Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 29 mars 2024
Aménagement numérique du territoire

Pour réussir le Plan France très haut débit, collectivités et opérateurs attendent une réponse politique de l'État

86 % des locaux du territoire sont désormais éligibles à la fibre jusqu'à l'abonné. L'objectif du 100 % fibre en 2025 ne sera que partiellement atteint et la fermeture prochaine du réseau cuivre exige un changement de méthode aussi bien de la part des opérateurs que de l'État.

Par Lucile Bonnin - à Deauville

Alors que le déploiement de la fibre doit se terminer bientôt et que la fermeture du réseau cuivre approche, « une grande bascule »  s’impose, selon les mots de Sébastien Côte, commissaire général des États généraux des Réseaux d’initiative publique (Rip), à l'occasion des débats qui ont eu lieu hier aux États Généraux des Rip, à Deauville. 

Le Plan France très haut débit est certes une réussite : plus de 21 millions de foyers sont abonnés à la fibre en 2023. « La France est le pays en Europe avec le plus de clients connectés et le plus de foyers raccordables », indique Gaël Sérandour, directeur adjoint des investissements numériques à la Banque des Territoires. Néanmoins, beaucoup reste encore à faire et les derniers déploiements se font davantage dans la douleur que les premiers, car ils sont plus complexes et plus coûteux. Les faits sont là : « Le Plan France très haut débit n’est pas terminé, il reste six millions de prises à raccorder et pas loin de 20 millions de foyers » , constate Marc Leblanc, président d’Objectif Fibre, en ouverture des débats d'hier. 

100 % fibre… ou presque

« Certains objectifs n’ont pas été atteints et tout n’est pas parfait » , a reconnu Zacharia Alahyane, directeur des programmes France Très Haut Débit et Mobile au sein de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). 100 % des locaux ne seront pas raccordables à la fibre en 2025. Une baisse du rythme global des déploiements FttH est en effet à déplorer. « On est sur une pente descendante car le plus dur reste à faire. Pour atteindre les objectifs, il faudrait rendre éligibles 3 millions de locaux en 2024 et en 2025 » , ce qui va être compliqué. 

Ainsi, le directeur des programmes est très clair : « Tout le monde ne sera pas fibré en 2025 ». Les quatre départements de la Bretagne seront raccordés à 100 % à la fibre en 2026 ; Mayotte n’a toujours pas commencé le chantier et la Guyane rencontrera aussi probablement des difficultés pour respecter l’échéance 2025. L’ANCT observe également une baisse des déploiements en zone d’initiative publique avec des disparités importantes selon les territoires. Certains départements ont une couverture FttH en dessous de 50 %. 

À l’échelle des communes, le 100 % fibre rencontre aussi des obstacles. « Le 100 %, on n’y sera jamais vraiment et c’est pour cela qu’il faut résoudre les cas particuliers », indique Philippe Le Grand, président d’Infranum. Ces cas particuliers sont les raccordements dits complexes. Rappelons que le gouvernement avait annoncé vouloir « mettre en place une solution mutualisée de l’investissement en génie civil pour ces raccordements, grâce au soutien de la Caisse des dépôts. Cette dernière portera l’investissement et louera l’infrastructure aux opérateurs. »  Cependant, la problématique des raccordements complexes n’a pas été entièrement résolue, notamment lorsque des surcoûts interviennent et qu’ils sont demandés directement aux clients.

Enjeu territorial 

Pour Michel Sauvade, co-président de la commission numérique de l’AMF, le déploiement de la fibre a été « remarquable »  mais certains « points d’attention »  sont à prendre en compte pour achever le Plan France très haut débit « dans de bonnes conditions. » 

D’abord, « ceux qui sont laissés pour compte vivent une situation insupportable ». Les maires constatent régulièrement des cas ubuesques où un foyer bénéficie d’un raccordement tandis que son voisin l’attend toujours, et ce aussi bien dans les villes qu’en milieu rural. Ces situations ternissent d’autant plus l’image de la fibre, et certains administrés confient ne pas vouloir faire cette bascule qui sera pourtant inévitable avant 2030.

Les échecs de raccordements et le délai de traitement des pannes n’aident pas non plus à redorer le blason du réseau. Michel Fricout, vice-président du Conseil départemental du Calvados, déplore des délais de traitement des pannes de service trop longs : « Les explications techniques sont inaudibles pour nos concitoyens et il ne faut pas oublier que la satisfaction de ces derniers doit être notre moteur » . Il propose notamment que les raccordements puissent parfois se faire sans sous-traitance (mode OI, OI pour Opérateur d’Infrastructure) lorsqu’ils sont complexes notamment. 

Autre point noir soulevé lors des échanges d’hier : « Le taux de fibrage des entreprises en France n’est pas satisfaisant », comme le rappelle Michel Sauvade. Selon David Elfassy, président d'Altitude infra, « 63 % des entreprises déclarent être raccordées »  aujourd’hui. L’enjeu économique est pourtant de taille pour les communes et leur attractivité. 

L’État interpellé 

Si, les années précédentes, les regards étaient davantage tournés vers les opérateurs pour obtenir des réponses notamment sur la qualité des déploiements, cette année l’État a fait l’objet de nombreuses mises en cause. Cela n’a rien d’étonnant puisque, rappelons-le, dans le cadre du plan de 10 milliards d'euros d'économies annoncé par Bruno Le Maire, le plan France très haut débit (PFTHD) a perdu 40 % de ses crédits. Le Plan a subi « une annulation de 38 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 117 millions d'euros de crédits de paiement du programme 343 »  (lire Maire info du 27 février)

« L’État ne peut pas persévérer dans cette méthode et se comporter comme cela », a déclaré Philippe Le Grand. Aussi bien du côté de l’AMF que des opérateurs, le manque de concertation de la part de l’État a été amèrement regretté. 

Hervé Rasclard, directeur général d’Infranum, rappelle également que « l’État finance le Plan à 10 % et que le reste représente beaucoup d’argent privé. Pour réussir, on demande simplement un portage politique des sujets essentiels ». « Les collectivités ont été des aiguillons essentiels, l’État a mis en place un plan et la filière a relevé le défi »  mais pour réussir le défi de la complétude, « il va falloir mettre en place un système »  et plus particulièrement « un dispositif mutualisé ». 

Il y a un an maintenant, l’Avicca et InfraNum présentait un « good deal »  du numérique qui prévoyait notamment la création d'un fonds de péréquation des réseaux optiques estimé à plusieurs centaines de millions d’euros à fiscalité constante (lire Maire info du 15 mars 2023)

Les acteurs attendent « un stimulus politique », un « retour à un État stratège qui ne renonce pas aux objectifs collectifs ». « Nous attendons tous que le gouvernement fasse son travail », a conclu Michel Sauvade qui espère la mise en place d’une communication volontariste sur le cuivre et une meilleure concertation de tous les acteurs afin de conduire la France vers le succès. 

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