Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 21 janvier 2025
Communication

Réseau X : les élus qui partent... et les élus qui restent

Depuis plusieurs mois, de nombreuses structures, à l'échelle internationale, annoncent quitter le réseau social X (ex-Twitter), estimant qu'il n'est plus en mesure de diffuser une information fiable, depuis son rachat par le milliardaire américain Elon Musk. 

Par Franck Lemarc

Le mouvement a connu un pic hier, lundi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump et, dans la foulée, de la prise de fonction officielle d’Elon Musk dans l’équipe gouvernementale du nouveau président. Mais c’est depuis quelques jours qu’un certain nombre d’élus ont annoncé leur départ du réseau – à titre individuel, parfois, au nom de leur collectivité, dans d’autres cas. 

Vague de départs

Il s’agit essentiellement de collectivités dirigées par la gauche : les villes de Paris, Poitiers, Le Mans, Lyon, Pantin, Tours, Nancy, la communauté d’agglomération de Guéret, les départements de la Gironde, de la Haute-Vienne, d’Ille-et-Vilaine, des Landes, la région Bretagne… Mais pas seulement : des élus étiquetés à droite ont également annoncé leur départ du réseau, comme Christian Estrosi, maire de Nice, Jean-Luc Bohl, maire de Montigny-lès-Metz, ou Franck Leroy, président de la région Grand Est, qui a annoncé dans un communiqué, le 18 janvier, que sa région « tourne la page de X ». 

De nombreux députés et sénateurs de gauche ont eux aussi, hier ou les jours précédents, pris la même décision. Par ailleurs, 80 associations – elles aussi souvent orientées à gauche, mais pas seulement – ont aussi annoncé quitter X dans une tribune publiée dans Le Monde : la Cimade, Emmaüs, le Mrap, la CLCV, France Terre d’asile, mais aussi APF France handicap ou la Fédération des Mutuelles de France. 

Si l’on s’en tient là, ce phénomène pourrait n’apparaître que comme une décision politique très majoritairement orchestrée par la gauche. Mais en réalité, le mouvement est plus large. Il touche des médias – parmi les dernières annonces de départ, on compte Ouest-France, Le Monde, Sud-Ouest, Le Courrier Picard ou Médiapart –, des administrations comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, les hôpitaux de Marseille, le CHU de Bordeaux, le Mémorial de Caen – et même des entreprises privées comme l’éditeur Gallimard. 

Enfin, un nombre de plus en plus important de grandes écoles et d’universités quittent le réseau – dans la foulée de l’Allemagne et de l’Autriche où la presque totalité des universités ont quitté X.  En France, c’est le cas d’une cinquantaine d’entre elles, dont la prestigieuse École polytechnique, Centrale, Sciences Po, les universités de Rennes, Nantes, Bordeaux, Aix-Marseille, Strasbourg…

De Twitter à X

Le réseau X, à l’époque où il s’appelait Twitter, a connu une formidable expansion depuis sa création en 2006. Permettant à tout abonné de publier des brefs messages (de 140 signes seulement au départ), messages qui pouvaient ensuite être relayés par les autres utilisateurs, Twitter a gagné quelque 500 millions d’abonnés en six ans seulement – ayant pris son envol après la publication d’une photo amateur de l’amerrissage forcé d’un avion dans le fleuve Hudson, à New York. Twitter est alors devenu un média à part entière, outil de communication utilisé de façon universelle et source d’information majeure pour les journalistes eux-mêmes.

En octobre 2022, Twitter a été racheté pour la somme ahurissante de 44 milliards de dollars par Elon Musk. Partisan d’une liberté d’expression absolue et sans limite, celui-ci décide de supprimer toute censure sur le réseau, qu’il rebaptise X, et rétablit des milliers de comptes bannis de Twitter pour propos haineux. 

La principale accusation des contempteurs du réseau X tient à cela : ce réseau est, pour eux, devenu le lieu de la diffusion décomplexée des idées haineuses – homophobie, misogynie, antisémitisme, racisme, voire néonazisme. Franck Leroy, le président de la région Grand Est, résume assez bien ce point de vue dans son communiqué : « Au fil des années, cette plateforme est devenue un outil central de nos missions publiques. Elle nous a permis d’échanger avec nos concitoyens, d’informer sans filtre et de faire vivre les débats démocratiques. Mais aujourd’hui (…), rester sur X c’est fermer les yeux sur une dérive préoccupante : celle d’une plateforme où l’algorithme amplifie la haine, promeut les mensonges et valorise les discours extrémistes. » 

Un algorithme sous le feu des critiques

C’est bien, en effet, l’algorithme de X qui est remis en cause, c’est-à-dire le programme informatique qui gère automatiquement le fonctionnement du réseau, qui « décide »  de mettre en avant tel compte ou telle information, et de diminuer la portée d’autres. Cet algorithme, totalement opaque, est conçu, selon les adversaires de X, pour promouvoir les idées du propriétaires du réseau, Elon Musk, de plus en plus ouvertement marquées à l’extrême droite. 

