Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 25 février 2021
Politique de la ville

Discriminations territoriales : tout reste à faire

L'idée de créer une Cour d'équité territoriale est remise en avant pour lutter contre les discriminations territoriales. Elle figurait dans les propositions du rapport Borloo de 2018 et était même, pour l'ancien ministre, la proposition « la plus structurante » pour l'avenir de la politique de la ville.

 Après Garges-lès-Gonesse pour une rencontre sur le sport, au début du mois de février (lire Maire info du 3 février), une partie des maires de l'appel du 14 novembre se sont retrouvés mardi 23 février à La Courneuve (au moins par visioconférence), pour parler cette fois de la lutte contre les discriminations territoriales. Cette rencontre était organisée par l'association Ville & Banlieue et Les Cahiers de la Discrimination. 
Le lieu a son importance car c'est le maire de La Courneuve, Gilles Poux, qui avait saisi la Halde (l'ancêtre du Défenseur des droits) sur ce sujet en 2009. Dix ans plus tard, en avril 2019, la ville avait édité son « atlas des inégalités territoriales », pour conduire l’État à « prendre ses responsabilités ».
Mardi 23 février 2021, tout reste à faire ou presque, d'après les témoignages des élus. 

Des inégalités évidentes 

« On dit souvent qu’un ‘’pognon de dingue’’ nous arrive, c’est faux ! », assène Philippe Rio, le maire de Grigny (Essonne), faisant référence à l’expression utilisée en 2018 par le président de la République à propos des aides sociales. « Nous devons objectiver cette allocation des moyens pour voir qu’il y a moins qu'ailleurs », explique-t-il. Pour l'élu, la déconstruction de « ce mythe, ce déni, ce mensonge d’État »  est nécessaire « pour avancer, faire cause commune et réconciliation nationale ». Il cite l'exemple de la Seine-Saint-Denis qui « contribue plus aux prestations sociales que d’autres départements, mais en reçoit moins ». 
Ces constats sont pourtant déjà bien documentés – par l'Observatoire national de la politique de la ville notamment – ou encore illustrés par des campagnes de testing. Le sociologue Thomas Kirszbaum a rappelé mardi qu'un collège parisien bénéficie de 50 % de moyens en plus par rapport à un collège de Créteil (Val-de-Marne). Ou encore que la pauvreté est « trois fois supérieure dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville »  et le chômage « 2,5 fois plus élevé ». 
Cela n'a pas suffi à inverser l'ordre des priorités : « Tous les travaux scientifiques ou d’institutions montrent qu’après 40 ans de politique de la ville, les quartiers prioritaires sont moins bien traités que d’autres territoires », conclut le sociologue, également critique sur l'action locale telle qu'elle peut être menée. Car « au cœur même des contrats de ville, la lutte contre les discriminations devait être un axe transversal, mais on dépasse rarement les intentions générales ».

Comment agir ?

En guise de proposition, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a suggéré la création d'un Observatoire des discriminations territoriales. La proposition séduit les élus, car « on a besoin de mieux comprendre comment se construisent les discriminations territoriales », ont souligné certains d’entre eux, comme le rôle des politiques de logement, ou « plus précisément des politiques d’attribution de logement ». Mais cela ne leur « suffit plus » : « Dans le prolongement d'un observatoire, il serait important de mettre chacun face à ses responsabilités », expose Driss Ettazaoui, vice-président en charge de la politique de la ville à la communauté d'agglomération d'Évreux (Eure).
C'est donc l'idée d'une Cour d'équité territoriale qui revient, et qui pourrait aller au-delà des seuls quartiers, en touchant aussi les territoires ruraux ou l'outremer.  
Rappelons que cette Cour (programme 18 du rapport Borloo), dans l’esprit de l’ancien ministre de la Ville, devait avoir pour rôle de « vérifier la mise en œuvre des moyens de rééquilibrage des politiques publiques sur les territoires carencés. Présidée par le Premier Président de la Cour des comptes et composée de magistrats de la Cour des comptes et du Conseil d’État, la Cour d’équité territoriale pourra être saisie par toute personne morale ou groupe de personnes s’estimant discriminé sur une base territoriale.  Disposant des pouvoirs d’investigation les plus larges, elle recueillera les dépositions sous serment. Elle pourra condamner tout gestionnaire public ayant failli à l’obligation de moyens qui s’impose à lui pour contribuer à l’équité territoriale des citoyens au regard du service public, ou fait obstruction à sa mise en œuvre. » 
La proposition va être relancée auprès du gouvernement. On se souvient que le président Emmanuel Macron avait engagé une réflexion sur cette proposition après le rapport Borloo. Mais « nous n'avons plus de nouvelles depuis 2018 », signale Thomas Kirszbaum.

Emmanuelle Stroesser

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