Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 2 juillet 2020
Décentralisation

Décentralisation : le Sénat propose un « renversement de la logique institutionnelle » entre l'État et les collectivités

Comment Emmanuel Macron va-il traduire (dans la loi 3D ?) sa proposition, déjà égrenée en conclusion du grand débat national (lire Maire info du 26 avril 2019) l’an passé - lorsque le président de la République se disait acquis à « un nouvel acte de décentralisation »  - d’accorder « des responsabilités inédites »  aux maires échaudés après les réformes territoriales menées sous le dernier quinquennat (lire Maire info du 15 juin) ? 
Sa réflexion sera, peut-être, alimentée par la proposition de résolution du sénateur Éric Kerrouche (Landes, PS). Dans ce texte, adopté par le Sénat le 25 juin, le conseiller municipal de la ville de Capbreton appelle le chef de l’État et le gouvernement, « pour approfondir la décentralisation du pays », à « changer notre manière de l’appréhender ».
Pour lui, « il s'agit d'admettre que, territorialement, nous sommes en fin de cycle et que des solutions inédites doivent voir le jour. La relance économique, sociale et culturelle comme la transition écologique passent nécessairement par les territoires, outils essentiels du monde résilient de demain ». 

Création d’une loi de financement des collectivités et d’une « dotation verte territoriale » 
Ce qui supposerait, selon le sénateur, « un renversement de la logique institutionnelle qui préside à notre organisation territoriale ». Les compétences de l'État seraient ainsi « limitativement énoncées dans la Constitution », quand celles des collectivités locales deviendraient « la règle pour tous les autres sujets ». « Cela ne signifie pas pour autant que l'État doit s'effacer devant les collectivités territoriales, mais en être le partenaire », tempère le sénateur par la suite. 
Sans le dire tel quel, Emmanuel Macron avait égratigné, lui aussi, un État (trop ?) « centralisateur » : « Tout ne doit pas être si souvent décidé à Paris (…) L’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer », a-t-il observé, faisant ici écho à une phrase prononcée par son Premier ministre, Édouard Philippe, lors de la présentation de la réforme de la SNCF, à la fin de l’hiver 2018 (« On ne décide pas la fermeture de 9 000 kilomètres de petites lignes depuis Paris » ). Une des raisons de la colère des Gilets jaunes qui avait poussé l’exécutif à annoncer la création de 2 000 Maisons France Service et le transfert de 6 000 fonctionnaires parisiens en régions d’ici 2022 (lire Maire info du 18 novembre 2019).
Pour aller plus loin dans ce qu’Éric Kerrouche n’hésite pas à qualifier de « transformation », le sénateur plaide en faveur de la création d’une loi de financement des collectivités territoriales mais aussi d’autres « évolutions indispensables »  telles que « la redéfinition du ratio d'autonomie financière, la révision des dotations de l'État, la réforme fiscale ou encore la compensation intégrale et évolutive de transfert de charges de l'État ». « Ces aspects ne sauraient être dissociés de la question environnementale et sociale des politiques publiques qui doivent notamment se traduire par la création pour chaque niveau de collectivité d'une « dotation verte territoriale »  pour des territoires « décarbonés » , susceptible d'être abondée partiellement par des placements citoyens du type ‘Livre d'épargne pour la transition locale’ », poursuit-il.

Une spécialité fonctionnelle pour chaque niveau de collectivités, sauf pour les communes
Pour ce qui concerne les compétences, Éric Kerrouche suggère que les différents niveaux de collectivités soient chacun marqués par une spécialité fonctionnelle. « Cette dernière doit être réaffirmée, sauf en ce qui concerne la commune, qui doit garder une compétence générale, tout en restant indéfectiblement liée à la structure intercommunale à laquelle elle appartient pour favoriser la réalisation de projets communs et la mise en œuvre localisée de la nécessaire solidarité territoriale », explique-t-il. En séance publique, sa collègue Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine, Union centriste) abondait dans son sens : « Nous devons construire une ossature d’architecture qui replace la commune au cœur du dispositif, par sa compétence générale. Il faut aussi définir, pour chaque niveau d’organisation, un cœur de métier, en permettant une articulation avec d’autres collectivités territoriales par des délégations ou des contractualisations ».
« Un droit à la différenciation favorisant l'innovation territoriale doit lui aussi être consacré », ajoute Éric Kerrouche.

Services publics équitablement répartis, fin de la logique de la frontière administrative
Le sénateur a, enfin, regretté que « chaque entité travaille dans et pour son périmètre, en fonction de ses compétences propres, sans coordination avec ce que les autres font dans le leur », alors que « la population, caractérisée par une logique de multiplication des déplacements, qu'ils soient pendulaires ou non, n'a que faire des discontinuités de politiques publiques qu'elle subit plutôt qu'elle ne choisit (…) Il nous semble que l'ensemble des actions locales doivent être envisagées à l'aune d'une pensée dont la finalité exige une redéfinition des coopérations mises en œuvres pour qu'il y ait une continuité réelle des services rendus au public ». 
Et le sénateur d’en déduire : « Bref, il faut rompre avec la logique de frontière administrative »  au profit d’une « interterritorialité », « condition de l'affirmation d'une nouvelle justice spatiale qui doit aller des ruralités françaises aux zones urbaines en difficultés ». Celle-ci « se manifestera par l'établissement à l'échelon départemental - ou interdépartemental - d'un ou de pactes interterritoriaux prescriptifs qui s'assureront, dans le cadre d'une coopération entre tous les niveaux de gouvernement et leurs groupements, d'une distribution équitable des biens, politiques et services publics accessibles en moins de 30 minutes aux citoyens du périmètre concerné ».
En attendant la prise de position d’Emmanuel Macron sur la question, Gérard Larcher, président du Sénat, présentait ce matin ses propres propositions sur la décentralisation, sur lesquelles Maire info reviendra demain. Avant une conférence de presse sur le sujet, le 8 juillet, avec l'association Territoires unis, qui regroupe l'AMF, l'AdF et Régions de France.

Ludovic Galtier

Accéder à la proposition de résolution.

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