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Édition du lundi 6 mars 2023
Déchets

Déchets de pneumatiques : un décret pour organiser la filière

Un décret paru au Journal officiel du samedi 4 mars fixe les règles en matière de responsabilité élargie des producteurs de pneumatiques, comme le prévoyait la loi Agec. Le décret prévoit que des contenants seront mis à disposition des collectivités, et aborde la délicate question des stocks issus de l'ensilage. 

Par Franck Lemarc

Ce n’est pas à proprement parler une nouvelle filière : la gestion des déchets de pneus « repose sur le principe de la REP depuis le début des années 2000 », rappelle le site vie-publique.fr. Mais il a fallu attendre la loi Agec du 10 février 2020 pour fixer la date de la mise en place des modalités d’agrément des éco-organismes : 1er janvier 2023. 

Le décret fixant les règles de gestion de la filière a donc pris un peu de retard : après une consultation publique organisée à l’automne dernier, il vient seulement d’être publié, avec une entrée en vigueur immédiate, sauf pour une mesure – celle concernant la reprise par les distributeurs des pneus usagés, qui s’appliquera en 2024. 

Le décret comporte également des dispositions spécifiques pour les collectivités ultramarines.

Contenants mis à disposition

Le décret précise d’abord quels sont les pneumatiques concernés par la nouvelle réglementation : en sont exclus tous ceux qui relèvent déjà d’une autre filière REP, à savoir les pneus de vélos et trottinettes électriques (filière des équipements électriques et électroniques), les pneus de vélos traditionnels (filière des équipements de loisir) et les pneus de brouettes (filière des articles de bricolage). 

Sont considérés comme des « producteurs »  les manufacturiers qui produisent en France ou qui importent, mais également les revendeurs. 

Le décret confirme l’interdiction absolue « d’abandonner, de déposer dans le milieu naturel ou de brûler à l'air libre des pneumatiques », de « réceptionner des déchets de pneumatiques dans les installations de stockage de déchets et dans les installations d'incinération sans valorisation énergétique de déchets », ainsi que de « réceptionner des déchets de pneumatiques dans les exploitations agricoles », ce qui renvoie à la problématique de l’ensilage (lire ci-dessous). 

Les structures qui réalisent des opérations de gestion des déchets pneumatiques sont désormais dans l’obligation de s’enregistrer auprès des éco-organismes. Cette mesure remplace l’obligation d’agrément préfectoral, récemment supprimée. 

Autre nouveauté : les collectivités ou EPCI, s’ils procèdent à la collecte séparée des pneus, doivent désormais « prendre les dispositions nécessaires permettant de préserver le potentiel de réutilisation, de recyclage et de valorisation de ces déchets en attendant leur collecte ». Cela consiste notamment à les protéger des intempéries, afin de préserver l’élasticité des caoutchoucs et éviter le desséchement. 

Point important pour les collectivités : les producteurs ou leurs éco-organismes doivent à présent « mettre à disposition des collectivités territoriales ou de leurs groupements compétentes », sans frais, « des contenants adaptés à la collecte de déchets de pneumatiques », si les collectivités en font la demande. Alternative possible : leur accorder « un soutien financier additionnel permettant de compenser les coûts d’acquisition de ces contenants ». Cette disposition, pendant la consultation publique, a fait tiquer les professionnels du recyclage, mais elle figure toujours dans le décret final. 

Outre-mer

Le décret ajoute un nouvel article dans le Code de l’environnement, spécifique aux Outre-mer. Il y est précisé que dans ces collectivités, « l'éco-organisme peut donner mandat à une personne morale afin que celle-ci mette en œuvre ou facilite la mise en œuvre pour son compte de tout ou partie des mesures de prévention et de gestion des déchets de pneumatiques relevant de son agrément ». Cette disposition, précise le gouvernement, vise à « tenir compte de l’organisation locale » : il existe en effet dans certains territoires ultramarins, notamment en Guadeloupe, Guyane, Martinique et à La Réunion, des associations locales de gestion des déchets de pneus. « Ces associations locales, détaille le ministère, regroupent leurs propres producteurs locaux (adhérents), perçoivent des contributions financières (le montant pouvant être plusieurs fois supérieur à celui des éco-organismes en métropole) et organisent la collecte et le traitement des pneus de façon très dépendante des conditions locales (surcoûts liés notamment à l’éloignement, à l’insularité de ces territoires, fragilités des voies de recyclage et de valorisation du fait d’un manque d’installations et de débouchés locaux…) » .

Reprise

Autre nouveauté dans ce décret : l’obligation, pour les revendeurs de pneus, de procéder à la reprise des pneus usagés, en « un pour un »  (avec obligation d’achat) ou en « un pour zéro »  (sans obligation d’achat). Cette obligation ne s’appliquera qu’aux détenteurs de voitures particulières, camionnettes et motos. Elle ne sera exigée que pour les revendeurs dont la surface de vente est supérieure à 250 m² et sera limitée à 8 pneus usagés par an et par personnes. Elle entrera en vigueur le 1er janvier prochain. 

La question de l’ensilage

Enfin, le décret aborde la question de l’utilisation des déchets de pneus pour l’ensilage, c’est-à-dire la conservation du fourrage avec fermentation, qui se fait couramment sous des bâches maintenues par des pneus usagés. 

On l’a dit, ce décret interdit la réception de pneumatiques usagés dans les installations agricoles. Par ailleurs, il prévoit que ces pneus issus de l’ensilage seront pris en charge par les éco-organismes, avec des modalités qui seront définies dans le cahier des charges de la filière. 

Cette question a été largement commentée pendant le débat public. Les professionnels de la filière pneus se sont en effet vigoureusement élevés contre cette disposition. En effet, arguent les producteurs, des pneus utilisés comme lests pour les bâches agricoles « perdent leur statut de déchet de pneumatiques pour devenir des agrofournitures », dont l’élimination devrait revenir « aux agriculteurs eux-mêmes ». Par ailleurs, « les pneumatiques d’ensilage, lorsqu’ils sont mis au rebut, n’ont plus aucune caractéristique d’un pneumatique usagé, leur gomme étant entièrement desséchée et craquelée et ayant perdu toute élasticité, essentielle à sa valorisation-matière. Les pneumatiques d’ensilage sont, de ce fait, totalement impropres à intégrer les cycles de recyclage et de valorisation réservés aux pneumatique routier/engin de chantier, au développement desquels œuvre la filière. » 

Côté agriculteurs, la FNSEA se dit, à l’inverse, tout à fait favorable à cette prise en charge. Elle « prend acte »  du fait que « la réception de nouveaux pneumatiques usagés dans les exploitations agricoles soit désormais interdite », ce qui revient, de fait, à une interdiction d’utiliser les pneus pour l’ensilage. Mais l’existence de stocks « massifs »  dans les exploitations agricoles « est une réalité », et « une solution doit être trouvée pour qu’ils soient éliminés ». Et on ne parle pas d’une broutille : la FNSEA évoque le chiffre de 800 000 tonnes. 

Parmi les solutions à creuser, la FNSEA invite à « une réflexion juridique et technique »  sur les possibilités de valoriser les stocks de déchets de pneus issus de l’ensilage « dans les cimenteries et les chaufferies », notamment « à un moment où les prix de l’énergie sont si élevés ». À suivre. 

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