Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 4 septembre 2025
Conseils municipaux

Une étude donne des pistes pour « redonner envie » de s'engager dans le mandat municipal

Deux groupes de réflexion, l'institut Terram et le Laboratoire de la République, viennent de produire une étude réalisée par le constitutionnaliste Benjamin Morel sur l'engagement des citoyens à l'approche des élections municipales. L'étude propose « cinq axes pour revivifier la démocratie municipale » et relancer le désir de s'engager.

Par Franck Lemarc

C’est une problématique largement partagée du côté des associations d’élus, et en particulier de l’AMF qui lance, en cette rentrée, une grande campagne sur « l’engagement » : il devient de plus en plus difficile de trouver des candidats pour les élections municipales, et le pays souffre d’une forme crise de l’engagement. 

L’institut Terram, spécialisé dans les territoires, et le Laboratoire de la République, présidé par l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, ont demandé au constitutionnaliste et professeur de droit public Benjamin Morel de se pencher sur cette question et de réfléchir à des pistes de solutions.

Disparités territoriales

Résultat de ces réflexions : une étude, publiée la semaine dernière, intitulée Conseils municipaux : renouer avec l’engagement citoyen, qui s’appuie sur une vaste enquête menée avec l’Ifop auprès de 10 000 citoyens, en avril dernier. 

Premier enseignement de cette étude : il faut, en théorie du moins, « relativiser »  l’idée que les Français ne veulent plus s’engager. Un quart des personnes interrogées (24 %) se disent en effet prêts à se présenter sur une liste aux élections municipales – c’est 4 points de plus qu’il y a vingt ans. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et entre le fait d’être « prêt »  à le faire et le celui de le faire vraiment, il y a un considérable fossé.

Les auteurs de l’étude constatent également de grandes disparités territoriales sur ce sujet, avec « des contrastes parfois saisissants entre communes rurales, villes moyennes et métropoles ». D’un territoire à l’autre, les raisons de s’engager ou de ne pas s’engager ne sont pas les mêmes. 

Benjamin Morel note que c’est dans les communes de moins de 1 000 habitants que « les difficultés de renouvellement démocratique sont les plus aigües », du fait des difficultés inhérentes à l’exercice du mandat, mais aussi à cause du départ « massif »  des jeunes de ces territoires.

Par ailleurs, les freins à l’engagement sont également « différenciés selon le genre et la classe sociale ». Les femmes font fréquemment de « l’autocensure politique », note l’auteur (17 % des femmes se disent prêtes à envisager une candidature contre 31 % des hommes), souvent en arguant du fait qu’elles n’auraient « pas les compétences suffisantes »  – une « intériorisation »  du sentiment d’illégitimité. Pour les femmes interrogées, le « manque de temps »  constitue également un frein majeur à l’engagement municipal – largement plus que chez les hommes. Toutefois, ce qui est encourageant, ces différences semblent s’atténuer chez les plus jeunes. 

Quant à la catégorie sociale, elle est également un critère de différenciation assez marqué : seuls 21 % des employés envisagent la possibilité d’un engagement municipal contre 30 % des cadres. Au-delà du sentiment de « légitimité », la question du niveau de vie intervient dans cette différenciation : être élu n’est souvent « pas dans les moyens des classes populaires », écrit Benjamin Morel, car les contraintes temporelles affectent « davantage les élus »  issus de celles-ci.

« Usure » 

Benjamin Morel se penche naturellement aussi sur les conditions d’exercice du mandat, décrivant des élus « esseulés et fragilisés ». Les élus interrogés lors de l’enquête parlent d’un sentiment « d’usure », mais aussi « d’ingratitude »  et de « défiance »  de la part des citoyens, entre « interpellations violentes, accusations de clientélisme, agressions verbales ou physiques ». À quoi s’ajoutent la « surcharge administrative », le manque de moyens lié à la « raréfaction des dotations de l’État »  et l’impression d’être « relégué au rôle d’exécutant d’un ordre administratif impersonnel et éloigné du terrain ». Tout cela alimente un sentiment « d’épuisement démocratique », écrit l’auteur, qui explique en grande partie les quelque 13 000 démissions d’élus constatées en 2023 selon l’AMF. « L’élu ne démissionne pas par caprice : il quitte une fonction qui ne lui permet plus d’exercer efficacement, dans des conditions humaines acceptables », écrit Benjamin Morel très justement. 

« Les conditions d’un rebond » 

Dans ce sombre tableau, il y a pourtant des raisons d’espérer, juge le constitutionnaliste qui essaye d’envisager « les conditions d’un rebond ». L’envie de s’engager pour « changer les choses »  n’a pas disparu chez les citoyens, bien au contraire, pas plus que l’envie de contribuer à la vie de la collectivité. Trouver les moyens de mettre ces « envies »  au service de l’engagement municipal est un enjeu essentiel, juge-t-il – faute de quoi, le pays pourrait aller vers un « délitement progressif »  de la démocratie locale. Benjamin Morel préfère parier sur une « refondation civique », qui s’appuierait, d’une part, sur une revalorisation des conditions d’exercice du mandat municipal et « la mise en place de dispositifs d’initiation civique ». « Cette stratégie suppose un investissement politique et budgétaire mais aussi un changement de paradigme : considérer que l’engagement local ne va plus de soi et qu’il faut l’accompagner activement. » 

L’auteur de l’étude balaye toutes les formes que pourrait prendre cette « stratégie » : revalorisation financière (avec par exemple un « plancher de rémunération obligatoire »  pour tous les élus, même les conseillers sans délégation), formations, « statut protecteur de l’élu », obligation renforcée pour les employeurs de libérer leurs salariés élus, formations, etc. 

Au-delà, l’auteur juge nécessaire de « reconstruire l’écosystème civique local », en relançant la vie associative, en recréant des espaces de démocratie locale et participative, mais, surtout, en « rééquilibrant les pouvoirs locaux »  en s’attaquant au déséquilibre structurel né de la lente prise de pouvoir de l’intercommunalité sur la commune. Le diagnostic est clair : « La montée en puissance des intercommunalités a entraîné un effacement progressif des conseils municipaux, pourtant premiers lieux d’expression démocratique et de proximité citoyenne. Le risque est réel de voir se généraliser des espaces de gouvernance qui, bien qu’efficaces sur le plan administratif, restent dépourvus de véritable vitalité politique, réduisant dangereusement l’implication civique des habitants. » 

Enfin, l’auteur insiste sur la nécessité vitale de redonner aux communes « les moyens de leur autonomie ». Au-delà d’une « nécessaire »  revalorisation de la DGF, Benjamin Morel plaide par exemple pour « des contrats de proximité démocratiques »  entre l’État et les communes, visant à « garantir un socle minimal de services publics locaux »  et incluant « un soutien en matière d’ingénierie locale ». 

L’étude se conclut par ces mots frappants, qui résonnent profondément avec les positions défendues par l’AMF ces dernières années : « Retisser la trame démocratique locale, ce n’est pas simplement faire revenir des candidats sur les listes électorales. C’est refaire du conseil municipal le cœur battant de la démocratie française, là où se rencontrent les projets, les conflits, les solidarités, les décisions. Ce cœur existe encore. Il bat faiblement. Il nous appartient collectivement de lui rendre sa pleine vitalité. » 

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