Taxes d'urbanisme : deux députés préviennent d'un risque de « perte sèche » pour les collectivités
Par A.W.
« Il existe un risque que l’impôt non liquidé ne soit pas recouvré », ce qui entraînerait alors « une perte sèche pour les collectivités territoriales ». Dans un rapport qu'ils viennent de publier sur « les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux et leurs conséquences », les députés du Puy-de-Dôme et de Paris, Christine Pirès Beaune (PS) et David Amiel (Renaissance), s’inquiètent des graves conséquences sur les finances locales après le ratage récent dans la collecte des taxes d’urbanisme.
En début d’année, le syndicat Solidaires Finances publiques estimait qu’il pourrait manquer, à ce titre, « entre 635 et 750 millions d'euros dans les caisses des collectivités locales ».
Le fiasco « GMBI »
Les deux rapporteurs reviennent ainsi sur les deux couacs majeurs subis récemment par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), dont le coût pour les finances publiques est déjà colossal alors même que l’État cherche à faire des économies.
En premier lieu, les errements du tout nouveau service « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI) qui, au lieu de « simplifier » la déclaration des biens immobiliers des propriétaires comme prévu, a entraîné un véritable « chaos » lors de la campagne déclarative de 2023, pour reprendre les termes utilisés par la Cour des comptes dans son rapport au vitriol consacré à ce nouveau dispositif.
« Des dégrèvements massifs » ont ainsi dû être opérés en raison du « nombre élevé d’avis erronés de THRS, de THLV et de TLV » (respectivement la taxe d'habitation sur la résidence secondaire, la taxe d'habitation sur les logements vacants et celle sur les logements vacants), rappellent Christine Pirès Beaune et David Amiel.
Entièrement dématérialisé, ce nouveau dispositif a réclamé aux propriétaires eux-mêmes – sur un sujet aussi complexe que la fiscalité – de vérifier et éventuellement corriger les données saisies par l’administration fiscale. Et cela « sans l’accompagner d’une pédagogie adaptée et sans prendre en compte la diversité des publics concernés », notent les rapporteurs, qui ne peuvent que constater que « la DGFiP n’a pas réussi à organiser la campagne de déclaration (...) de manière compréhensible pour les propriétaires et sereine pour les agents des services des impôts des particuliers ».
Résultat, « seuls 77 % des locaux ont fait l'objet d'une déclaration à l’issue de la campagne (47 % des locaux pour les grands comptes) ». Avec « des erreurs manifestes dans l’émission des avis d’imposition », cela a conduit à quasi doubler (une hausse de « 97 % » ) le nombre de procédures contentieuses relatives à la THRS, à la THLV et à la TLV par rapport à 2022.
Initialement évalué à 1,3 milliard d’euros par la Cour des comptes, le coût exorbitant pour les finances de l’État des errements de ce nouveau service a atteint finalement les « 1,4 milliard d’euros », selon Christine Pirès Beaune et David Amiel. Alors que « le produit des rôles de THRS et de THLV au titre de l’année 2023 a été reversé en intégralité aux collectivités », c’est l’État qui a « assumé seul la charge financière » de ces dégrèvements.
Point positif, cependant : la campagne déclarative 2024 s’est « indéniablement mieux déroulée tant pour les contribuables que pour les agents de la DGFiP ». Reste que « les montants de dégrèvement demeurent très élevés, à 1,3 milliard d’euros », ceux-ci étant « portés par la dynamique de la THLV et de la TLV » (en baisse pour la THRS).
Taxes d’urbanisme : au moins 600 millions d’euros en jeu
Dans la foulée, les rapporteurs reviennent sur l’autre couac majeur subi par la DGFiP : celui qui s’est produit lors de la collecte des taxes d’urbanisme, cette fois. Également lié à GMBI, au moins en partie, cet autre fiasco avait laissé craindre, en début d’année, une perte d’au moins 600 millions pour les collectivités. Et jusqu’à « 750 millions d’euros », selon les calculs du syndicat Solidaires Finances publiques.
En cause, là aussi, les « dysfonctionnements » du nouveau système automatisé de gestion au moment de la collecte de la taxe d'aménagement et de la taxe d'archéologie préventive, deux impôts locaux perçus par les communes, intercommunalités et départements.
En outre, les effectifs promis étaient bien insuffisants puisqu’à peine plus du tiers des agents (107 sur les « 290 ETP » prévus initialement) qui devaient être transférés – du ministère de la Transition écologique vers la DGFiP pour compenser le transfert de la mission de liquidation des taxes d’urbanisme – l’ont finalement été, déplorent les députés. Car si, jusqu'en septembre 2022, le calcul et l'émission de ces taxes étaient faits par le ministère et le recouvrement par la DGFiP, l'entièreté de cette tâche (liquidation et recouvrement) incombe dorénavant à la Direction générale des finances publiques.
