Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 5 mai 2020
Coronavirus

Le Sénat unanime pour demander la protection juridique des maires pendant l'état d'urgence

C’est une première qui a eu lieu hier soir au Sénat : un amendement proposé par le gouvernement a été rejeté par la totalité des sénateurs et n’a recueilli aucune voix, y compris dans les rangs des sénateurs La République en marche ! Il s’agissait d’un amendement visant à supprimer les mesures de protection juridique des maires adoptées, l’après-midi, par la commission des lois. Retour sur un débat inhabituel.
La question de la responsabilité juridique des maires pendant le déconfinement – c’est-à-dire la possibilité qu’ils se retrouvent pénalement attaqués en cas d’infection d’un citoyen par le covid-19 – est au cœur des débats depuis la semaine dernière. « Il n’y a pas un maire qui n’y pense pas », a relaté hier un sénateur. Le sénateur de l’Eure Hervé Maurey a été le premier à déposer une proposition de loi sur ce sujet (lire Maire info du 30 avril) et, dans le cadre du projet de loi prorogeant l’état d’urgence, de nombreux amendements dans le même sens ont été déposés.
Le sujet fait suffisamment débat pour avoir été abordé par le Premier ministre lors de son discours d’hier devant les sénateurs. Il a donné la ligne du gouvernement : la loi Fauchon, et rien que la loi Fauchon. Rappelons que celle-ci reconnaît une responsabilité pénale à ceux qui ont « contribué »  à la réalisation d’un dommage « ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter », s’ils ont « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. » 
Jugeant qu’il n’y a pas lieu de modifier « l’équilibre »  de ce texte, le Premier ministre a déclaré que « nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs, publics ou privés, s’exonèrent de leurs responsabilités ». 

L’amendement Bas
Dès la réunion de la commission des lois, hier après-midi, un amendement rédigé par le président de celle-ci, Philippe Bas, a été adopté. Il est tout en nuance, et ne se rapporte clairement qu’à la période d’état d’urgence sanitaire. Pendant celle-ci, est-il écrit, « nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir soit exposé autrui à un risque de contamination, soit causé ou contribué à causer une telle contamination », à moins que les faits aient été commis « par imprudence ou négligence »  ou « en violation manifestement délibérée (…) d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». 
C’est cet amendement que le gouvernement, par la voix de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a souhaité supprimer en séance, le soir même. Celle-ci s’est justifiée ainsi : le dispositif de la loi Fauchon « fonctionne bien et est protecteur ». Le dispositif prévu par l’amendement de Philippe Bas n’est pas acceptable, selon la ministre, en particulier parce qu’il « supprime la faute caractérisée permettant d’engager la responsabilité pénale ». 

Les maires « protégés » ?
 Outre l’amendement gouvernemental de suppression, les sénateurs ont débattu d’une batterie d’amendements venant de presque tous les bancs allant dans le même sens – la protection juridique des maires. Plusieurs d’entre eux, en particulier, visaient à limiter la responsabilité des élus locaux « dans la réouverture des établissements scolaires »  (Jérôme Durain, PS, Saône-et-Loire). « L’application du protocole [de l’Éducation nationale] n’est pas possible, surtout dans les écoles qui n'ont pas été rénovées », a plaidé le sénateur, aussitôt suivi de nombreux autres. Ce protocole est « une usine à gaz », selon Bruno Retailleau (LR, Vendée), usine à gaz dont « la dimension s’accroît à mesure que la taille des communes diminue », a surenchéri Max Brisson (Pyrénées-Atlantiques, LR). « Le déploiement des moyens matériels et humains qui est demandé [aux maires] n'a jamais existé : nettoyer tous les jours les stylos des élèves, c'est irréel ! Il faut être hors sol pour imaginer cela ! ».
Philippe Bas a émis, au nom de la commission des lois, un avis défavorable à ces amendements concernant la réouverture des écoles. Il s’est montré très rassurant sur cette question, et très affirmatif : « Dans le cadre des ouvertures d’écoles, (…) les maires n’ont aucune décision à prendre, car le Code de l’Éducation nationale confère cette responsabilité aux directeurs d’école. »  Et d’insister : « Mesdames et messieurs les maires de France, sachez que votre responsabilité ne peut être engagée dans ce cadre. »  Philippe Bas a donc estimé que les amendements « protégeant les maires à l’occasion de l’ouverture des écoles n’ont pas d’objet ». Reste tout de même deux sujets qui n’ont pas été évoqués et où il semble que la question se pose : celle de la restauration scolaire et du périscolaire, qui, eux, sont de la responsabilité directe du maire. Autre question, posée par un sénateur après l’intervention de Philippe Bas, et qui n’a pas trouvé de réponse au Sénat : En conséquence, « les nombreux arrêtés pris par des maires interdisant les ouvertures sont-ils dès lors illégaux » ? 

Unanimité contre le gouvernement
Les sénateurs se sont tous, d’une façon ou d’une autre, dits « heurtés »  par l’amendement de suppression du gouvernement. Hervé Maurey s’est dit « stupéfait »  de cet amendement, qui révèle « une ignorance du terrain incroyable ». « Il ne faut pas avoir rencontré un élu depuis plusieurs semaines pour faire cela », a ajouté le sénateur de l’Eure. Cet amendement « annihile le débat », selon Loïc Hervé (Haute-Savoie, UDI). Les maires « n'endosseront pas la responsabilité pour les décisions qu'ils n'ont pas prises », a ajouté Catherine Dumas (Paris, LR). François Patriat (Côte-d’Or, LaREM) a enfin créé la surprise en annonçant que « une fois n’est pas coutume, (son) groupe ne suivra pas le gouvernement et ne votera pas l’amendement du gouvernement ». Celui-ci n’a donc recueilli aucune voix parmi les sénateurs – fait rarissime, qui en dit long sur l’inquiétude que ce sujet suscite chez de très nombreux élus du pays. Reste à savoir si l’attitude du groupe LaREM à l’Assemblée nationale, sera la même. Éléments de réponse dès demain, à 9 h 30, en commission des lois.

Franck Lemarc

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