Scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille : le gouvernement choisit de passer outre le Sénat
Par Franck Lemarc
C’est dans une ambiance très particulière que s’est déroulée la séance d’après-midi à l’Assemblée nationale : alors que le débat sur la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des conseils municipaux des trois plus grandes villes de France débutait à peine, la présidente de la séance a interrompu les débats pour apprendre aux députés le décès de leur collègue Olivier Marleix, député de l’Eure-et-Loir, ancien maire d’Anet et, jusqu’en juin dernier, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale.
Sur tous les bancs, les députés ont fait part de leur stupéfaction et de leur tristesse, et chaque intervention, lors de la discussion générale sur ce texte, a commencé par quelques mots d’hommage à Olivier Marleix – le député LR Nicolas Ray luttant, à la tribune, pour retenir ses larmes.
Un hommage solennel sera rendu à Olivier Marleix à l’Assemblée nationale, par la présidente Yaël Braun-Pivet, aujourd’hui à 15 heures.
« Avancée majeure » ou « texte inconstitutionnel » ?
Après ce moment d’émotion collective, la politique a repris ses droits et le débat sur la proposition de loi a repris, dans un climat peut-être plus respectueux que d’habitude. Avec les mêmes clivages que ceux qui se sont faits jour depuis le début de l’examen de ce texte : sont favorables à la réforme les députés Ensemble, MoDem, LR, LFI et RN. Sont contre les socialistes, les communistes et le groupe Horizons.
Pour mémoire, il s’agit de mettre en place un nouveau mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille, permettant d’élire, en plus des conseils d’arrondissement, un conseil municipal élu au suffrage universel direct. Aujourd’hui, rappelons-le, les électeurs de ces trois villes n’élisent que les conseils d’arrondissement, et le conseil municipal, qui élit ensuite le maire, est une émanation de ces conseils d’arrondissement.
Le texte vise également à instaurer une prime au vainqueur de 25 % seulement, alors qu’elle est de 50 % dans les autres communes (la liste arrivée en tête gagne automatiquement 50 % des sièges, et les sièges restants sont répartis entre toutes les listes, y compris le vainqueur, à la proportionnelle). Le député MoDem Jean-Paul Mattei, rapporteur du texte hier, a longuement développé son soutien à ce point, estimant que « la prime majoritaire de 50 % écrase les oppositions et (que) c’est au mépris de celles-ci que la gouvernance des communes est assurée ». Il a même déclaré espérer que Paris, Lyon et Marseille allaient donner l’exemple à l’avenir d’un système différent « où l’on s’écoute, où l’on coconstruit, où les oppositions disposent de moyens pour effectuer leur travail et où la majorité n’est pas synonyme de quasi-unanimité » … Jean-Paul Mattei a dit souhaiter que la prime majoritaire de 25 % soit étendue, « un jour prochain » , à l’ensemble des communes.
Cette assertion selon laquelle les communes sont gouvernées « au mépris des oppositions » fera certainement tiquer bien des maires, qui n’ont l’impression « d’écraser » personne.
Quoi qu’il en soit, pour le rapporteur et ses alliés du moment, ce texte est donc « la correction d’une anomalie » et « une avancée majeure dans la démocratie municipale ». À l’inverse, pour les adversaires de cette proposition de loi – au premier rang desquels le futur candidat socialiste à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire –, la réforme proposée est « désastreuse, inutile, nocive et sans doute inconstitutionnelle » . Emmanuel Grégoire a longuement développé ce dernier moment, donnant les axes de la future saisine du Conseil constitutionnel que les socialistes ne manqueront pas d’organiser en cas d’adoption définitive du texte. Ils estiment en particulier que la prime majoritaire de 25 %, quand toutes les autres communes sont à 50 %, est une « dérogation injustifiée au principe d’égalité devant la loi électorale » . Par ailleurs, les socialistes pointent le fait que cette réforme va avoir des conséquences financières très lourdes pour les trois villes concernées – elles se comptent « en millions d’euros » , selon Emmanuel Grégoire. En effet, les trois villes devront organiser le même jour non pas un mais deux scrutins (un pour les conseils d’arrondissement et un pour le conseil municipal), voire trois à Lyon qui doit également élire les conseillers à la métropole. Les socialistes estiment donc que ce texte, dans son ensemble, aurait dû être regardé comme irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, puisqu’il crée une charge nouvelle sans créer de recette équivalente.
Passage en force
Tout au long des débats, hier, ces arguments des défenseurs et des adversaires du texte ont été répétés. Aucun des amendements proposés visant à amoindrir la portée du texte (par exemple en sortant Lyon de la réforme) n’a été adopté. Seuls trois amendements, techniques ou rédactionnels du texte, ont été adoptés, avant que le texte dans son ensemble soit approuvé par 117 voix pour et 34 contre.
Ce vote ne faisait pas de doute, puisque la majorité des députés est, depuis le début des débats, favorable à ce texte. En réalité, la question n’est pas là : après que la commission mixte paritaire eut échoué à trouver un compromis, du fait de l’opposition farouche du Sénat à cette réforme, le gouvernement avait le choix : ou il abandonnait la réforme, ou il faisait réinscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. C’est finalement ce qu’il a fait, ouvrant la voie à un passage en force, contre l’avis du Sénat qui est pourtant la chambre qui représente les collectivités. Les choses devraient maintenant aller très vite : le gouvernement souhaite que le texte soit définitivement adopté avant la fin de la session extraordinaire, c’est-à-dire d’ici la fin de la semaine.
Techniquement, c’est possible et cela devrait être fait : le texte sera examiné demain au Sénat – et certainement rejeté. Il restera alors à l’Assemblée nationale à donner le « dernier mot » en adoptant le texte, ce qui devrait être fait vendredi.
Politiquement, la chose est plus problématique. Adopter aux forceps un texte relatif aux communes qui contrarie profondément le Sénat ne devrait pas arranger les relations du gouvernement avec le Palais du Luxembourg et son président Gérard Larcher ; et encore moins les relations avec Les Républicains – du moins ceux du Sénat, farouchement opposés à ce texte contrairement à leurs collègues de l’Assemblée nationale. Or dans la très difficile négociation qui s’annonce sur le budget, le parti d’Emmanuel Macron aura besoin de tous ses alliés.
Il semble, pourtant, bien décidé à prendre le risque.
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