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Édition du jeudi 6 novembre 2025
Commerce

Contre la désertification commerciale, un rapport préconise d'élargir les pouvoirs des maires

Pour redynamiser les centres-villes victimes de « concurrence déloyale », les auteurs recommandent d'instaurer un avis obligatoire du maire sur les demandes d'implantations et de cessions de commerces dans les territoires prioritaires. Ils défendent aussi le plafonnement de certains loyers et l'alourdissement de la fiscalité sur les locaux vacants. 

Par A.W.

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© Ville de Rueil-Malmaison

Sauver le commerce de centre-ville face à la concurrence des plateformes étrangères de e-commerce. En pleine polémique sur l'ouverture à Paris du premier magasin du géant chinois de l’ultra fast fashion Shein, c’est l’équation à laquelle tentent de répondre les auteurs d’un rapport sur « l’avenir du commerce de proximité », remis hier au gouvernement. « La reconquête de nos cœurs de ville et de nos quartiers est possible, à condition d'agir vite, fort et collectivement », assurent-ils.

Dressant un état des lieux de la situation assez inquiétant, Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne) et vice-présidente de Villes de France, Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des territoires, et Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U, appellent l’exécutif à s'attaquer réellement à la « distorsion de concurrence »  qui favorise les plateformes en ligne. Au détriment du commerce physique, qu’il soit en centre-ville ou dans les quartiers populaires. 

Plus de 10 % de vacance commerciale

Premier constat : alors que les ménages consomment moins, ciblent les petits prix et épargnent davantage, le commerce en ligne s'est lui généralisé avec des ventes qui sont passées de 65 à 175 milliards en dix ans. Avant, les gens « faisaient du lèche-vitrine en centre-ville. Aujourd'hui, ils scrollent sur leur canapé pour énormément d'achats non alimentaires », résumait ainsi simplement hier Dominique Schelcher.

Résultat, les corapporteurs constatent « une augmentation des défaillances d'entreprises, touchant de nombreuses enseignes dites “locomotives” du centre-ville ». Dans ce contexte, la vacance commerciale est « repartie à la hausse après la crise sanitaire »  et dépasse désormais les 10 % dans les centres-villes et les 16 % dans les galeries marchandes. Un phénomène en « nette accélération observée depuis deux ans ».

« On assiste à une sur-offre commerciale », s’émeut ainsi un des élus auditionnés, en rappelant que « 50 millions de mètres carrés ont été créés depuis 2020 alors que la consommation n’a progressé que de 5 % ». Sans compter « l’inadaptation ou la mauvaise localisation »  des mètres carrés commerciaux actuellement disponibles.

Le « déclin »  du prêt-à-porter est « particulièrement alarmant »  avec une perte de « près de 50 000 emplois en dix ans ». Une situation qui tranche avec celle du secteur de la restauration qui est devenu « le premier employeur du commerce »  avec la création de « près de 100 000 emplois entre 2019 et 2024 ». D’ailleurs, si le commerce de proximité apparaît paradoxalement en forme - avec 25 % d'emplois supplémentaires en vingt ans - , c'est grâce à la restauration et l'alimentaire. 

Toutefois, toutes les communes ne sont pas traitées à la même enseigne. Dans les villes Action cœur de ville, la baisse du chiffre d’affaires de la restauration est de 30 % (contre 13 % en moyenne). « Pourquoi les villes Action Cœur de ville sont-elles moins bien dotées en restauration ? Il faut des activités le midi et des personnes qui viennent le soir pour des événements culturels, par exemple », affirment les auteurs du rapport.

Risque de « désertification alimentaire »  dans les QPV

En parallèle, les quelque 1 600 quartiers prioritaires de la ville (QPV) et leur plus de 6 millions d’habitants doivent, eux, affronter des « défis spécifiques ». Caractérisés par « une faible attractivité », ils souffrent d'une « carence structurelle en services de santé, en services bancaires et en commerces de première nécessité »  qui ferait même peser un risque de « désertification alimentaire »  et un taux de « renoncement aux soins plus élevé ».

Par ailleurs, « l'immobilier commercial y est souvent obsolète et inadapté, tandis que l'insécurité constitue un frein majeur à leur attractivité, pour les clients comme pour les entrepreneurs ». 

Plus globalement, « les Français partagent largement le constat d'une dévitalisation de leur centre-ville », notent les auteurs, chaque fermeture étant vécue comme « une perte », si ce n’est « une déstabilisation »  affectant « directement le quotidien ». 

