe d’habitation, n’a pas voulu ajouter un autre casus belli en intégrant la diminution de la fiscalité économique dans le PLF pour 2020. En sera-t-il de même l’année prochaine ? Rien n’est moins sûr, et la « petite musique »  que dénonce Philippe Laurent n’est probablement pas près de s’arrêter de jouer.

Franck Lemarc


 

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