Maire-info
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Édition du vendredi 9 avril 2021
Catastrophes

Gel : une catastrophe agricole sans précédent ?

L'épisode exceptionnel de gel qui a frappé une partie du pays ces dernières 48 heures a littéralement détruit une partie importante des cultures dans de nombreux départements. Vigne, arboriculture, grande culture : ce sont des milliers d'agriculteurs qui ont perdu jusqu'à 100 % de leur récolte en quelques heures. 

Par Franck Lemarc

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© Twitter

Les crises succèdent aux crises, les catastrophes aux catastrophes. Après une année d’épidémie dont les conséquences humaines, économiques, sociales et démographiques sont incalculables, voilà qu’une poussée de gel en plein mois d’avril a jeté à bas, en quelques heures, des secteurs entiers de l’agriculture du pays. 

Gelée noire

Cela s’appelle une « gelée noire », ou, en termes plus scientifiques, une « gelée par convection ». Contrairement à la gelée blanche, lors de laquelle la rosée gèle, au petit matin, la gelée noire se produit lorsqu’une masse d’air froid, très sec, se répand, occasionnant une baisse de température de plusieurs degrés en quelques minutes et en pleine nuit. Lorsqu’elle arrive au printemps, alors que les bourgeons sont déjà formés, l’eau qui compose ceux-ci à 90 % gèle presque instantanément et détruit irrémédiablement le bourgeon. 
C’est ce qui s’est passé notamment dans la nuit de mercredi à jeudi sur toute une partie du pays. Comble de malchance, ce brutal coup de froid succède à une période de chaleur exceptionnelle à cette saison, qui a accélérée la sortie des bourgeons. 
Dans de nombreux départements, le froid a atteint des niveaux jamais vus en avril depuis qu’existent les relevés, c’est-à-dire parfois depuis un siècle. À Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le thermomètre est descendu à – 11,4 ° C ! Dans d’autres régions, le froid a été moins intense mais même une température de – 4 ° C suffit à « griller »  les récoltes. 

95 % du pays concerné ?

Ce qui donne le caractère « exceptionnel, dramatique, inédit »  de cet épisode, pour reprendre les adjectifs utilisés ce matin par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, c’est son étendue : « On parle de centaines de milliers d’hectares détruits », a déploré ce matin le ministre, dans de nombreux départements et plusieurs secteurs différents : la vigne et l’arboriculture, mais aussi « la grande culture », c’est-à-dire les céréales ou oléagineux – ce sont apparemment les cultures de betterave et de colza, en pleine floraison, qui ont été les plus touchées. 
Serge Zaka, docteur en agronomie à ITK, entreprise de services d'agriculture connectée, a publié ce matin des cartes et des chiffres évoquant « la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole »  (19e siècle), si l’on prend en compte « l’intensité, la surface et le nombre d’espèces concernées ». Pour lui, « plus de 95 % du pays »  serait concerné par des destructions allant de 10 à 100 %.
Dans des régions aussi variées que le Nord, l’Île-de-France, toute la vallée du Rhône, la Gironde, l’Aude ou l’Hérault, certaines exploitations ont vu leur future récolte détruite à 100 %. « La profession est consternée », écrit ce matin la Chambre d’agriculture de l’Hérault dans un communiqué. « Les impacts sur la vigne sont énormes, de très nombreuses parcelles sont impactées à 100 %, les arboriculteurs sont également touchés de plein fouet, notamment, notamment sur les arbres à noyaux, ainsi que les pomiculteurs »  [éleveurs de fruit à pépins]. »  Même constat dans la Drôme et l’Ardèche, où des milliers d’hectares d’arbres fruitiers ne donneront « aucune production »  cet été. En Gironde, 111 000 hectares de vignoble ont été « directement impactés »  par des températures atteignant - 5 ° C. Si la Chambre d’agriculture affirme qu’il faudra plusieurs jours pour évaluer les conséquences, elle sait déjà que la récolte 2021 sera « sévèrement impactée », et certains vignerons du bordelais disent avoir « tout perdu ». 
Dans le nord du pays, les dégâts sont très importants également, à l’instar de la Seine-et-Marne, au sud-est de la région parisienne, où, selon la FNSEA locale, « poiriers, cerisiers et pruniers »  ont été détruits « jusqu’à 100 % dans certaines exploitations ». La récolte de pommes serait compromise à 50 %. Sur la betterave, les agriculteurs perdront « entre 50 et 100 % de la production »  selon les parcelles.
Sur twitter, ce matin, de nombreux agriculteurs, de toutes les régions, témoignent de chiffres similaires : dans le Limousin, le Mâconnais, les Corbières, ils parlent de destructions constatées ce matin allant de 50 à 100 %. 

Calamité agricole

Pour les vignerons, la catastrophe est d’autant plus difficile à vivre qu’elle fait suite à une année où les ventes se sont effondrées : entre les mois de fermeture des bars et restaurants, l’annulation des fêtes de mariage, des congrès, salons et autres rassemblements professionnels, les ventes de vin ont durement chuté cette année. Et beaucoup d’entre eux témoignent ce matin du fait qu’ils n’étaient pas assurés, ou bien parce qu’un tel aléa climatique est trop rare pour justifier la dépense, ou bien, tout simplement, parce qu’ils disent ne pas en avoir les moyens.
Tous les regards se tournent maintenant vers le gouvernement pour savoir les mesures d’urgence qui seront prises. Julien Denormandie a assuré ce matin que l’état de calamité agricole serait rapidement déclaré dans les régions frappées – ce qui ne résoudra pas les problèmes de tout le monde, puisque la viticulture, par exemple, n’est pas éligible à ce régime. 
Sans détailler encore les mesures envisagées – le ministère organise une réunion de crise ce matin –, Julien Denormandie a sonné la « mobilisation générale »  aussi bien chez les assureurs que du côté des banques. Du côté de l’État, « tout ce que l’on pourra faire pour alléger les charges, on le fera », a assuré le ministre. 
Mais les conséquences de cet épisode seront considérables – y compris sur le plan social, dans la mesure où la destruction des récoltes va priver d’emploi, cette année, des milliers de travailleurs saisonniers. Dont ceux, nombreux, qui font les récoltes l’été et travaillent, l’hiver… dans les stations de ski, fermées cette année.  

Nécessaires investissements

Au-delà des aides ponctuelles pour permettre aux agriculteurs de tenir le choc, plusieurs élus et experts pointent le fait que ces épisodes se multiplient et qu’il convient aussi de réfléchir à plus long terme. Plusieurs dizaines de députés de circonscriptions viticoles ont signé, hier, une tribune commune pour affirmer que « ces accidents climatiques ne sont plus ponctuels mais deviennent récurrents ». Ils estiment donc qu’au-delà de la catastrophe actuelle, il va falloir « aider les vignerons à s’adapter à ces changements », à travers des investissements très lourds contre les aléas climatiques. Le ministre Julien Denormandie a rappelé, ce matin, que 100 millions d’euros du plan de relance étaient consacrés à ce sujet. 
Un travail de fond va également devoir être engagé sur la couverture assurantielle des agriculteurs, bien trop onéreuse pour de nombreux exploitants. Cette question fait actuellement l’objet d’une enquête du député LaREM du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille, ancien directeur général d’Interfel (interprofession des fruits et légumes frais). Le député devrait rendre « avant l’été »  un rapport au ministre de l’Agriculture pour proposer des solutions.
D’ici là, on en saura plus sur les conséquences économiques chiffrées de cette catastrophe… et sans doute sur le nombre d’agriculteurs que celle-ci va peut-être contraindre à rendre définitivement leur tablier. 

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