Quant aux chercheurs et universitaires qui quittent X, ils fustigent eux aussi l’algorithme de la plateforme, qui met en avant les idées climatosceptiques, notamment, et « discréditent les idées scientifiques ». « Les conditions d’une information fiable et éthique ne sont plus réunies sur le réseau X » , écrit l’École polytechnique, la plateforme s’étant « affranchie  des bonnes pratiques européennes en matière de lutte contre la désinformation en ligne ».

D’ailleurs, la commission européenne elle-même a ouvert une procédure contre le réseau, en l’enjoignant de laisser ses enquêteurs accéder à l’algorithme de la plateforme, que celle-ci tient secret, d’ici au 15 février. La commission cherche à savoir si le programme est conforme, ou non, au règlement sur les services numériques de l’Union européenne. 

Quitter ou pas ?

Est-ce pour autant qu’il faut quitter le réseau si l’on n'est pas d’accord avec les idées d’Elon Musk – avec le risque de le laisser uniquement, à terme, aux défenseurs de l’extrême droite ? Cette idée est loin d’être universellement partagée, y compris à gauche, dont un certain nombre de figures se sont exprimées ces derniers jours pour dire qu’elles restaient sur X précisément « pour y combattre les idées de haine ». L’écologiste Marine Tondelier a, par exemple, choisi de ne pas quitter la plateforme pour « continuer à défendre l’écologie en terrain hostile ». Une majorité des parlementaires du NFP ont fait de même.

Le maire (divers-droite) de Limoges, Émile Roger Lombertie, s’est lui aussi refusé à quitter X en disant refuser « la pensée unique ». Répondant aux accusations de « complotisme »  faites à X, le maire a déclaré que « le fait d’avoir des pensées différentes qui s’expriment, ça s’appelle la liberté d’expression, (pas) le complot ». 

David Lisnard, le maire de Cannes, a quant à lui déclaré dans une tribune publiée par Le Figaro : « L’Homme n’ayant jamais renoncé dans son histoire à une technologie qui fonctionne, nous ne renoncerons ni au smartphone, ni à l’IA, ni à X, ou aux réseaux sociaux en général. Mais ce nouveau monde doit être accompagné d’une révolution éducative. Il est plus que temps de réarmer notre jeunesse par l’éducation, la raison critique, le décryptage des médias. » 

Visibilité

Il reste enfin que pour une collectivité, quitter X est un choix extrêmement difficile dans la mesure où ce réseau reste, et de très loin, le plus utilisé dans son champ d'activité – et que le quitter revient donc à se priver d’une visibilité considérable et d’un outil de communication simple vis-à-vis des citoyens. D’ailleurs, les départs très médiatisés de la plateforme ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt : l’écrasante majorité des élus reste sur X. 

En effet, les alternatives à X, aujourd’hui, existent mais restent confidentielles, comme les réseaux Mastodon ou Bluesky, et ne permettent pas la même visibilité. En termes de communication de crise, notamment, le réseau X, du fait de son immense nombre d’abonnés, reste donc un moyen extrêmement efficace de diffuser de l’information dans l’immédiateté – et donc un outil précieux pour les élus. 

C’est d’ailleurs le point de vue que défend le gouvernement, par l’intermédiaire de sa porte-parole Sophie Primas. Un départ du gouvernement de X « n’est pas du tout d’actualité », expliquait-elle la semaine dernière dans Ouest-France. « On ne peut pas se priver d’un tel outil de communication, touchant un très large public, pour transmettre des informations (…), relayer une parole publique. (…) Les réseaux sociaux sont au cœur du quotidien des Français. »  Et de conclure : « Ce n’est pas à nous de quitter ces plateformes, mais plutôt à celles-ci de se conformer aux règles européennes en vigueur. » 

Rester ou quitter X, le choix revient donc à chaque élu, avec ses avantages et ses inconvénients. Et avec, aussi, la possibilité ouverte à chacun de s’inscrire à la fois sur X et sur les plateformes concurrentes, pour diffuser l’information le plus largement possible. 

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