Maire-info
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Édition du mardi 11 mai 2021
Coronavirus

Période transitoire, pass sanitaire : débats houleux à l'Assemblée nationale

Le débat en séance publique sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de la crise sanitaire a débuté hier à l'Assemblée nationale, dans une ambiance houleuse. Beaucoup de députés dénoncent, dans le calendrier proposé, « une prolongation de l'état d'urgence qui ne dit pas son nom » ; et l'introduction, par le gouvernement, du pass sanitaire par amendement passe mal. 

Par Franck Lemarc

Ce texte propose d’instaurer une période de transition qui courrait du 2 juin au 31 octobre. Pendant cette période, le Premier ministre conserverait des prérogatives dérogatoires au droit commun, puisqu’il aurait toujours la possibilité de restreindre ou d’interdire les déplacements des personnes, de façon territorialisée. Il pourrait également prononcer la fermeture de certains ERP (établissements recevant du public) et « réglementer les rassemblements de personnes, les réunions ou les activités sur la voie publique ». L’instauration d’un couvre-feu serait également possible pendant cette période – et elle sera appliquée, puisque le couvre-feu national va durer jusqu’au 30 juin, hors de l’état d’urgence sanitaire, donc. 
Par ailleurs, un amendement de dernière minute ajouté par le gouvernement à son texte prévoit l’instauration du pass sanitaire : il s’agirait de réglementer l’accès aux personnes à « certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels ». Pour pouvoir y accéder, ces personnes devraient pouvoir attester de leur vaccination complète, d’un test négatif suffisamment récent ou présenter « un document attestant de leur rétablissement à la suite d’une contamination par le covid-19 » 
La rédaction de cette disposition est assez floue, puisque, notamment, elle ne comporte aucun chiffre à partir duquel ce pass serait obligatoire. C’est dans l’exposé des motifs de son amendement, seulement, que le gouvernement a indiqué le chiffre de 1000 personnes, repris partout depuis. 

État d’urgence « qui ne dit pas son nom » 

Avant même la discussion des articles du projet de loi, deux heures de débat ont eu lieu sur des motions de rejet préalables présentées par l’opposition. 
Au centre des débats, le fond même du texte : beaucoup de députés estiment qu’il s’agit en fait d’une prolongation de l’état d’urgence sanitaire (EUS) « qui ne dit pas son nom », d’une durée de cinq mois. Beaucoup de députés ont déclaré dans l’hémicycle qu’ils auraient préféré débattre d’un texte proposant « franchement »  la prolongation de l’EUS plutôt que de celui-ci. 
D’autres ont fustigé « l’imprécision »  du texte, eu égard aux dérogations très importantes au droit commun qu’il implique. Le Premier ministre serait ainsi autorisé, jusqu’à fin octobre, à restreindre les libertés individuelles dans les départements où serait constatée « une circulation très active du virus ». « Ni le projet de loi ni l’étude d’impact ne définissent précisément cette condition », a par exemple souligné la socialiste Marietta Karamanli (Sarthe). Cela sera-t-il décidé avec un taux d’incidence à 400 pour 100 000 ? À 250 ? Pas de réponse, en effet, dans le texte. « Il faut vous faire confiance les yeux fermés », s’est inquiété le député LR Philippe Gosselin (Manche). 
D’autres députés ont demandé qu’en lieu et place de cette loi, qui fixe les règles pour cinq mois, « le Parlement [puisse], à intervalles réguliers, établir en coconstruction avec le Gouvernement les mesures nécessaires pour gérer la crise sanitaire »  (Pascal Brindeau, UDI, Loir-et-Cher). « Je ne pense pas que la mise entre parenthèses de la démocratie et la confiscation des pouvoirs du Parlement se soient révélées un gage d’efficacité dans la gestion de cette crise », a surenchéri le communiste Stéphane Peu (Seine-Saint-Denis). 
La motion de rejet préalable a été rejetée par la majorité, sans que le gouvernement juge utile de répondre à aucun argument de l’opposition, ce qui a passablement irrité celle-ci. 
Plus tard, lors du débat sur les articles, de nombreux amendements ont été mis aux voix pour changer la date de la fin de cette période transitoire ou état d’urgence sanitaire « caché » : 30 juin, 14 juillet, 31 août… les dates se sont succédé, mais la majorité n’a pas cédé, et la date du 31 octobre a été validée. 

Le pass sanitaire adopté malgré les critiques

L’instauration du pass sanitaire a également été fustigée par l’opposition, qui a durement dénoncé une « manœuvre »  du gouvernement. L’introduction de cette disposition par amendement, et non dans le texte initial, l’exonère en effet de passage devant le Conseil d’État. Pour plusieurs députés de l’opposition, le gouvernement l’a fait exprès : « Le projet de loi (…) a été déposé le 28 avril, mais l’exécutif n’a déposé son amendement relatif au pass sanitaire que le 3 mai, soit cinq jours plus tard. Ce sujet étant discuté depuis plusieurs semaines aux niveaux français et européen, le gouvernement ne saurait faire croire qu’il a été contraint d’intégrer cette disposition en urgence, après le dépôt du projet de loi. Compte tenu de la rédaction de l’amendement, il a manifestement fait le choix de contourner l’obligation de soumettre cette disposition à l’avis du Conseil État, afin de s’épargner un jugement potentiellement négatif », a développé Marietta Karamanli. 
L’opposition a également critiqué l’imprécision de l’amendement, le fait qu’il ne mentionne ni seuils ni liste réellement précise des lieux concernés. Plusieurs députés ont soulevé la question de la collecte des données personnelles – et ont noté que la Cnil n’avait pu se prononcer sur cette question. 
Autre critique, venue de la France insoumise : pourquoi le pass sanitaire, si la barre était fixée à 1000, ne s’appliquerait qu’aux « lieux de distraction et de loisirs »  et pas aux « lieux de travail », où cette barre des 1000 peut être souvent dépassée ? 
Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, a répondu au nom du gouvernement, en posant une alternative claire : ou bien on met en place le pass sanitaire, pour l’accès aux stades ou aux concerts par exemple, « ou bien l’on ne rouvre pas ces lieux ». « Le pass sanitaire, c’est une condition de la liberté, de retrouver cette liberté dont nous sommes privés depuis des mois », a surenchéri le député LaREM Roland Lescure (Français de l’étranger).
La disposition instaurant le pass sanitaire a été adoptée par l’Assemblée nationale.

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