Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 6 octobre 2025
Crise politique

La démission surprise du Premier ministre acte la mort du « socle commun » et aggrave un peu plus la crise politique

Une quinzaine d'heures après la nomination de son gouvernement, le Premier ministre Sébastien Lecornu a remis sa démission au président de la République, qui l'a acceptée. Le « socle commun » a vécu, et l'unité du « bloc central » vole en éclats. Récit.

Par Franck Lemarc

Maire-Info
© Gouvernement

Socle commun : heure du décès, lundi 6 octobre, 9 h 45. Sébastien Lecornu avait promis, lors de sa prise de fonction, une « rupture », mais il ne pensait pas forcément à celle-là. Quelques heures après l’annonce d’un gouvernement presque copié-collé du précédent, pourtant renversé par les députés, le « socle commun »  a explosé, et le Premier ministre a démissionné.

Copié-collé

Le Premier ministre a donc décidé de prendre les devants, quelques heures avant une réunion des instances des Républicains lors de laquelle ceux-ci se préparaient à annoncer leur sortie du gouvernement. Déjà, dès hier soir, le « bloc central »  (Renaissance, MoDem, Horizons et UDI) s’était trouvé privé d’un de ses membres, l’UDI, et l’on sentait le « socle commun »  – l’alliance du bloc central  avec Les Républicains mise en place par Michel Barnier – au bord d’exploser. C’est le résultat de l’annonce, hier, d’un nouveau gouvernement, annonce par laquelle le chef de l’État et le Premier ministre ont réussi l’exploit de fâcher tout le monde.

On attendait un nouveau gouvernement, on a eu un (petit) remaniement. Dix-huit ministres ont été nommés hier, dont la liste a été aussitôt officialisée dans une édition spéciale du Journal officiel, ce qui signifie que, même après la démission de ce gouvernement, c'est bien cette équipe qui assurera les « affaires courantes »  dans les jours ou les semaines à venir. Sur ces 18 ministres, 14 faisaient déjà partie de l’équipe précédente, et n’ont pas changé de portefeuille. À commencer par les quatre ministres d’État, Élisabeth Borne (Éducation nationale, Enseignement supérieur et Recherche), Manuel Valls (Outre-mer), Gérald Darmanin (Justice) et Bruno Retailleau (Intérieur). 

Deux sorties étaient en revanche certaines : celle d’Éric Lombard, ancien ministre de l’Économie, qu’il n’était tout de même pas possible de garder au gouvernement dans la mesure où c’est précisément sur les questions budgétaires que le gouvernement Bayrou est tombé ; et celle de François Rebsamen, ancien ministre de la Décentralisation, qui avait annoncé dès la semaine dernière qu’il ne souhaitait pas participer au nouveau gouvernement. 

Il avait été remplacé par Éric Woerth, député ex-LR et aujourd’hui macroniste de l’Oise et ancien maire de Chantilly. C’est donc à lui qu’aurait dû échoir la mise en œuvre du « grand acte de décentralisation »  voulu par Sébastien Lecornu. Ce choix n’avait rien de surprenant, dans la mesure où Éric Woerth a été récemment chargé d’un rapport sur la décentralisation, rapport qui a été rendu en mai 2024 et qui plaidait pour « un nouvel acte de confiance et de partage du pouvoir »  entre État et collectivités (lire Maire info du 24 mai 2024) – ce qui est très exactement ce que disait souhaiter l'ex-Premier ministre. 

Quant aux clés de Bercy, elles avaient été confiées au très macroniste député Roland Lescure – qui a déjà été ministre pendant deux ans, sous Élisabeth Borne et Gabriel Attal, à l’Industrie et à l’Énergie. 

Il restait enfin à remplacer Sébastien Lecornu lui-même au ministère des Armées. C’est là qu’est intervenue la principale surprise : le retour de l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire – qui affirmait le 22 septembre dernier qu’un retour au gouvernement était « totalement exclu »  et que son « retrait de la vie politique »  était irrévocable. Bruno Le Maire a pourtant décidé de « ne pas se dérober », a-t-il twitté hier. 

Seuls deux ministres sur 18 faisaient leur apparition pour la première fois au gouvernement : le macroniste Mathieu Lefèvre, en tant que ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, ce qui promettait d’être un poste particulièrement difficile pour ce député pourtant peu connu pour son sens du compromis. Enfin, la députée MoDem Naïma Moutchou prenait la place à la fois de Laurent Marcangeli et de Clara Chappaz, en devenant ministre d’un étonnant ministère de la Transformation et de la Fonction publique, de l’Intelligence artificielle et du Numérique.

On notait également deux départs importants du gouvernement : ceux de Valérie Létard (Logement) et de Françoise Gatel (Ruralités). Ces deux ministres sont membres de l’UDI, formation de centre-droit qui faisait partie du « bloc central » … jusqu’à hier soir. En fin de soirée, après avoir réuni ses instances à la suite de l’annonce de ce gouvernement, l’UDI a en effet annoncé « reprendre son entière liberté », c’est-à-dire qu’elle quitte le bloc central. Ce qui n’est pas sans importance, lorsque l’on se souvient que l’UDI compte 23 sénateurs – qui ne compteront donc plus automatiquement parmi les soutiens du gouvernement. 

Vers la fin du « socle commun » 

Plus que cette annonce de rupture de l’UDI, le coup de tonnerre de la soirée a pris la forme d’un tweet du ministre de l’Intérieur et président des Républicains, Bruno Retailleau : « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain le comité stratégique des Républicains. »  Cette réunion devait décider si Les Républicains restaient au gouvernement ou en sortaient – à peine quelques heures après y être rentrés, ce qui serait inédit dans les annales de la Ve République.

