Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 4 janvier 2021
Environnement

Le Conseil d'État interdit définitivement aux maires de prendre des arrêtés anti-pesticides

Le Conseil d'État a rendu, le 31 décembre 2020, une décision très attendue sur la possibilité ou non, pour les maires, de prendre des arrêtés interdisant l'utilisation de pesticides sur le territoire de leur commune. Cette décision, qui fera jurisprudence, est claire : c'est un non ferme et définitif.

Il s’agit de la fin d’un long feuilleton juridique qui a démarré au printemps 2019, lorsque le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff, a pris un arrêté interdisant l’usage des pesticides à moins de 150 m de tout bâtiment d’habitation ou professionnel. Cette décision avait été suspendue en août 2019 par le préfet. Même si cette affaire avait, à l’époque, fait grand bruit, ce n’était pas une première : en 2017 déjà, le maire de Ruelle-sur-Touvre (Charente), avait déjà pris une décision du même type, immédiatement suspendue par le préfet au motif que le maire n’a pas le pouvoir de prendre une telle décision. 
En 2019, d’autres maires ont pris des décisions similaires voire, sont allés jusqu’à l’interdiction totale des pesticides sur leur commune, comme à Sceaux, Antony ou Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Systématiquement, les préfets ont cassé ces arrêtés municipaux, toujours pour le même motif : c’est le gouvernement, et non les maires, qui a seul le droit de prendre de telles mesures en matière de produits phytosanitaires. 

Un long feuilleton judiciaire

Le débat a continué pendant toutes les années 2019 et 2020, avec deux positions irréconciliables : celle du gouvernement et de ses préfets, soutenus par l’immense majorité des cours administratives, estimant que le maire n’a pas de pouvoir en la matière. Et celle de nombreux maires qui estiment qu’au titre de ses pouvoirs de police générale, le maire peut intervenir pour pallier une « carence »  de l’État. Seul le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 8 novembre 2019, a soutenu cette position : il a refusé de casser l’arrêté du maire de Gennevilliers, estimant que « eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique et l’environnement »  des pesticides, et « en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale », le maire a pu « à bon droit estimer que les habitants étaient exposés à un danger grave »  et prendre un arrêté pour les protéger. 
Mais le préfet des Hauts-de-Seine ne s’est pas arrêté là et a saisi la cour d’appel de Versailles pour attaquer la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Avec succès : le 14 mai 2020, la cour d’appel a annulé l’ordonnance du tribunal de Cergy. 
C’est le dernier épisode de ce feuilleton qui s’est joué au Conseil d’État, que la commune de Gennevilliers a saisi, en lui demandant d’annuler la décision de la cour d’appel de Versailles et de légaliser l’arrêté interdisant les pesticides sur le territoire de la commune. 

Fin du débat

Le couperet est tombé le 31 décembre : le Conseil d’État a fermé la porte, dans une décision très ferme. Balayant le débat sur une éventuelle « carence de l’État »  et le rôle de protection de la santé des populations que pourrait jouer le maire, les juges du Palais-Royal reviennent aux fondamentaux : « Le législateur a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques », et celle-ci a été « confiée à l’État »  – en l’espèce, au ministre de l’Agriculture. Dans ces conditions, même si les maires sont habilités par la loi à « prendre pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques », les maires « ne peuvent user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d'utilisation des produits phytopharmaceutiques qu'il appartient aux seules autorités de l'État de prendre ». 
Fin du débat donc – sauf si la loi devait changer à l’avenir – puisque le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative du pays : l’arrêté du maire de Gennevilliers, et par analogie tous les arrêtés similaires, sont donc jugés illégaux. 

Franck Lemarc

Accéder à la décision du Conseil d’État. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2