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Édition du mardi 2 mars 2021
Décentralisation

Projet de loi 4D : le gouvernement s'attaque à de nouveaux « irritants », à défaut de proposer une grande loi de décentralisation

Suite du décryptage de l'avant-projet de loi 4D qui a été transmis par le gouvernement au Conseil d'État. Le texte propose un certain nombre de mesures de déconcentration et de « simplification de l'action publique locale » dont le but, dans la foulée de la loi Engagement et proximité, semble être de vouloir résoudre de mutliples petits « irritants ».
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Si le texte se montre bien peu ambitieux en matière de décentralisation (lire Maire info d’hier), il ne l’est finalement guère plus en termes de déconcentration. Seulement cinq articles du texte sont relatifs à ce chapitre.

Nouvelles prérogatives pour les préfets

Ce sont essentiellement les préfets qui sont concernés par ces dispositions. Les préfets de régions se verraient attribuer la fonction de délégués territoriaux de l’Ademe. Les préfets coordonnateurs de bassin deviendraient présidents du conseil d’administration des agences de l’eau, et les préfets de départements verraient leur rôle « conforté »  dans l’attribution des aides financières attribuées par ces agences. 
Le texte précise la portée des contrats de cohésion territoriale, créés en même temps que l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Ils pourront être conclus entre l’État, d’une part, et les communes et EPCI, de l’autre, les régions et départements pouvant être « parties prenantes ». Ces contrats, axés sur « des projets de développement et d’aménagement local », seraient cofinancés par l’État et les collectivités. 
Le projet de loi prévoit d’habiliter le gouvernement à prendre une ordonnance pour réformer le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), afin de permettre aux collectivités locales de participer à son financement et de « modifier sa gouvernance » : dans l’exposé des motifs, il est précisé que cette modification de la gouvernance se ferait « au profit »  des collectivités. Cette ordonnance sera intéressante à suivre : depuis plusieurs années, le Cerema voit ses moyens révisés à la baisse, et la question de son articulation avec la nouvelle ANCT reste encore très floue. 
Enfin, l’article 39 du texte a trait aux « espaces France service », qui ont vocation, à terme, « à remplacer les maisons de services au public »  (MSAP). On notera que de façon très surprenante, il est précisé dans cet article que « l’offre de services peut être organisée selon des modes d’accès dématérialisés ». À suivre là encore : les maisons de services au public ont précisément pour objectif d’assurer une présence concrète, humaine, des services publics. Si celle-ci devait être « dématérialisée », on ne voit pas bien quel en est l’intérêt – même si, aujourd'hui déjà, dans les MSAP, cette dématérialisation est déjà une réalité, du moins pour ce qui concerne les opérateurs de l'État.

Simplification : résoudre certaines « irritants » 

Ce sont finalement les mesures de simplification (le quatrième « D »  de 4D : la « décomplexification » ) qui sont les plus nombreuses dans ce texte (plus d’une vingtaine d’articles), sur les sujets les plus divers. Faute d’un grand texte de décentralisation, le gouvernement a finalement choisi, semble-t-il, de poursuivre dans l’esprit de la loi Engagement et proximité, et de multiplier des mesures modestes de simplification.
On retiendra notamment « l’accélération de la base adresse locale »  dans le but d’aider au déploiement du très haut débit. Un article consacre expressément la compétence du conseil municipal pour « décider de la dénomination des voies », et dispose que « la commune garantit l’accès aux informations en matière de dénomination des voies et de numérotation des maisons dans les conditions prévues par un décret ». 
Le texte vise également à « simplifier la répartition des tâches entre l’ordonnateur et le comptable » : ce dernier se verrait déléguer « les décisions d’admission en non-valeur de faibles montants ». Le comptable pourrait décider lui-même que certaines créances sont éteintes (en-dessous d’un montant qui serait fixé par décret), alors qu’aujourd’hui cette décision relève d’une délibération. Cette délégation serait facultative, mais vise à « alléger la charge »  des assemblées délibérantes.
L’article 44 vise à permettre aux collectivités de faire don de biens mobiliers dans les mêmes conditions que l’État, à des associations, des fondations ou d’autres collectivités, afin de favoriser l’économie circulaire.
L’article 45 permet de préciser le droit en matière de renonciation d’un président d’EPCI à fiscalité propre au transfert de pouvoir de police spéciale, dans le cas où une commune au moins à fait connaître son opposition. La rédaction actuelle du texte laisse entendre que ce renoncement ne peut être déclaré « qu’entre le 6e et 7e mois »  suivant l’élection du président. La nouvelle rédaction, plus claire, confirme que le renoncement peut être prononcé à n’importe quel moment des sept mois suivant l’élection. 
Suit une série de mesures de simplification en matière d’aménagement et d’environnement : élargissement aux syndicats mixtes du droit de préemption des terres agricoles sur les aires d’alimentation des captages d’eau potable ; clarification du régime de protection des alignements d’arbres ; simplification de la répartition des compétences en matière d’entretien des réseaux de distribution de gaz. Sur ce dernier point, le projet de loi prévoit le transfert aux collectivités des conduites d’immeuble (conduites montantes) lorsque celles-ci ne sont pas déjà intégrées dans la concession. 

Entreprises publiques locales et Outre-mer

Plusieurs articles visent à réformer les EPL (entreprises publiques locales). Il est notamment proposé de « renforcer leur contrôle par les assemblées délibérantes », de renforcer le rôle du commissaire aux comptes dans le contrôle des EPL ainsi que d’étendre le rôle de l’Afa (Agence française anticorruption) à l’ensemble des sociétés publiques locales. Par ailleurs, le texte dispose que les délibérations des instances dirigeantes des sociétés d’économie mixte locales seront réputées « nulles »  si elles ne sont pas transmises sous 15 jours au préfet. 
Pour ce qui concerne les outre-mer, le texte propose la création à titre expérimental d’un « état de calamité naturelle exceptionnelle ». La déclaration de cet état impliquerait « la suspension des délais administratifs »  et des dérogations au Code général des collectivités territoriales « pour assurer la permanence des institutions ». 
L’article 60 reporterait à 2031 le transfert au bloc local de la zone des 50 pas géométriques et, en conséquence, la fin des agences des 50 pas géométriques.
Le projet de loi prévoit enfin la création en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte « d’une catégorie d’établissements publics à caractère industriel et commercial en matière de formation professionnelle ». 
Il faut maintenant attendre l’avis du Conseil d’État sur ce texte, avis qui n'interviendra qu'après examen de celui-ci par le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), ce qui donnera aux représentants des élus l’occasion de s’exprimer à son propos. Cet examen au Cnen, d'après nos informations, devrait se faire lors d'une séance exceptionnelle, en présence de la ministre Jacqueline Gourault, au plus tôt le 11 mars. 
Le texte devrait ensuite être présenté en Conseil des ministres « fin mars ou début avril ». Sera-t-il ensuite débattu au Parlement dans des délais qui laisseraient entrevoir l’espoir qu’il soit adopté avant la fin du quinquennat ? C’est encore loin d’être certain. 

Franck Lemarc

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