La Cour des comptes pointe les conséquences délétères de la suppression progressive des impôts locaux
C’est à la demande du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale que la Cour des comptes a travaillé sur ce sujet. Éric Coquerel, fin septembre 2023, a en effet demandé aux magistrats financiers de réaliser « une enquête » sur « l’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et sur l’évolution de la (dé)territorialisation de l’impôt ».
Ce rapport a été rendu public hier.
Une politique qui crée du déficit
La Cour des comptes fait le constat d’une « réduction de grande ampleur des impôts locaux » après les réformes mises en œuvre depuis 2017 – sans même remonter à la suppression de la taxe professionnelle en 2010 : suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales, suppression d’une grande partie de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), réduction de moitié des bases des locaux industriels assujettis à la taxe foncière et à la CFE.
Premier constat de la Cour, mis en lumière depuis fort longtemps déjà par l’AMF : cette politique a un coût extrêmement élevé pour le budget de l’État sous forme de compensation aux collectivités des recettes perdues : ce que les contribuables payaient, auparavant, aux collectivités, est désormais payé par l’État, notamment sous forme de points de TVA. Ou, plus précisément, par de la dette : les quelque 38,5 milliards d’euros annuels que coûte cette politique à l’État n’ont pas été « compensés par des économies sur les finances publiques », et ont donc été « financés par de l’emprunt », remarque la Cour. Cette politique a donc creusé le déficit. Ce que ne dit pas la Cour, c’est que le déficit comme la dette, au bout du compte, sont toujours payés, d’une façon ou d’une autre, par les contribuables. L’État, en décidant de « faire des cadeaux avec l’argent des autres », comme disait Jacques Pélissard en son temps, ne fait en réalité aucun cadeau : il se contente de décaler dans le temps le paiement de l’addition.
Quant aux baisses d’impôts elles-mêmes provoquées par ces réformes, les magistrats financiers soulignent, comme l’AMF là encore, qu’elles ont surtout bénéficié aux ménages les plus aisés, puisque les ménages les plus en difficulté n’étaient, auparavant, pas imposables.
« Lien contributif »
La Cour insiste également sur les conséquences délétères de cette politique en matière de lien fiscal entre les habitants et les collectivités - ce qu’elle appelle « la rupture du lien contributif » : « La baisse des recettes d’impôts locaux territorialisés affaiblit les qualités de l’impôt local », souligne à raison la Cour. D’abord, parce que les locataires ne contribuent plus à financer les services publics de la commune dans laquelle ils habitent. Ensuite, parce que la disparition de la TH peut conduire à une réticence des maires à accueillir de nouveaux locataires (notamment dans l’habitat social, qui est de surcroît exonéré de taxe foncière), dans la mesure où ces nouveaux locataires représenteront une charge financière pour la commune mais aucune recette fiscale. De même, il y a moins d’intérêt qu’auparavant, pour une commune, à accueillir une entreprise, pour les mêmes raisons.
Ces réformes ont également conduit à un affaiblissement du « pouvoir fiscal » des élus, puisque ceux-ci ont de moins en moins la main sur les taux. Ceci, souligne l’AMF depuis des années, pose un véritable problème démocratique : le fonctionnement « normal » d’un système décentralisé, où les collectivités seraient réellement autonomes, consiste à ce qu’un maire, par exemple, soit élu sur un projet, et choisisse librement de le financer par l’impôt. Ce sont, à la fin, les électeurs qui tranchent : s’ils estiment que le maire a trop augmenté les impôts pour un bénéfice en termes de services publics qu’ils estiment insuffisant, ils ne voteront pas pour lui la fois suivante. Ce système, basé sur la responsabilité des élus comme des électeurs, se voit profondément mis à mal par la perte du pouvoir fiscal des élus.
La Cour, dans son rapport, affirme que seuls les régions et les départements ont réellement perdu tout ou partie de leur pouvoir fiscal, alors que les intercommunalités et les communes l’exerceraient « encore activement ». L’AMF s’inscrit en faux avec cette analyse, comme elle l’a écrit dans sa réponse à la Cour des comptes, que Maire info a pu consulter : » « Le bloc communal a perdu le levier fiscal puisque les deux tiers des produits de la fiscalité locale dépendent désormais des propriétaires », écrit l’association, qui rappelle en outre que « le dispositif de compensation de la taxe d’habitation sur les résidences principales écrête les recettes fiscales de certains territoires pour les rediriger vers d’autres », ce qui découd encore un peu plus le « lien contributif ».
