Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 22 septembre 2025
Jurisprudence

Drapeaux étrangers au fronton des mairies : que dit la jurisprudence ?

À l'occasion de la reconnaissance officielle par la France de l'État de Palestine, aujourd'hui à New York, plusieurs maires ont décidé de pavoiser leur mairie d'un drapeau palestinien. Le ministre de l'Intérieur a demandé aux préfets d'interdire cette pratique, sur laquelle règne, pour le moins, un certain flou juridique. 

Par Franck Lemarc

Maire-Info
© Lingolsheim

« Il n’y a pas de règle. »  Interrogés, mardi dernier, lors de la conférence de presse de rentrée de l’AMF, sur les règles en vigueur concernant le pavoisement des mairies par des drapeaux étrangers, David Lisnard et André Laignel n’ont pu que constater le flou juridique qui règne en la matière. Depuis des années en effet, les décisions se suivent et ne se ressemblent pas toujours. 

« Ingérence contraire à la loi » 

Rappelons tout d’abord que cette question du pavoisement a pris de l’ampleur, ces derniers jours, après que le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, eut proposé lundi dernier de « faire flotter le drapeau palestinien sur nos mairies »  le 22  septembre, jour du discours d’Emmanuel Macron devant l’assemblée générale de l’Onu pour officialiser la reconnaissance officielle de l’État de Palestine par la France. 

Le ministère de l’Intérieur a rapidement réagi par la voix d’Hugues Moutouh, secrétaire général du ministère, qui a demandé aux préfets, par télégramme, de s’opposer systématiquement à ces pavoisements, au motif que « le principe de neutralité des services publics (les) interdit ». « Un tel pavoisement constitue une prise de parti dans un conflit international alors que la conduite de la politique internationale de la France relève de la compétence exclusive de l’État », poursuit le ministère de l’Intérieur, qui affirme qu’il s’agit là d’une « ingérence contraire à la loi, alors même que l’État de Palestine aurait été reconnu ». 

Du côté des défenseurs du pavoisement des mairies aux couleurs de la Palestine, on rappelle en revanche que le fait d’apposer un drapeau ukrainien au fronton des mairies a été toléré, voire encouragé par l’État au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et on dénonce un « deux poids deux mesures ». 

Que dit la jurisprudence ?

Jurisprudence

Plusieurs tribunaux administratifs se sont prononcés sur ce sujet ces derniers mois et, plus récemment, le Conseil d’État lui-même. Avec une position constante : le drapeau palestinien ne peut légalement être apposé au fronton d’une mairie. Mais il faut souligner que ces décisions sont antérieures à la reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

Ainsi, au mois de juin dernier, le tribunal administratif du Doubs, saisi par le préfet, a exigé que la maire de Besançon retire le drapeau palestinien apposé au fronton de la mairie. Le préfet avait usé du nouveau déféré-suspension prévu par la loi confortant le respect des principes de la République afin d’obtenir une réponse du tribunal sous 48 heures. La mairie, de son côté, a argué que le drapeau ukrainien figure depuis longtemps au fronton de la mairie sans que le préfet y trouve à redire… mais sans convaincre le juge, qui a estimé que l’apposition du drapeau palestinien est « la revendication d’une opinion politique », et contrevient en ce sens au principe de neutralité du service public. 

Des décisions similaires ont été prises par les cours administratives notamment pour les communes d’Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), ou de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. 

Deux décisions récentes du Conseil d’État – qui était resté muet sur ce sujet depuis plusieurs années – semblent venir conforter la position du ministère de l’Intérieur. Le 21 juillet d’abord, à propos de la commune de La Courneuve, puis le 16 septembre, pour le cas de Vitry-sur-Seine, le Conseil d’État a donné raison au préfet et confirmé la décision des tribunaux administratifs d’exiger le retrait de banderoles apposées sur les mairies de ces communes. Mais il faut noter qu’on est ici un peu à côté du sujet spécifique des drapeaux palestiniens – ou autre – puisque le Conseil d’État a rendu sa décision sur le fait d’afficher une banderole et un slogan (en l’occurrence : « Stop au génocide » ). « Il résulte des termes mêmes inscrits sur cette banderole (…), que la commune a entendu exprimer (…) une prise de position de nature politique au sujet d’un conflit en cours », écrit le Conseil d’État à propos de La Courneuve comme de Vitry-sur-Seine. Qu’aurait jugé le Conseil d’État pour un drapeau seul, sans banderole et sans slogan ? Il est impossible de le savoir, pour l’instant. 

Il faut en effet rappeler qu’au moins une décision inverse a été prise par un tribunal récemment, non sur le drapeau palestinien mais sur le drapeau ukrainien… mais dans des termes qui sont aisément transposables au conflit du Moyen Orient. Le tribunal de Versailles, en décembre dernier, a en effet jugé que l’apposition du drapeau ukrainien ne constituait pas une prise de position politique, et donc contraire au principe de neutralité, mais « un symbole de solidarité envers une nation victime d’une agression ». 

Par ailleurs, la reconnaissance officielle de la Palestine par la France va-t-elle changer quelque chose dans ce débat ? Jusqu’à présent, plusieurs tribunaux avaient retoqué l’apposition du drapeau palestinien au motif que celle-ci exprimait une position « contraire aux positions diplomatiques de la France ». Voire : à Besançon, la maire avait tenté de plaider, face au tribunal, le fait que le président de la République avait déjà annoncé son intention de reconnaître l’État palestinien (on était en juin dernier). Ce à quoi le préfet avait répondu qu’il ne s’agissait que de simples déclarations et « qu’aucune décision n’avait été prise ». Cet argument est plus difficile à invoquer aujourd’hui. 

Les deux arguments essentiels des différentes décisions s'appuient, quoi qu'il en soit, sur des éléments qui figurent en toute lettre dans la loi : le principe de neutralité du service public, d'une part, et, d'autre part, le fait que le COde général des collectivités territoriales ne permet aux communes que de prendre des posiitions sur des sujets « d'intérêt local ou communal ». Ainsi un tribunal administratif a-t-il annulé, il y a un an, une délibération d'une commune qui appelait à un cessez-le-feu à Gaza (lire Maire info du 22 octobre 2024).

Ordre public

Un dernier argument pourra, enfin, être reconnu par les tribunaux, si les préfets l’invoquent : c’est celui de risque de trouble à l’ordre public. Les juges – comme cela a déjà été le cas – peuvent estimer que dans le contexte tendu actuel, l’apposition d’un drapeau palestinien – ou israélien – est susceptible de créer des troubles, et s’appuyer sur cela pour les interdire. 

Reste que plusieurs spécialistes du droit public se montrent assez partagés sur ce sujet, rappelant qu’il y a une forte part « de subjectivité »  dans les décisions que prendront les juges, dans la mesure où il n’existe pas de disposition législative claire indiquant, tout simplement, qu’il est interdit de pavoiser une mairie aux couleurs d’un pays étranger, par exemple. D’autres spécialistes estiment qu’il pourrait tout à fait être admissible, au regard du droit, qu’une mairie appose le drapeau palestinien uniquement aujourd’hui, pour « relayer et saluer »  l’action du chef de l’État à New York. À condition de le retirer d’ici demain. 

Du côté de l’AMF, aucune consigne n’a évidemment été donnée à la veille de cette journée du 22 septembre. « Les maires sont libres et feront ce qu’ils voudront », ont dit, à l’unisson, David Lisnard et André Laignel mardi dernier. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2