Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 30 janvier 2023
Finances

Bruno Le Maire veut passer au « peigne fin » les dépenses des collectivités

Dans une interview au Journal du dimanche, hier, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire dit son intention de « passer au peigne fin » les dépenses des collectivités locales, pour trouver des pistes d'économies sur les deniers publics. On est bien loin, une fois encore, de la « confiance » pourtant si souvent mise en avant par le gouvernement, avec ces déclarations jugées par David Lisnard, président de l'AMF, « inquiétantes et provocatrices ». 

Par Franck Lemarc

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© Gouvernement.fr

La phrase citée dans l’article du Journal du dimanche et attribuée à « un membre de l’entourage du ministre »  fera certainement sursauter plus d’un élu : « On va consulter très en amont tout monde, (…) surtout les collectivités locales, pour évaluer leurs dépenses, voir si elles sont vraiment utiles ». Au moment où dans de nombreuses collectivités, les élus s’arrachent les cheveux pour réussir à boucler leur budget, inflation galopante oblige, ce type de déclaration risque de faire grincer des dents. 

Fin du « quoi qu’il en coûte » 

Cette déclaration vient en complément d’une longue interview de Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, qui alerte sur l’envolée de la dette publique et du déficit de l’État. Après une série de crises particulièrement graves – le covid-19 puis la crise énergétique – les dépenses de l’État se sont envolées, faisant voler en éclats les fameux « critères de Maastricht »  qui obligent, en théorie, les États de l’Union européenne à maintenir leur déficit sous les 3 % du PIB. Après le « quoi qu’il en coûte »  décidé au moment de l’explosion de la pandémie, le déficit est monté, en 2020, à 180 milliards d’euros. Après une légère embellie en 2021 (très légère, puisque le déficit, à 141 milliards d’euros, représentait tout de même cette année-là 6 % du PIB), il s’est creusé à nouveau en 2022, à plus de 164 milliards, en particulier à cause des mesures d’accompagnement face à l’explosion des prix de l’énergie. Pour 2023, le déficit est attendu à peu près au même niveau, voire un peu plus. 

Quant à la dette publique, dont le montant consolidé sera connu en mars pour 2022, il devrait avoisiner les 3 000 milliards d’euros. 

Pour Bruno Le Maire, ces décisions ont été « bonnes », mais elles ne peuvent plus durer : « Le quoi qu’il en coûte est fini », déclare-t-il au Journal du dimanche, et il est aujourd’hui indispensable de réduire à la fois les dépenses publiques et la dette – d’autant plus que les taux d’intérêt remontent fortement : la France, qui empruntait jusqu’à présent quasiment gratuitement, fait désormais face à des taux moyens de 2,5 %. 

Des contrats de Cahors au « peigne fin » 

Pour parvenir à cette diminution des dépenses, le ministre de l’Économie prévoit une vaste « revue de dépenses ». Objectif : « Interroger chacune de nos dépenses », pour les rendre « cohérentes avec nos objectifs politiques », ce qui devrait permettre, « dès le budget 2024 », de « programmer des réductions de dépenses significatives ». 

Voilà qui concerne, si l’on comprend bien, les dépenses de l’État. Mais pas seulement : le ministre confirme les propos de son conseiller, cité plus haut, en déclarant : « Nous passerons au peigne fin toutes les dépenses publiques : État, collectivités locales, champ social ». 

Voilà qui montre que le gouvernement n’a pas renoncé à la doctrine qu’il développe depuis 2017 et l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir : l’encadrement des dépenses des collectivités territoriales. Cet encadrement, on s’en souvient, a d’abord pris la forme des Contrats de Cahors, abandonnés au moment de la pandémie mais revenus par la fenêtre, sous une autre forme, à l’automne dernier, dans le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour 2022-2027 (lire Maire info des 27 septembre et 3 novembre 2022). Sans revenir sur toutes les péripéties parlementaires qui ont conduit au rejet du PLFPP par l’Assemblée nationale et le Sénat, rappelons simplement que le gouvernement a tenté de réintroduire dans la loi de finances, votée au 49.3, un dispositif de contrôle des dépenses des plus grandes collectivités, dispositif toutefois non assorti de sanctions, contrairement à ce que prévoyait le gouvernement initialement. 

Quid de la libre administration ?

En plus de ce dispositif, les collectivités vont donc, dans leur ensemble, devoir se plier à cette nouvelle « revue de dépenses »  annoncée par Bruno Le Maire, dont les contours ne sont pas encore très précis. Le ministre a simplement annoncé qu’elle serait engagée « dans les prochains jours », donc avant le nouveau projet de loi de programmation des finances publiques, prévu au printemps. Il va donc falloir attendre une éventuelle circulaire du ministère de l’Économie pour savoir qui (les préfets ? la DGFiP ?) va manier le « peigne fin »  brandi par Bruno Le Maire. Et quels seront les critères utilisés par Bercy pour décider, à la place des maires, si une dépense est « utile »  ou ne l’est pas.

Reste qu’avant même de connaître les contours du dispositif, on peut une fois encore s’étonner de voir Bercy mettre sur le même plan, dans ce débat, les collectivités territoriales et l’État – qu’il s’agisse de la question du déficit ou de la dette. Les collectivités ne creusent en rien le déficit public puisque, rappelons-le, elles sont dans l’obligation de voter des budgets à l’équilibre. Et en matière de dette, elles sont forcément plus vertueuses que l’État puisqu’elles n’ont pas le droit d’emprunter pour financer leur fonctionnement – les seuls emprunts possibles pour les collectivités sont ceux qui financent les investissements. 

Les déclarations de Bruno Le Maire ressemblent donc à une nouvelle mouture du « paternalisme d’État »  souvent dénoncé, ces derniers mois, par les responsables de l’AMF, et ont de quoi inquiéter tous ceux qui sont attachés à la notion – constitutionnelle – de libre administration des collectivités locales. Pour David Lisnard, président de l’AMF, ces propos du ministre de l’Économie sont « inquiétants et provocateurs », à plusieurs titres, comme il l’explique ce matin à Maire info : « D’abord parce qu’ils vont à la fois à l’encontre de le libre administration et des engagements du gouvernement pris au moment du débat sur la loi de finances. Ensuite parce qu’ils correspondent, encore une fois, à une volonté de tutellisation inacceptable des collectivités locales par l’État. Ces déclarations traduisent une méconnaissance de la réalité que je trouve assez méprisante : nos dépenses, ce sont celles qui permettent aux derniers services publics de proximité d’exister. Enfin, j’ajouterais que ces propos nous donnent très envie… de passer au peigne fin les ‘’dépenses inutiles’’ de l’État. » 

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