Un français sur deux estime ainsi que son centre-ville est « en perte de vitesse », un sur quatre qu’il est « peu fréquenté voire quasi-désert avec de nombreux commerces fermés ». Et si ce déclin est partagé par « l'ensemble des territoires », il l’est encore plus fortement par les habitants des zones rurales.

« Pour l’opinion, les causes de ce déclin sont multiples : pression sur le pouvoir d’achat (recherche des prix les plus bas dans les zones commerciales de périphérie ou en ligne), difficultés d’accès au centre-ville en transport, l’insécurité et les incivilités (notamment dans les grandes agglomérations), et un phénomène de cercle vicieux (moins il y a de commerces, moins l’on se rend au centre-ville) », relate l’étude. 

Contre la concurrence déloyale, déférencer et taxer

Mais si les centres-villes font face à « une mutation profonde du commerce »  qui « fragilise les territoires », les cœurs de ville « ne sont pas morts », assurent Frédérique Macarez, Antoine Saintoyant et Dominique Schelcher. Pour les redynamiser, ils présentent donc une « feuille de route opérationnelle »  comprenant une trentaine de recommandations, dont 12 prioritaires, afin de réimplanter des commerces dans les centres-villes et les quartiers.

Faisant écho à l’actualité, les auteurs préconisent une stratégie nationale de « reconquête commerciale »  en luttant d’abord contre la « concurrence déloyale »  des plateformes en ligne et l'économie souterraine. Pour cela, ils réclament la mise en place pour les biens importés d’un « plan massif de contrôles pour le respect des normes »  en ciblant particulièrement les petits colis issus du e-commerce international qui « échappent aujourd’hui majoritairement aux vérifications ».

Ils proposent aussi de déréférencer les plateformes contrevenant aux règles sanitaires, environnementales et sociales européennes, « seul levier réellement dissuasif pour mettre fin à une concurrence devenue intenable et garantir véritablement la sécurité des citoyens européens ». Autre proposition, le déploiement d’une taxe sur les achats en ligne de « deux euros minimum »  dans le but de « répondre aux enjeux fiscaux, logistiques et concurrentiels posés par l’explosion des flux de petits colis ».

Elargir les pouvoirs des maires 

Ils suggèrent d’ailleurs de flécher cette dernière vers le financement des volets commerce des programmes Action Cœur de ville, Petites villes de demain et Quartier prioritaire de la politique de la ville. « En allouant directement les fonds issus de cette taxe à des actions de soutien au commerce local au sein des territoires prioritaires (aide à la rénovation des vitrines, soutien à la digitalisation des commerçants, aménagement des espaces publics marchands), une dynamique plus vertueuse pourrait être mise en place », assurent-ils, en proposant aussi de taxer les entrepôts logistiques comme des surfaces commerciales. 

Surtout, ils proposent une série d'outils pour mieux piloter l'action au niveau local, alors que l’attente envers les acteurs locaux reste particulièrement « forte ». En effet, l’étude montre que « les acteurs sur lesquels les Français comptent le plus pour revitaliser les centres-villes sont avant tout les mairies et collectivités locales, les commerçants et les habitants eux-mêmes ».

Les auteurs du rapport recommandent ainsi d’élargir les pouvoirs des maires pour toute nouvelle demande d'installation dans les territoires prioritaires, avec l’instauration d’un avis obligatoire sur les demandes d’implantations commerciales et de cessions de commerces. 

En outre, ils proposent de plafonner certains loyers via la création d’un « bail commercial d’utilité sociale »  dédié aux territoires en difficultés (ORT, QPV, FRR...) et d’alourdir la fiscalité sur les locaux commerciaux vacants. 

La poursuite du développement des foncières de redynamisation et la création d’un mécanisme facilitant le changement de destination des locaux commerciaux obsolètes font aussi partie de leurs priorités. Ils proposent ainsi d’« assouplir ou faciliter ces procédures »  et enjoignent la puissance publique à « s’engager pour la transformation des anciens locaux commerciaux situés dans les rues qui ont perdu leur fonction commerciale »  lorsque « les propriétaires n’ont pas les moyens techniques et financiers »  pour le faire.

Le ministre du Commerce, Serge Papin, devrait annoncer demain les mesures qu'il compte retenir, à l'occasion d'un déplacement à Saint-Quentin.

Consulter le rapport.
 

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