Compensation injuste
Autre désaccord entre la Cour des comptes et l’AMF : la première juge que les suppressions d’impôts locaux ont été compensées aux collectivités « à un niveau plutôt favorable pour ces dernières ». L’AMF a toujours contesté, chiffres à l’appui, le fait que les compensations se soient faites « à l’euro près », et rappelle à quel point le système de compensation adopté rend les collectivités tributaires de variations qu’elles ne contrôlent plus. Dernier exemple en date : les erreurs de prévision de Bercy sur l’évolution de la TVA en 2024, qui ont abouti à ce que les budgets locaux se voient brutalement privés de quelque 500 millions d’euros, à la fin de l’année 2024.
De même, la compensation de la suppression de la taxe professionnelle évolue, par décision prise à Paris, « sans se soucier d’une quelconque équité pour les communes et les EPCI », pourtant « les plus perdantes à la disparition de la taxe professionnelle ».
« Vision comptable » vs « enjeu de société »
La Cour des comptes fait, à la fin de son rapport, un certain nombre de propositions pour pallier les inconvénients de ces réformes – sans toutefois oser conseiller de revenir tout simplement dessus. Elle fait quatre préconisations : l’intégration à court terme aux bases de la TFPB « les résultats de la révision sexennale de la valeur des locaux professionnels » ; l’engagement, « sans attendre », de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation ; la réforme de la compensation sous forme de points de TVA « en fonction de la richesse relative par habitant des collectivités » ; et enfin, une réflexion sur la DGF – la Cour propose de « répartir entièrement la DGF en fonction de données contemporaines de population, de ressources et de charges ».
Si l’AMF est tout à fait d’accord avec la proposition d’engager d’urgence la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, elle est, en revanche, beaucoup plus réservée sur les autres propositions de la Cour, en ce sens qu’elles ne remettent pas en cause le dispositif de « recentralisation des recettes » voulu par les gouvernements successifs. Aucune des solutions préconisées par la Cour ne résoudrait le problème, juge l’AMF. Par exemple, la proposition d’attribuer de la TVA en fonction « de la richesse relative par habitant » ne serait pas opérant, ne serait-ce que parce que « le seul revenu des habitants reste un critère très volatil, sans lien avec les bases cadastrales qui complètent utilement l’analyse de la richesse d’un territoire ». Pour l’AMF, c’est le dispositif de remplacement des impôts locaux par des points de TVA qui est problématique en soi, et le réformer conduirait donc à appliquer un cautère sur une jambe de bois.
Le constat est le même sur la réforme de la DGF proposée par la Cour des comptes : l’AMF estime que la question de la DGF ne peut être résolue que par une « réforme globale », parce que tout l’édifice de cette dotation a été profondément mis à mal par le gel de 2012, les baisses brutes appliquées entre 2014 et 2017, et le retour du gel depuis 2017. L’AMF, depuis plusieurs années, demande donc que la DGF soit entièrement remise à plat, en définissant « des critères pertinents de ressources et de charges, et notamment des charges de centralité, (et en) recherchant une combinaison équilibrée entre critères de ressources et de charges » … le tout devant commencer par une revalorisation sérieuse de l’enveloppe globale.
Fondamentalement, l’AMF reste fidèle à sa philosophie qui est, en l’espèce, très différente de celle prônée par la Cour des comptes. Elle rappelle que la fiscalité locale n’est pas qu’une question « comptable » mais « un enjeu de société » : « L’impôt local permet aussi de protéger le pouvoir d’achat des ménages en mutualisant le coût de l’accès aux services publics. ». L’AMF appelle à une réforme fiscale d’ensemble « reflétant l’autonomie de gestion des collectivités locales », et rappelle que seule « une fiscalité locale modulable par les ordonnateurs locaux permet de répondre aux besoins spécifiques (et de) financer les services publics nécessaires ».
Accéder au rapport de la Cour des comptes.
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