Résultat, la liquidation des taxes d’urbanisme effectuée par la DGFiP reste toujours à un « faible niveau », le total des montants liquidés en 2024 étant « en forte baisse par rapport à la moyenne des années 2019-2022 (- 31 %) », expliquent Christine Pirès Beaune et David Amiel.
Et les deux élus de s'inquiéter des « effets » de ces retards sur les finances des collectivités, qui sont, pour l’heure « encore peu perceptibles », mais « potentiellement importants ». Ainsi, « le produit de taxe d'aménagement a baissé de 25 % entre 2022 et 2023 pour les collectivités adhérentes à France urbaine » (qui regroupe les grandes villes, métropoles, communautés et agglomérations urbaines), tandis que « le manque à gagner pour les départements depuis 2022 se situe entre 200 et 300 millions d’euros », selon les estimations de Départements de France.
En conséquence, « il existe un risque que l’impôt non liquidé ne soit pas recouvré et que le délai d'exercice du droit de reprise de l’administration fiscale soit échu. Il s’agirait alors d'une perte sèche pour les collectivités territoriales », préviennent les deux députés.
Pourtant Bercy avait bien assuré, en début d’année, que ces dysfonctionnements n'entraîneraient qu’un simple retard dans les versements. « Toutes les taxes dues seront encaissées et reversées aux collectivités », promettait-il.
Le syndicat Solidaires finances publiques redoutait, toutefois, déjà que « ce simple retard conduise à des pertes définitives de recettes ». Notamment parce que « certaines informations déclaratives semblent avoir été perdues et ne pourront dès lors donner lieu à taxation ».
Dans ces conditions, les auteurs du rapport recommandent de « traiter en priorité les dossiers de liquidation de taxes d’urbanisme encore en instance en fonction de leur montant absolu et de la part des recettes qu’elles représentent pour les collectivités bénéficiaires », ainsi que d’informer ces dernières du « niveau des montants effectivement liquidés » et « des éventuels retards ». Surtout, ils réclament de « compenser (...) toute perte de recettes liée à l’expiration du délai d’exercice du droit de reprise ».
Taxes foncières : les dégrèvements contentieux en net recul
S’agissant des taxes foncières (TFPB et TFPNB), les deux députés constatent que les dégrèvements contentieux sont en net recul, après avoir atteint des sommets jusqu’en 2022.
Entre 2017 et 2024, « les dégrèvements consécutifs à des erreurs d'attribution (envoi d’un avis d’imposition au mauvais foyer fiscal) ont représenté 480,93 millions d’euros en moyenne annuelle et concerné 394 391 dossiers en moyenne (soit environ 1,2 % des contribuables assujettis) », observent-ils.
Mais après avoir atteint un pic de 628,45 millions d’euros pendant la crise sanitaire, ils sont redescendus à 229,85 millions d’euros en 2024.
Des erreurs d’attribution qui trouvent leur origine, à la fois, dans « les retards de mise à jour du fichier immobilier par les services en charge de la publicité foncière », mais aussi « du fait de la situation des effectifs » de ces services qui, entre 2017 et 2022, ont perdu « 8,7 % de leurs agents ».
« En 2023, le délai moyen de mise à jour du fichier immobilier est revenu à son niveau de 2012, soit moins de 53 jours. En 2024, il est estimé à 25 jours », notent les élus qui pointent « des disparités importantes qui demeurent entre les départements » : si en Savoie, ce délai est de 3 jours, il atteint 50 jours dans la Meuse.
Au-delà de la problématique des erreurs d’attribution, c’est « la question de la révision des valeurs locatives » qui est revenue à « de nombreuses reprises » au cours des travaux des rapporteurs. En effet, « la place centrale qu’occupent désormais les taxes foncières dans le paysage de la fiscalité locale [près de 63 % des recettes de la fiscalité directe locale] conduit nécessairement à s’interroger sur l’obsolescence de leur assiette pour les locaux d’habitation », selon eux.
S’ils se disent « conscients » qu’une révision générale aboutirait « probablement à des transferts importants entre contribuables et entre collectivités territoriales », ils appellent à « ne pas repousser une nouvelle fois cette réforme dans un souci à la fois d’assurer l’égalité des citoyens devant l’impôt et de garantir l’autonomie financière locale ».
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