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Édition du vendredi 14 octobre 2022
Commerce

Implantation de zones commerciales et ZAN : un décret qui ne satisfait personne

Un nouveau décret d'application de la loi Climat et résilience sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN) est paru ce matin au Journal officiel. Il détaille le principe d'interdiction d'implantation d'une zone commerciale si celle-ci conduit à une artificialisation des sols.

Par Franck Lemarc

C’est l’article 215 de la loi Climat et résilience qui a fixé ce nouveau principe dans la loi : « L'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols », et ce dans toutes les communes. Autrement dit, les CDAC (Commissions départementales d’autorisation commerciale), où siègent des représentants des communes et des EPCI, ne pourront plus, à compter du samedi 15 octobre, délivrer d’autorisation à une implantation commerciale ou une extension de commerce existant si le projet conduit à une artificialisation des sols, comprise comme « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage »  (article L101-2-1 du Code de l’urbanisme). 

Voilà pour la théorie. Mais en réalité, la loi et le décret d’application permettent de très nombreuses dérogations, qui – selon les associations de défense de l’environnement – vident en partie la mesure de sa substance. 

Qui est concerné par les dérogations ?

Le même article 215 de la loi prévoit en effet les conditions dans lesquelles un projet commercial peut bénéficier d’une autorisation même s’il conduit à une artificialisation des sols. Attention, ces dérogations ne sont possibles que dans trois cas : la création d’un commerce ou ensemble de commerces dont la surface de vente est inférieure à 10 000 mètres carrés ; l’extension d’une implantation existante, si la surface totale reste inférieure à 10 000 mètres carrés ; et enfin l’extension d’un commerce ou ensemble de commerce dont la surface est déjà supérieure à 10 000 mètres carrés, « dans la limite d'une seule extension par magasin ou ensemble commercial et sous réserve que l'extension de la surface de vente soit inférieure à 1 000 mètres carrés ». 

Pour les projets compris entre 3 000 et 10 000 mètres carrés, l’avis de la CDAC ne suffira pas : la dérogation ne peut être accordée qu’après avis conforme du préfet. 

Les motifs de dérogation

La loi fixe quatre possibilités de dérogation. 

D’abord, un projet qui conduit à une artificialisation pourra être autorisé s’il s’insère dans le secteur d’une ORT (opération de revitalisation du territoire) ou dans un QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville). 

Deuxièmement, s’il s’insère « dans une opération d'aménagement au sein d'un espace déjà urbanisé ».

Troisièmement, en cas de compensation : l’autorisation sera accordée si le pétitionnaire du projet s’engage à « transformer un sol artificialisé en sol non artificialisé », c’est-à-dire en « surface soit naturelle, nue ou couverte d'eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures ». 

Enfin, la dérogation est possible si le projet s’insère dans « un secteur d’implantation périphérique ou une centralité urbaine »  définis dans un SCoT entré en vigueur avant le 22 août 2021 ; ou encore dans « une zone d'activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme intercommunal »  entré en vigueur avant la même date. 

Les motifs de dérogation sont donc, on le voit, très larges, et il ne semble pas trop compliqué de passer entre les mailles du filet. 

Complexes questions de compensation

Le décret paru ce matin donne les détails de ces dérogations et des justificatifs à fournir pour en bénéficier.

Il faudra aux porteurs de projets présenter en CDAC un dossier justifiant de l’une ou de l’autre dérogation, par exemple en décrivant « la contribution du projet aux besoins du territoire, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique de ce dernier, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise du projet ». Ou en fournissant des cartes prouvant que le projet s’insère dans une ORT ou un QPV. 

La question de la compensation est plus complexe. La compensation doit permettre de « restaurer de manière équivalente ou d’améliorer les fonctions écologiques et agronomiques altérées par le projet ». Mais comment le mesurer ? Le décret précise que cette équivalence « est appréciée en termes qualitatifs et quantitatifs », si possible « à proximité immédiate du projet », ou à défaut « au sein des zones de renaturation préférentielles ». 

C’est en particulier ce point qui a conduit les associations de défense de l’environnement à fustiger ce projet de décret, lors de la consultation publique. Car il laisse selon elles bien trop de liberté aux porteurs de projet, notamment en matière de compensation : s’il suffit de « renaturer »  une zone équivalente, c’est-à-dire de la transformer en zone perméable, cela pourrait conduire, explique par exemple une association, à compenser la destruction d’une zone forestière ou d’une zone humide par la création d’un champ de maïs – ce qui n’a évidemment pas le même effet d’un point de vue écologique. 

France nature environnement déplore que ce texte « ignore totalement le fonctionnement biologique des milieux ». « Qu’implique le terme d’équivalence ? Une équivalence de surface ? De fonctionnalités ? D’espèces présentes ? », demande l’association. 

Enfin, les associations déplorent que ce texte ne vise pas les entrepôts destinés au e-commerce qui poussent comme des champignons sur tout le territoire.

Conflits d’usages

Non soumis au Cnen, le projet de décret ne fait pas non plus l’unanimité chez les promoteurs commerciaux et les agriculteurs.

Côté promoteurs, on déplore « des difficultés pratiques d’application »  et un texte qui va créer « de l’insécurité juridique ».

Quant à la FNSEA, pour les agriculteurs, elle regrette vivement que les mesures de compensation prévues soient aussi « floues », puisque le texte « ne précise rien de l’affectation des terres désartificialisées ». Le porteur de projet pourra donc indifféremment transformer les terres désartificialisées, dans le cadre de la compensation, « en terres naturelles, agricoles ou forestières ». La FNSEA juge cette liberté « inacceptable », dans la mesure où « les sols artificialisés sont le plus souvent d’anciennes terres agricoles ». Elle aurait donc souhaité que le décret impose de « redonner une vocation agricole aux espaces désartificialisés ». 

On mesure ici toute la difficulté de l’application du ZAN, et des innombrables problèmes de conflit d’usages que cela engendre : quand les associations de défense de l’environnement s’offusquent que les espaces désartificialisés puissent devenir des terres agricoles, la FNSEA se scandalise qu’ils ne le deviennent pas assez ! 

Quoi qu’il en soit, la loi et le décret sont suffisamment permissifs pour que l’on puisse affirmer, sans trop de risque de se tromper, qu’ils ne permettront pas de mettre un coup d’arrêt au développement des zones commerciales en périphérie – ce qui n’a rien de réjouissant non plus pour le commerce des centres-villes. 

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