Destruction des haies : un projet de décret qui fait polémique
Par Franck Lemarc
C’était le 26 janvier 2024, en plein mouvement de protestation des agriculteurs. Alors Premier ministre, Gabriel Attal, appuyé sur un ballot de paille dans une exploitation agricole de Haute-Garonne, prenait la question des haies en exemple de l’absurdité administrative : constatant qu’il existe « 14 réglementations différentes » que les agriculteurs « ne peuvent pas connaître par cœur », l’ancien Premier ministre s’engageait à passer de 14 réglementations à une seule.
Freiner les destructions de haies
Cette promesse a trouvé un début de réalisation dans la loi dite Osarga (orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture) du 24 mars 2025. L’article 37 de cette loi crée une nouvelle section dans le Code de l’environnement (articles 412-21 à 412-27) consacrée à « la protection et l’arrachage des haies », et prévoit la création d’un régime de déclaration unique pour la destruction d’une haie, en lieu et place des nombreuses déclarations actuelles (protection des habitats, réserves naturelles, sites classés, périmètre de captage des eaux, Natura 2000, sites patrimoniaux remarquables, etc.).
Rappelons que la France, à l’heure actuelle, voit le linéaire de haies diminuer drastiquement : environ 11 500 km de haies ont disparu chaque année entre 2006 et 2014 et 23 500 km par an, entre 2017 et 2022. Face à cette saignée catastrophique, quand on sait le rôle que jouent les haies notamment en matière de biodiversité et de lutte contre l’érosion des sols, un Pacte en faveur de la haie a été présenté par le gouvernement en 2023, se donnant pour objectif d’inverser la tendance et d’atteindre un gain net de 50 000 km de haies d’ici 2030.
Le gouvernement, dans la présentation du projet de décret, constate que les mesures décidées en 2023 « ne suffisent pas à inverser la tendance de destruction ». Mais – et c’est là toute la difficulté de ce projet de décret – il explique en même temps que les procédures de destruction de haies sont trop compliquées et qu’il convient de les simplifier… ce qui, on en conviendra, ne semble pas aller dans le sens d’une volonté de ralentir les destructions de haies.
Silence vaut accord
Le projet de décret prévu par l’article 37 de la loi Osarga précise les modalités et conditions de la déclaration unique, « les conditions dans lesquelles la destruction d’une haie fait l’objet de mesures de compensation » ; et enfin « les conditions dans lesquelles il peut être procédé à la destruction d’une haie pour assurer la sécurité publique (…), l'intégrité des réseaux et des infrastructures de transport ou pour assurer une obligation légale ou réglementaire ».
Selon ce projet de décret, la déclaration unique d’un projet de destruction de haie, déposée de manière dématérialisée sur un portail dédié, devra recevoir une réponse du préfet sous deux mois, avec application du « silence vaut accord ». Si le projet concerne un espace boisé classé ou identifié comme élément de paysage protégé, l’avis conforme du maire serait exigé, là encore avec silence vaut accord.
Autre point essentiel : toute destruction devra être compensée par la replantation d’une autre haie « d’un linéaire au moins égal », dans un délai de 18 mois maximum.
Ce décret doit entrer en vigueur le 30 mars prochain.
Avis défavorable du CNPN
On ne peut pas dire que ce projet de décret ait enthousiasmé le Conseil national de la protection de la nature, qui en a demandé rien moins que la réécriture complète dans un avis très détaillé rendu le 19 novembre. Dès le début de son avis, le Conseil s’étonne d’un texte dont l’intitulé même « fait craindre une aggravation des destructions alors que le but du Pacte haies était d’inverser la tendance ». Il estime que ce projet de décret oriente « trop fortement » le demandeur vers une compensation « au lieu de dissuader la destruction de haies ».
Dans le détail, le CNPN déplore le manque de précision de nombreuses formulations du texte – voire un certain nombre de contradictions – et le fait que la procédure envisagée ne prévoit pas de demander au pétitionnaire de chercher des solutions alternatives à la destruction.
Le CNPN pointe notamment un problème de fond : le décalage dans le temps entre la destruction d’une haie et la plantation d’une nouvelle – dont le plein développement peut prendre plusieurs années –, qui risque d’entraîner « un déclin irréversible des espèces dépendant des haies détruites ».
Il est à noter que le Conseil demande une inversion de la logique, pour ce qui concerne l’avis conforme du maire : il souhaite qu’une non-réponse du maire vaille refus et non accord.
Le Conseil a donc émis un avis défavorable à ce projet de décret, et a demandé que « ses remarques soient prises en compte pour la rédaction d’un nouveau décret ».
Levée de boucliers
Comme cela a déjà été le cas pour le projet de décret sur le loup (lire Maire info du 2 décembre), le gouvernement n’a pas particulièrement tenu compte de cet avis défavorable et a poursuivi la procédure, avec la mise en consultation publique du projet de décret tel quel. Et comme pour le loup là encore, il recueille une volée de bois vert : à ce jour, 5 800 contributions ont été déposées sur le site de la consultation publique, à 99 % défavorables au projet de décret. Certaines de ces contributions sont très argumentées, d’autres moins, mais la plupart s’interrogent sur la logique d’une démarche visant à « protéger les haies en facilitant leur destruction ».
Pour mémoire, les consultations publiques, comme leur nom l’indique, ne sont que… consultatives. Même si l’écrasante majorité des personnes qui se sont exprimées sont opposées à ce projet de texte, rien n’empêche le gouvernement de publier le décret tout de même.
Une réserve de l’AMF
Notons qu’il était également examiné par le Conseil national d’évaluation des normes aujourd’hui. L’AMF tout en saluant une simplification, a exprimé des réserves : elle demande que les collectivités soient obligatoirement consultées dans le cas d’une destruction de haies à proximité d’un captage d’eau potable, dans la mesure où elles sont responsables de la gestion et de la protection de la ressource en eau. L’association demande donc que cette obligation soit intégrée dans le projet de décret. Le texte n’a finalement pas obtenu d’avis favorable, ce matin au Cnen, mais un report avec organisation d’une réunion de travail dans des délais compatibles avec un nouvel examen lors de la prochaine séance du 8 janvier. Les associations souhaitaient, en effet, discuter plus en profondeur avec l’administration centrale.
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