La réforme du Pass culture se dessine, entre restrictions et redirections
Par Lucile Bonnin
« S'il est repensé, le Pass culture mérite un avenir moins houleux que ses premières années de vie » , a indiqué jeudi dernier le président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, Laurent Lafon, à l’occasion d’un débat sur l’avenir de ce dispositif.
Rappelons d’ores et déjà que le Pass culture est constitué de deux parties : un crédit individuel et un crédit collectif utilisable sous la responsabilité d’un enseignant.
Ces dernières années, le Pass culture est en effet sous le feu des critiques. En décembre dernier, la Cour des comptes fustigeait sa mauvaise gestion, son coût non maitrisé, ses promesses non tenues (lire Maire info du 18 décembre). Un rapport de l’Igac (Inspection générale des affaires culturelles) publié en 2024 regrettait les impacts « contrastés » sur les pratiques culturelles des bénéficiaires. Au Sénat aussi, les conclusions sur ce dispositif sont mitigées : « Dans leur rapport budgétaire, nos collègues Didier Rambaud et Vincent Éblé ont posé en 2023 un diagnostic en demi-teinte : les résultats en volume sont bons, mais le Pass ne diversifie pas assez l'accès à la culture. »
Face à des critiques qui convergent, Rachida Dati, ministre de la Culture, a ouvert la voie à une réforme du Pass culture, notamment en annonçant sa modernisation en octobre dernier dans une tribune paru dans Le Monde (lire Maire info du 15 octobre).
Les sénateurs ont souhaité interroger la ministre jeudi dernier sur les contours de cette réforme et notamment sur le rôle que joueront les collectivités dans cette dernière.
Une part individuelle réduite
Fin d’année dernière, la ministre souhaitait d’abord « donner davantage aux jeunes de condition modeste » et rompre avec la totale liberté donnée aux jeunes de dépenser les sommes versées : « Je veux qu’au sein du crédit ouvert pour chaque jeune une part soit désormais réservée au spectacle vivant. »
Lors du débat au Sénat, Rachida Dati a indiqué qu’en l’état, « le Pass culture n'est pas assez démocratique » et « peut même renforcer la reproduction sociale. » En effet, « neuf enfants de diplômés sur dix sont inscrits au Pass culture, contre sept enfants de non-diplômés sur dix. La différence est importante. »
Dans cette réforme, qui sera effective avant la fin de l’année 2025, le gouvernement souhaite travailler « sur la conditionnalité : nous connaissons tous des jeunes dont les parents ont les moyens, mais qui ne sont plus à leur charge - il n'y a pas de raison qu'ils soient pénalisés. Nous proposerons une dotation supplémentaire pour les boursiers ».
La ministre a ajouté que « les montants alloués aux différents âges » seront ajustés et que « la part individuelle commencera à 17 ans », alors qu’elle est actuellement ouverte à partir de 15 ans.
Offre culturelle : transparence et médiation
Sur la question de l’offre culturelle, la diversification des pratiques n’est pas satisfaisante. « Le spectacle vivant ne représente que 6 % des consommations du Pass culture et les musées moins de 1 %, alors qu'ils constituent l'essentiel de la part collective. Cela s'explique par une médiation inexistante », a indiqué la ministre. « J'ai donc pris l'initiative de recevoir les acteurs de l'éducation populaire, qui n'avaient pas été reçus au ministère de la Culture depuis plus de quarante ans. Il est nécessaire d'éditorialiser l'application du Pass culture, sans quoi les jeunes s'y perdront ou ne rechercheront que ce qu'ils connaissent déjà. »
Rappelons que la Cour des comptes avait souligné que le dispositif a financé 16 millions d’euros d’activités d’escape games. Pour mettre en avant davantage le spectacle vivant, « les critères seront revus et objectivés, en toute transparence », car, rappelons-le, toutes les activités culturelles ne sont pas éligibles d’office. C’est « l'opacité de l'attribution des agréments » aux offres culturelles qui a souvent été dénoncée. Comme l’a recommandé la Cour des comptes, la « SAS pass Culture deviendra un opérateur public, avec davantage de contrôle du ministère ».
L’offre de proximité va aussi être valorisée. « La médiation et la géolocalisation sont les nouvelles avancées du Pass, explique la ministre. Un jeune à Marseille voit l'offre culturelle disponible à côté de chez lui, et pas ce qui se passe à Paris ». Ainsi, les offres financées par les collectivités pourront être mises en avant.
« Plus on discute avec les élus locaux, plus on aura une offre culturelle riche, comme l'est la France de sa culture », a conclu Rachida Dati. Pour sa part, l’AMF avait plaidé pour la diffusion d’un guide pratique expliquant aux élus les modalités d’intégration des offres culturelles sur la Pass culture.
Collectivités et mobilité
« Autre point crucial » pour réformer le Pass culture et le rendre plus « démocratique », selon Rachida Dati, agir sur la mobilité des jeunes en milieu rural. Les collectivités ont ici un rôle à jouer : « Dans le Grand-Est, nous avons expérimenté la convention Caravelle : les collectivités territoriales financent les coûts de mobilité. Je signerai avec François Sauvadet, président de Départements de France, une convention pour éviter tout désengagement et encourager encore plus la mobilité, afin de renforcer l'accès à la culture. »
Des partenariats ont été signés, avec la Charente-Maritime par exemple, et des expérimentations sont menées avec certaines régions pour développer « de nouvelles formes de mobilité, dont du covoiturage pour les festivals ». Des contrats de territoire sont en train d’être rédigés « avec les moyens nécessaires ».
« Les dispositifs expérimentés en 2024 pour renforcer la mobilité du Pass seront généralisés en 2025 », a-t-elle enfin annoncé.
Part collective menacée
En fin de semaine dernière, un gel de la part collective du Pass culture a été annoncé. Cette dernière finance pour l’année 2024-2025 les activités et sorties culturelles des collégiens et lycéens.
Le ministère a indiqué que « dans le contexte budgétaire actuel, le budget prévu en 2025 de la part collective du Pass culture s’élève à 72 millions d’euros. Pour permettre aux actions culturelles de se tenir jusqu’à la fin de l’année scolaire, tout en disposant de crédits suffisants pour qu’elles reprennent à la rentrée scolaire de septembre 2025, 50 millions d’euros sont dédiés à la période janvier-juin 2025. Aussi a-t-il été demandé aux services académiques de concentrer en particulier leur attention sur les établissements n’ayant pas encore réservé d’action culturelle ».
Dans un communiqué, la CGT Éduc'action indique que « la part collective du Pass Culture est bloquée à partir de ce 31 janvier et jusqu’à la fin de l’année scolaire, alors même que les personnels travaillent depuis des mois avec les professionnels de la culture pour organiser des sorties ou faire venir des artistes dans les lycées et les collèges. Les équipes ont été totalement prises au dépourvu et mises devant le fait accompli. Comme dans certaines collectivités, faire de la culture la variable d’ajustement du ministère pour faire des économies, n’est pas acceptable ».
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