Les enjeux du débat sur l'ouverture des commerces le 1er-MaiÂ
Par Franck Lemarc

« Le gouvernement regardera avec beaucoup de bienveillance ces textes. » Catherine Vautrin, ministre du Travail, a clairement indiqué hier, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, que l’exécutif compte soutenir les propositions de loi qui permettraient à certains commerces de déroger à l’interdiction d’employer des salariés les 1er-Mai.
Ce sont les sénateurs Annick Billon et Hervé Marseille qui se sont emparés du problème en déposant une proposition de loi. Le député Olivier Marleix, à l’Assemblée nationale, vient lui aussi de déposer un texte, non encore publié. Ces textes répondent à une demande de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie et de la Fédération française des artisans fleuristes, qui réclament depuis longtemps une clarification de la loi qui permettrait d’officialiser la possibilité d’employer des salariés le 1er-Mai dans ces professions.
Ce que dit (et ne dit pas) la loi
Dans une question au gouvernement posée hier, la députée LR Valérie Bazin-Malgras a affirmé : « La loi autorise un boulanger à ouvrir sa boutique [le 1er-Mai] mais lui interdit de faire travailler ses salariés »
C’est exact. Le 1er-Mai n’est en effet pas un jour férié comme les autres : c’est le seul jour « férié et chômé » de l’année, comme en dispose l’article L3133-4 du Code du travail. Il est donc interdit d’employer des salariés ce jour. Cette disposition s’applique exclusivement aux salariés et non aux employeurs : il est donc permis à un commerçant d’ouvrir sa boutique le 1er-Mai, mais pas de faire travailler un employé, même au volontariat, sous peine d’une amende de 750 euros.
Cette disposition fait naturellement l’objet de dérogations : dans certains secteurs, il est autorisé de faire travailler des salariés, à condition de les payer double ce jour-là (article L3133-6 du Code du travail). Mais c’est ici que s’ouvre le débat : dans quels secteurs ces dérogations s’appliquent-elles ?
La loi est en effet assez floue : la dérogation s’applique aux « établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Certains secteurs répondent de façon évidente à cette définition : la santé, les services d’urgence, les transports ou les médias. Pour les commerces, c’est nettement moins évident en revanche.
Pendant longtemps, en l’absence d’une définition normative dans la loi, il a été admis que la dérogation s’applique aux établissements qui sont autorisés à ouvrir le dimanche. Cette tolérance date d’une réponse ministérielle fort ancienne, donnée le 30 juin 1980 par le ministre du Travail à un député demandant quels sont les établissements « ne pouvant interrompre le travail le 1er-Mai ». Réponse du ministre : « Il a toujours été considéré » qu’il s’agit « des établissements bénéficiant du droit d’accorder le repos hebdomadaire par roulement ». Ce qui inclut, donc, les boulangeries. Cette réponse ministérielle a été reprise, quelques années plus tard, dans une instruction de la Directrice des relations au Travail de l’époque (une certaine Martine Aubry), datée du 23 mai 1986.
Le problème est que ni une réponse ministérielle ni une instruction émanant d’une direction générale n’ont force de loi. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation, vingt ans plus tard, dans un arrêt du 14 mars 2006. La Cour jugeait du cas d’un magasin de location de DVD, qui avait ouvert un 1er-Mai, ce que la Cour d’appel avait validé en s’appuyant sur les positions ministérielles précitées. Erreur, répondit alors la Cour de cassation : la dérogation au repos du 1er-Mai pour les magasins ouverts le dimanche ne figure pas dans le Code de travail, il n’y a donc « pas de base légale » à cette dérogation. Et la Cour de cassation précisait que cette question doit être jugée cas par cas : il appartient au commerçant « d’établir que la nature de l’activité exercée ne permet pas d’interrompre le travail le jour du 1er-Mai ».
Cette décision a fait jurisprudence : en cas de contentieux, un employeur qui a fait travailler des salariés le 1er-Mai doit prouver devant la justice la nécessité de ne pas interrompre son activité ce jour. Cela peut être le cas, par exemple, pour une boulangerie qui livre des hôpitaux ou des Ehpad – illustre la Confédération nationale de la boulangerie. La Confédération, « en raison des aléas importants sur ce sujet », conseille donc à ses adhérents « de ne pas faire travailler leurs salariés le 1er-Mai », en attendant, éventuellement, que la loi évolue, ce que la profession appelle de ses vœux.
Une brèche considérable
C’est dans ce contexte que la proposition de loi sénatoriale a été déposée, le 25 avril dernier. Elle vise, selon ses auteurs, à « combler un vide juridique » et à « sécuriser juridiquement l’ensemble des professionnels concernés », tout en précisant « qu’il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause le caractère férié et chômé de cette journée ».
Il est donc proposé de modifier l’article L3133-6 du Code du travail, relatif aux dérogations au caractère chômé du 1er-Mai. Au lieu de s’appliquer « aux établissements qui en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail », Annick Billon propose d’appliquer la dérogation aux établissements « dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public, mentionnés à l’article L3132-12 » du Code du travail. Cet article du Code du travail est celui qui réglemente l’ouverture le dimanche.
Même si, dans l’exposé des motifs, la sénatrice ne mentionne que le cas « des boulangers et des fleuristes », on voit qu’en l’état actuel de sa rédaction, ce texte ouvrirait une brèche considérable dans le droit du travail, puisqu’il étendrait la possibilité de faire travailler le 1er-Mai à tous les établissements autorisés à ouvrir le dimanche par l'article L3132-12du Code du travail, qu’il s’agisse de grandes surfaces, de magasins de bricolage, de jardineries, et même bien au-delà : la liste des établissements pouvant ouvrir le dimanche, fixée à l’article R3132-5 du Code du travail, est fort longue, et va des garages aux musées en passant par les services de livraison, les débits de tabac ou les poissonneries.
Ce texte, comme le note l’enseignante en droit social Bérénice Bauduin sur le site du Club des juristes, amènerait « par capillarité tous les commerces (…) à revendiquer le droit de faire travailler leurs salariés » le 1er-Mai, rendant « symbolique » le caractère chômé de cette journée.
Il reste à savoir si ce texte – ainsi que celui qui a été déposé à l’Assemblée nationale – sera adopté en l’état, ou si le législateur y posera des limites plus claires… ou le rejettera. Cette dernière option est, évidemment, le souhait des syndicats, à l’instar de la CGT qui a récemment rappelé, par la voix de sa secrétaire nationale Sophie Binet, qu’il « y a 364 autres jours pour ouvrir ».
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