Dermatose : 200 maires de l'Ariège se réunissent pour débattre de la situation et demander au gouvernement de renouer le dialogue
Par Franck Lemarc
« Quand vous envoyez un mail le samedi pour une réunion le lundi, et que 200 maires sur 320 sont présents, cela donne une idée de l’inquiétude des élus ». Jean-Jacques Michau, ancien maire de Moulin-neuf, sénateur de l’Ariège et président de l’Association des maires et élus de l’Ariège, semble lui-même impressionné de l’affluence à cette réunion, organisée à l’initiative de l’association départementale de l’AMF et de l’AMRF, à Foix. Premier objectif : « Montrer publiquement le soutien des maires à l’élevage et aux éleveurs », dans un département où le nombre d’éleveurs – et en particulier de petits éleveurs – est considérable, et où bien des maires exercent d’ailleurs eux-mêmes cette profession. « Nous avons tous un éleveur dans la famille », ajoute Jean-Jacques Michau.
« Quand ça ne fonctionne pas… »
Deuxième objectif, explique le sénateur à Maire info : « Demander au préfet et au ministère de l’Agriculture d’étudier un nouveau protocole et de mettre en œuvre très rapidement un soutien économique ».
Le président de l’AD de l’Ariège est très clair : il ne s’agit pas de remettre en question la parole des scientifiques : « Nous ne sommes pas des scientifiques et nous ne voulons pas parler à leur place. Mais si quelque chose ne fonctionne pas, il faut le remettre en question. » Pour l’ancien maire de Moulin-Neuf, « la stratégie d’abattage des troupeaux fonctionnerait si l’on était sûr et certain que les transports d’animaux ne se font pas. Hélas, ils se font. » À preuve, l’épidémie a démarré en Savoie, y a été éradiquée… et a « sauté » en Occitanie (Hautes-Pyrénées, Ariège, Aude). La ministre elle-même a évoqué des transports « clandestins » qui auraient pu jouer un rôle dans ce déplacement de l’épidémie. « Ce sont peut-être les insectes, aussi, qui jouent un rôle – on ne sait pas, ajoute Jean-Jacques Michau. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a des transferts. »
Dans ces conditions, les maires de l’Ariège estiment qu’il est indispensable de remettre en question le protocole, d’autant plus que l’abattage systématique pourrait avoir des effets de bord extrêmement dangereux : « Ce qui risque d’arriver, redoute Jean-Jacques Michau, c’est que les éleveurs ne déclarent plus la maladie, pour ne pas voir leur troupeau abattu. Ils creuseront un trou au fond d’un champ, enterreront la bête malade et voilà. » Ce qui constituerait, évidemment, une situation extrêmement préoccupante.
L’AD de l’Ariège souligne que « de nombreux experts ainsi que les GDS [groupements de défense sanitaire] d’Occitanie appellent à une modification du protocole ». Il ne s’agirait pas, explique le sénateur, de renoncer entièrement à l’abattage systématique, mais d’avoir « une approche différenciée » , afin de « préserver les cheptels tout en maintenant les efforts nécessaires pour maintenir l’épidémie ».
Questions économiques
Les maires réunis hier ont également posé la question des innombrables difficultés économiques qui découlent de la situation – difficultés que le gouvernement ne semble pas avoir toutes anticipées. Exemple : si un éleveur voit son troupeau abattu et se fait indemniser, le montant de l’indemnisation sera-t-il comptabilisé comme un revenu, qui pourrait lourdement modifier la situation fiscale de l’éleveur ? Comment vont vivre les éleveurs dont le troupeau est bloqué pendant des mois du fait des restrictions de circulation, « sans revenus mais avec des dépenses liées à l’alimentation de troupeaux plus importants que prévu » ? Quid des aides de la PAC ? Dans la mesure où celles-ci sont octroyées par tête de bétail, seront-elles coupées pour les éleveurs dont le troupeau a été abattu ? Et, au contraire, pour ceux qui seront obligés de garder leur troupeau à la ferme du fait des interdictions de déplacement, et auront donc plus de têtes que prévu, les aides vont-elles être recalculées ?
Certaines de ces questions ont déjà des réponses, mais elles sont suspendues à … l’adoption du budget, plus qu’incertaine. En effet, pour l’instant, l’indemnisation de l’État en cas d’abattage – entre 2 000 et 3 500 euros par bête – est bien censée être fiscalisée, ce qui pourrait représenter des sommes considérables à verser aux impôts l’an prochain. Le gouvernement s’est engagé à ce que le PLF actuellement en discussion intègre une mesure d’exonération fiscale et sociale de ces aides et, en effet, un amendement a été voté en ce sens dans le PLF. Mais si le budget n’est pas voté… la mesure disparaîtra, et ne pourra pas être intégrée à une loi spéciale.
Population « traumatisée »
On le voit, les motifs d’inquiétude pour les éleveurs – et en particulier ceux, nombreux en Ariège, qui n’ont que de petites exploitations et de faibles revenus – sont nombreux. « Le nombre de maires présents à cette réunion montre à quel point la préoccupation des élus est grande, souligne Jean-Jacques Michau, et les maires reçoivent en direct l’inquiétude et la colère des éleveurs. »
Et même celle de la population elle-même, plutôt solidaire des agriculteurs. « Je peux vous le dire, la population ariégeoise a été traumatisée par les moyens et les forces de l’ordre déployés à Bordes-sur-Arize [le 11 décembre] ». Les forces de l’ordre avaient, ce jour-là, déployé des véhicules blindés Centaure et fait usage de nombreuses grenades lacrymogènes et tirs de LBD pour accéder à une ferme, bloquée par les éleveurs en colère, où un abattage devait avoir lieu. « Cela a profondément choqué les habitants, insiste le sénateur. Que l’on emploie de tels moyens contre des gens qui nous nourrissent… ce n'est pas passé ».
Les maires de l’Ariège ont transmis au préfet toutes ces questions, en lui demandant instamment de les faire « remonter » au plus vite au gouvernement et mettre, enfin, en œuvre un « dialogue constructif ».
Une nouvelle démonstration du rôle indispensable de proximité et de la réactivité dont font preuve les maires face aux crises.
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