Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 18 juin 2021
Handicap

Allocation adultes handicapés en couple : un « coup de force » du gouvernement à l'Assemblée nationale

Le gouvernement a contraint jeudi l'Assemblée nationale à voter, dans une ambiance survoltée, une révision du calcul de l'allocation adulte handicapé (AAH) pour les personnes en couple, en écartant son « individualisation » pourtant largement soutenue dans l'hémicycle et par le monde associatif.

Par F.L., avec AFP

Les revenus du conjoint continueront d’être pris en compte pour le calcul de l’AAH, selon la version adoptée. Rappelons qu’en l’état actuel du droit, une personne handicapée qui touche l’AAH voit sa pension diminuée si son conjoint ou sa conjointe dépasse un certain seuil de salaire. Cette disposition est très vivement critiquée par les associations de défense des personnes handicapées, en ce qu’elle rend celles-ci « dépendantes »  de leur conjoint, à rebours de l’esprit de cette allocation qui est censée donner, au contraire, d’avantage d’autonomie. 

Unanimité dans l’opposition

Dans l’Hémicycle, plusieurs députés issus de tous les bancs ont d’ailleurs cité des exemples de personnes obligées d’être en couple « dans la clandestinité »  pour ne pas être frappés par cette mesure, de couples qui renoncent à s’installer ensemble pour les mêmes raisons. François Ruffin, député LFI de la Somme, a cité un courrier qu’il a reçu : « Sylvie, Bretonne handicapée, tombe amoureuse d’un Parisien ; celui-ci est prêt à la rejoindre dans le Finistère, mais elle perdrait alors son allocation et devrait vivre à son crochet ; lui devrait tout payer. Ils ont renoncé et finalement l’éloignement, les confinements ont usé leur amour. Elle m’écrit : ‘’Aujourd’hui, en plus de mes handicaps, je suis en dépression’’ ». La Commission nationale consultative des droits de l’homme elle-même, a rappelé le député, a écrit que « le mode de calcul [de l’AAH] constitue un frein manifeste à la vie de couple ». 
Chistine Pires Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme, estime également que cette situation qui place « la personne handicapée dans une situation de dépendance vis-à-vis de son conjoint »  constitue « une injustice inacceptable ». 
C’est le Sénat qui a souhaité une réforme de ce système, et la droite, à l’Assemblée nationale, a elle aussi vivement défendu la fin de la « conjugalisation ». « Comment accepter qu’un conjoint en situation de handicap, du fait d’un accident de la vie, d’un problème de santé ou de toute autre raison, puisse dépendre du salaire de son conjoint ? Quelle est la solution : divorcer pour contourner la loi, ne pas fonder de famille et rester seul ? C’est intolérable ! », a tonné Stéphane Viry, député LR des Vosges. Plusieurs députés de la majorité ont fait également état de leur malaise et affirmé leur soutien à la « déconjugalisation ».
Face à cette contestation, y compris dans la majorité, le gouvernement a demandé un report du vote, puis a utilisé le voté bloqué, ne laissant aux députés d’autre choix que de voter sans retouche la version approuvée par l’exécutif.
Pour protester, droite et gauche ont quitté l’hémicycle. Le texte doit maintenant repartir au Sénat ou plus probablement être intégré au prochain budget de la Sécurité sociale pour une application au 1er janvier 2022.
« C’est politicien, c’est nul ! », s’est indignée la communiste Marie-George Buffet, à l’unisson de nombreux élus sur tous les bancs, qui ont dénoncé des « artifices de procédure »  et, sur un sujet aussi sensible, une « faute morale ».

« Un portefeuille à la place du coeur » 

La secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, a dénoncé « une vision misérabiliste du handicap », François Ruffin (LFI) accusant en retour le gouvernement d’avoir « un portefeuille à la place du cœur »  – l’un des arguments de la majorité étant le coût de la réforme, estimé à quelque 750 millions d’euros.
Créée en 1975, l’AAH est destinée à compenser l’incapacité de travailler. D’un montant maximal de 904 euros mensuels, elle est versée sur critères médicaux et sociaux. Elle compte aujourd’hui plus de 1,2 million de bénéficiaires, dont 270 000 sont en couple, pour une dépense annuelle d’environ 11 milliards d’euros.

« Un coup de force honteux » 

Certains députés ont mis en garde contre la portée de ce vote bloqué. « Vous dénaturez les droits du Parlement. Vous serez responsables de l’abstention dimanche »  au premier tour des élections régionales et départementales, a dénoncé Christine Pires-Beaune. « Vous êtes en train de porter gravement atteinte à la démocratie parlementaire, et j’en ai honte pour vous ! », s’est emporté le communiste André Chassaigne, hors de lui. « C’est la première fois depuis que je siège dans cette assemblée que je vois se comporter d’une telle façon un gouvernement (…) De tous les amendements qui ont été défendus, seuls ceux du gouvernement seront retenus ! (…) Face à cela, tous ensemble, nous avons l’intention de vous quitter, de vous laisser face à vos turpitudes ! ».
« La méthode est scandaleuse », a réagi auprès de l’AFP l’avocate et militante Élisa Rojas, dénonçant « la brutalité et le mépris de Sophie Cluzel et de son gouvernement à l’égard des personnes concernées, sur un sujet essentiel pour leur autonomie et leur survie ». C’est « un coup de force honteux qui méprise les personnes en situation de handicap. Inacceptable ! », a aussi jugé dans un communiqué l’APF France handicap.
Regrettant « une nouvelle déconvenue », le collectif « les Dévalideuses »  a toutefois salué sur Twitter la « naissance d’une convergence militante nouvelle »  en faveur des droits des personnes handicapées.

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