École primaire : la Cour des comptes demande à l'État davantage de concertation avec les collectivités
Par Franck Lemarc

L’organisation de l’école primaire est « en décalage avec les besoins des élèves ». Le titre même du rapport de la Cour des comptes rendu public hier donne le ton. Alors que l’État dépense plus de 20 milliards d’euros par an pour l’école primaire, et les collectivités locales au moins autant, l’école est « en situation d’échec » , constatent les magistrats financiers, avec « un déclin des performances scolaires des élèves » et un système qui ne parvient pas à aplanir les inégalités sociales.
La Cour des comptes voit néanmoins dans la baisse des effectifs – en 2028, le nombre d’élèves en primaire devrait passer sous la barre des 6 millions – une occasion de remettre à plat le système et de « repenser » l’école primaire.
Financements et temps scolaire
La Cour des comptes fait le constat que la dépense consacrée à l’école primaire « ne cesse de croître » mais qu’elle reste « mal évaluée », notamment pour ce qui concerne les dépenses des communes et EPCI. En 2022, ceux-ci auraient consacré autour de 19 milliards d’euros à l’école, mais ce chiffre, indique le rapport, est « vraisemblablement sous-estimé » : les dépenses scolaires sont « difficilement traçables » dans les budgets des communes de moins de 3 500 habitants, qui n’ont pas d’obligation de produire un budget ventilé par destination de dépenses. L’une des premières recommandations des rapporteurs est d’ailleurs de se donner les moyens de connaître de façon plus fine le financement exact venant des collectivités, « dont le rôle n’a cessé de croître ces dernières années ».
La Cour des comptes juge par ailleurs que l’organisation du temps scolaire est insatisfaisante – qu’il s’agisse de la journée, de la semaine ou de l’année scolaire. Elle reprend les données d’un rapport de l’Académie de médecine qui estimait en 2010 que la semaine sur 4 jours est « néfaste » pour les enfants. Les rapporteurs rappellent la tentative de 2013 avec le passage à la semaine de 4,5 jours – réforme qui n’a été « ni évaluée ni stabilisée », dans le contexte de la mise en place de la dérogation possible pour la semaine de quatre jours en 2017, devenue très largement majoritaire.
Creusement des inégalités
Au bilan, et malgré les efforts financiers de l’État comme des collectivités, « les inégalités s’aggravent » à l’école. Inégalités sociales d’abord, puisque l’école, jugent les magistrats, « amplifie le déterminisme social » : la corrélation entre les résultats scolaires et le milieu social des parents est de plus en plus marquée, et ces différences sont aussi marquées en entrée qu’en sortie de l’école primaire. Triste constat : alors que les enfants de cadre voient leur niveau scolaire « s’améliorer » au fil de la scolarité, celui des enfants d’ouvriers diminue.
Inégalités de genre, ensuite : le système scolaire échoue à « empêcher la mise en place d’une différenciation liée au genre des élèves ». Notamment en mathématiques, matière dans laquelle les filles « sont meilleures que les garçons en début de CP » , avant que le rapport s’inverse en début de CE1. Par la suite, « cet écart se creuse ».
Inégalités territoriales enfin : les enfants « scolarisés dans les centres urbains connaissent en moyenne une meilleure progression en CP » , et en fin de parcours, « le milieu rural est marqué par une proportion de bacheliers généraux et technologiques bien plus faible que le milieu urbain ».
Généraliser les RPI ?
La Cour estime qu’un des problèmes majeurs de l’école primaire est « la gouvernance » , qui est « à réformer ». Qu’il s’agisse du rôle du directeur d’école – qui n’a toujours pas de statut réel, regrettent les rapporteurs – ou de la mutualisation entre communes, plusieurs pistes sont à explorer, d’après la Cour des comptes. Celle-ci plaide pour la « généralisation » des RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux), au nombre de 4 800 environ aujourd’hui. Les RPI, selon la Cour, ont de multiples avantages, puisqu’ils permettent de mutualiser les équipements tout en préservant « le rôle des maires en tant qu’acteurs centraux de l’organisation territoriale du service public de l’éducation ».
Un des chapitres les plus notables de ce rapport est la demande d’une politique « qui doit être mieux concertée avec les collectivités ». Les magistrats financiers relèvent que le système reste encore « trop centralisé » et « ne tient pas assez compte de la diversité des territoires et des spécificités locales » . Ils notent que la fermeture d’une classe ou d’une école est « une inquiétude » majeure pour les collectivités, et que celles-ci doivent être étroitement associées à la préparation annuelle de la carte scolaire.
Il est nécessaire, soulignent les rapporteurs, de partager avec les élus les prévisions démographiques à moyen terme, sur chaque territoire. Les rapporteurs suggèrent un système de contractualisation entre les services de l’État et les collectivités, sous forme d’un engagement sur trois ans « concernant les révisions de la carte scolaire et l’affectation de postes d’enseignants, en contrepartie d’engagements réciproques des collectivités signataires, afin d’améliorer l’offre éducative et les conditions de réussite scolaire ».
Cette préconisation correspond à la demande de l’AMF, qui avait indiqué à la Cour sa volonté de signer un protocole d’accord avec l’Education nationale afin de poser une méthode de concertation plus resserrée avec les maires notamment en matière de carte scolaire. Ce protocole a été signé le 8 avril dernier, et va dans le sens de ces préconisations (lire Maire info du 6 mai).
En revanche, l’AMF a fait savoir que l’établissement d’un protocole d’accord ne peut pas s’accompagner d’une politique de systématisation des regroupements pédagogiques intercommunaux dans les zones confrontées à une baisse des effectifs, comme le recommande la Cour, ni d’ailleurs d’un transfert obligatoire de la compétence aux intercommunalités.
« Prise en charge globale du temps de l’enfant »
Enfin, la Cour espère que la baisse des effectifs scolaires va être l’occasion de « repenser le modèle actuel de l’école » pour répondre aux nouveaux « défis », notamment l’intégration du numérique et la transition écologique.
Dans ce cadre, la Cour des comptes plaide pour une plus grande « mise en cohérence » des activités scolaires, périscolaires et extrascolaires pour mettre en œuvre « une stratégie éducative fondée sur une prise en charge globale du temps de l’enfant ». Ce qui suppose, à tout le moins, une meilleure concertation entre les acteurs : le rapport cite le point de vue de l’AMF qui regrette que certaines initiatives gouvernementales, comme le Plan mercredi, les « vacances apprenantes », etc., aient été lancées sans concertation avec les collectivités, ce qui a nui à leur application. Il existe bien, souligne la Cour, « un déficit d’approches concertées entre les acteurs éducatifs et leurs partenaires extérieurs pour agencer et équilibrer les offres d’activités péri et extra scolaires » , et il convient de « mettre fin à l’empilement des dispositifs et des réformes menées sans recul temporel suffisant ».
En la matière, la Cour des comptes propose donc de développer « une approche concertée de l’organisation de ces activités », impliquant tous les acteurs de la communauté éducative, et, d’autre part, de systématiser des démarches « d’évaluation » permettant « d’identifier et de sélectionner les activités péri et extrascolaires les plus efficaces en termes d’apprentissages scolaires des élèves ».
Ce rapport de la Cour des comptes sera sans doute plutôt bien reçu par les maires, ses préconisations allant dans le sens de ce que l’AMF demande depuis longtemps : un travail mené en commun entre services académiques et collectivités, dont le rôle central dans la politique éducative est largement reconnu dans ce rapport. Le protocole d’accord signé par l’AMF a d’ailleurs vocation à couvrir tous les champs de collaboration entre l’Éducation nationale et les maires, outre la carte scolaire.
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