Eaux minérales en bouteille : un « scandale » décortiqué par le Sénat
Par Lucile Bonnin
Depuis 2019, la presse a révélé plusieurs affaires de contournement de la réglementation des eaux minérales par des géants du secteur comme le groupe Sources Alma (qui commercialisent notamment Cristalline) ou encore Nestlé.
« Dans un souci de transparence et de recherche de la vérité », comme l’expliquait en conférence de presse hier Laurent Burgoa, président de la commission d'enquête sur les eaux en bouteille, les sénateurs ont mené plus de 120 interviews au cours de 73 auditions.
Depuis le début de ces travaux l’affaire fait grand bruit. L’audition au Sénat de Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France (propriétaire de Vittel, Hépar, Contrex et Perrier) a même été « vue plus de 500 000 fois », a indiqué Laurent Burgoa. Le refus d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, de se présenter devant la commission d’enquête a aussi fait scandale. Ce dernier était soupçonné d’avoir facilité les démarches du groupe. Nestlé Waters a en effet réalisé des traitements interdits sur ses eaux mais a aussi donc bénéficié d’une « stratégie de dissimulation » du gouvernement.
Les industriels et l’État mis en cause
En conférence de presse, le rapporteur Alexandre Ouizille expose les faits : alors qu’est révélé le recours chez plusieurs industriels – notamment du groupe Sources Alma – « à des microfiltrations inférieures au seuil de 0,8 micron, pourtant considéré depuis 2001 par les autorités comme "seuil limite" afin d’éviter un impact sur la composition de l’eau », Nestlé Waters sentant le vent tourner décide de prendre les devants.
Le groupe rencontre ainsi en 2021 « le cabinet de la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, en présence de la DGCCRF. » Le groupe « reconnaît alors l’utilisation dans ses usines des Vosges et du Gard (Vittel, Hépar, Contrex, Perrier) de filtres à charbon actif et de traitements ultraviolets qui sont des mesures de désinfection, strictement interdites. »
« Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l’eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations », écrivent les sénateurs. Seule une saisine de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) est engagée. Les sénateurs n’hésitent pas à parler de la « dissimulation par l’État des informations et décisions concernant Nestlé Waters ».
Les sénateurs indiquent que dès ce rendez-vous avec le gouvernement, « Nestlé Waters adopte une attitude transactionnelle, posant explicitement l’autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l’arrêt de traitements pourtant illégaux ». En réponse, « la concertation interministérielle dématérialisée (CID) de février 2023 valide, de manière implicite, mais claire la filtration à 0,2 micron ».
« De son côté, la présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier », peut-on lire dans la sytnhèse du rapport. Si Alexandre Ouizille rappelle qu’il n’y a « pas de cas avéré de contamination grave », il souligne tout de même que « la gestion du risque sanitaire a été dégradée ». D’ailleurs, « les avis de l’Anses ne donnent absolument aucun blanc-seing pour une filtration inférieure à 0,8 micron ».
Une recommandation qui concerne les communes
Face à ce scandale d’une ampleur nationale, les sénateurs ont émis plusieurs recommandations. Ils proposent notamment de « renforcer le suivi du niveau des aquifères (1) sur le territoire et instaurer un suivi national de la qualité de la ressource des aquifères sur le territoire ».
Le rapport appelle aussi largement à renforcer les dispositifs de contrôle notamment en rappelant le caractère général de l’article 40 du Code de procédure pénale qui dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur. » Le rapporteur propose également de « donner instruction aux préfets, en lien avec les ARS, de vérifier, sur la base de l’expérience acquise dans les établissements Nestlé Waters et Alma, l’absence de traitements interdits sur les sites minéraliers de France ».
Afin d’évaluer les nouveaux risques, les sénateurs estiment important de « saisir l’Anses aux fins d’établir un avis complet sur les risques de contamination des processus de production d’eau minérale et de source par les PFAS et rendre public cet avis ». Il apparaît également essentiel de « mieux protéger le consommateur » en précisant parmi les mentions devant figurer sur l’étiquette des eaux minérales naturelles le recours à des traitements de filtration.
Les sénateurs appellent aussi le gouvernement à « conforter la fiscalité locale sur les eaux minérales naturelles ». « Les communes sur le territoire desquelles sont situées des sources d’eaux
minérales naturelles bénéficient d’une contribution dont le rendement total était de 18,4 millions d’euros en 2024 : il s’agit là d’une ressource fiscale essentielle pour les collectivités concernées. »
Le rapporteur a expliqué hier qu’il fallait impérativement revoir le régime fiscal des eaux minérales naturelles notamment « en étendant la contribution à toute exploitation d’eau souterraine, eau minérale naturelle, eau de source ou eau de boisson » ; « en supprimant le plafond de 0,58 € par hectolitre » et « en supprimant l’exonération de contribution pour l’eau vendue à l’exportation ».
Plusieurs propositions de loi annoncées
Le président de la commission a annoncé hier que cette dernière avait envoyé une « lettre à la ministre de la Santé pour lui demander de saisir l’Anses pour que l’agence donne un avis documenté destiné à servir à tous les préfets concernés pour prendre leurs décisions en matière de microfiltration sur des bases scientifiques partagées ».
En attendant, « nous voulons rédiger une proposition de loi reprenant les recommandations du rapport sur la protection et le contrôles des eaux en bouteille », a annoncé Laurent Burgoa. Un deuxième texte sera présenté via une proposition de résolution s’intéressant aux aspects réglementaires de la législation sur l’eau.
Enfin, les sénateurs veulent déposer « une proposition de loi visant à modifier l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires », en réponse notamment au refus d’Alexis Kohler de se présenter devant la commission.
(1) Un aquifère est un sol ou une roche réservoir originellement poreuse ou fissurée, contenant une nappe d'eau souterraine et suffisamment perméable pour que l'eau puisse y circuler librement.
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