La participation du parti de droite au gouvernement avait pourtant été actée, quelques heures plus tôt, lors d’une réunion des responsables et des parlementaires LR, malgré l’opposition de Laurent Wauquiez, qui avait tenté de défendre une sortie du gouvernement, estimant que « participer, c’est cautionner ». Bruno Retailleau l’avait emporté, mais sans vraiment convaincre les parlementaires LR, échaudés par la « lettre de cadrage »  envoyée la veille par le Premier ministre et qualifiée, de l’avis général des cadres du parti, « d’indigente ».

Mais après l’annonce officielle du gouvernement, il semble que la base du parti ait rué dans les brancards : alors que Bruno Retailleau demandait « qu’un tiers »  du gouvernement soit LR, c’est au final un peu moins d’un quart (4 ministres sur 18, Bruno Retailleau, Annie Genevard, Rachida Dati et Philippe Tabarot). Certes, on peut arguer que certains ministres sont d’anciennes figures des LR, comme Sébastien Lecornu lui-même, Gérald Darmanin, Catherine Vautrin, Bruno Le Maire ou Éric Woerth, mais cela ne pesait visiblement guère dans l’appréciation du parti de ce nouveau gouvernement. Après la nomination de Sébastien Lecornu, un très proche du président, à Matignon, le nouveau gouvernement, majoritairement composé de macronistes, apparaît comme un « resserrement autour de Renaissance », selon des cadres LR.

Pire encore, il semblerait, d’après l’entourage de Bruno Retailleau, que Sébastien Lecornu n’avait pas prévenu le ministre de l’Intérieur du retour au gouvernement de Bruno Le Maire, ce qui a été vécu comme une trahison par Les Républicains. 

Devant la colère des militants et des cadres du parti, dont beaucoup, à quelques mois des municipales et alors que des législatives anticipées semblent de plus en plus probables, n’ont pas du tout envie d’accrocher leur barque à un paquebot gouvernemental aux allures de Titanic, Bruno Retailleau n’a pas eu d’autre choix que d’envisager un recul. D’autant plus que plusieurs figures du parti, au-delà de Laurent Wauquiez, demandent un retrait du gouvernement. C’est le cas de Xavier Bertrand, ce matin, ou encore du maire de Cannes, David Lisnard, qui a annoncé hier qu’il quitterait le parti « si cette participation au gouvernement (était) confirmée ». 

Motion de censure

Le président de la République et le Premier ministre étaient donc, à nouveau, dans l’impasse. Non seulement du fait de la perspective d’un départ de LR du gouvernement, mais également à celle de la réunion des parlementaires RN, prévue également aujourd’hui, qui devait décider de leur attitude face au nouveau gouvernement – autrement dit, s’ils décidaient de le censurer immédiatement ou pas. On se rappelle que Jordan Bardella avait déclaré, au moment de la nomination de Sébastien Lecornu, que ce serait « la rupture ou la censure ». Marine Le Pen ayant estimé hier que la nomination du gouvernement est « un bras d’honneur aux Français », il semble que c’est la deuxième partie de cette alternative qui tenait la corde. 

Rappelons que La France insoumise et les écologistes avaient promis qu’ils déposeraient une motion de censure dès la reprise des travaux parlementaires, c’est-à-dire demain. Le PS, ce matin, s’orientait vers le vote de cette motion de censure.

Si le RN et le PS votaient la motion de censure, c’en était fini du gouvernement Lecornu avant la fin de la semaine. 

Et au-delà de l’explosion du « socle commun », il n’est même pas certain, au vu des déclarations récentes des uns et des autres, que le « bloc central »  existera encore dans les semaines à venir : lorsque l’on voit les déclarations de Gabriel Attal fustigeant le « spectacle affligeant »  offert par le monde politique, l’attitude d’Édouard Philippe qui s’est bien gardé d’accepter le poste de ministre des Armées qui lui a été proposé, ou celle de Marc Fesneau demandant, pour le MoDem, « des clarifications »  à Sébastien Lecornu, on se dit que le bloc central n’a désormais plus de bloc que le nom. 

« Appétits militants » 

Sébastien Lecornu, deux heures après sa démission, s’est adressé à la presse lors d’une brève allocution où, de façon quelque peu baroque, il a souhaité faire passer « un message d’espoir et d’optimisme ». Selon lui, les négociations menées ces trois dernières semaines lui laissent penser qu’il existe « un chemin »  pour les « compromis », les « lignes rouges »  pouvant se transformer en « lignes vertes ». « Il suffirait de peu pour que cela fonctionne. »  Il a toutefois acté que les conditions pour remplir la mission que lui a confiée le chef de l’État « ne sont plus réunies », reconnaissant que le processus de nomination du gouvernement n’a « pas été fluide »  et a « donné lieu à des réveils d’appétits partisans ». Entre les lignes, l’ex-Premier ministre a reproché à ses différents interlocuteurs d’avoir les yeux rivés sur les prochaines échéances électorales, et a conclu son intervention, policée, par une cinglante formule : « Je suis un militant, je respecte l’engagement militant, mais il faut toujours préférer son pays à son parti. » 

Au fil des rebondissements de cette séquence politique inouïe, au sens propre du terme, il semble que la dissolution de l’Assemblée nationale est en train de devenir, chaque jour un peu plus, la seule option possible. Sans aucune certitude que celle-ci permettra de sortir de l’impasse politique totale dans laquelle est englué le pays. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2