Maire-info
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Édition du mardi 27 mai 2025
Agriculture

Agriculture : une motion de rejet qui fait polémique votée à l'Assemblée nationale

Une motion de rejet contre la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur » a été votée hier. Ce texte très important ne fera donc pas l'objet de débats à l'Assemblée nationale, mais passera directement en commission mixte paritaire. Une « manœuvre politique » qui a du mal à passer du côté de la gauche, mais une « nécessité » pour les députés de la majorité.

Par Lucile Bonnin

La proposition de loi visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur »  suscite depuis son dépôt par le sénateur LR Laurent Duplomb de fortes controverses. Le texte propose notamment de réautoriser l’utilisation d’un insecticide à base d’acétamipride ou encore de réévaluer la taille des élevages soumis aux demandes d'autorisations environnementales (lire Maire info d’hier). 

Son arrivée à l’Assemblée nationale a sans surprise été agité, avec en plus la présence devant le Palais-Bourbon d'un certain nombre d'agriculteurs mobilisés notamment par la FNSEA. Dès le week-end, et alors que les députés commençaient à déposer de nombreux amendement sur le texte (plus de 3 400 au total), a été mis sur la table la possibilité de déposer une motion de rejet.

La logique aurait voulu que cela soit la gauche qui dépose cette motion de rejet sur ce texte qui porte des mesures sur lesquelles notamment LFI et les écologistes sont farouchement opposés. Mais surprise : c’est finalement le rapporteur lui-même de cette proposition en commission des affaires économiques, Julien Dive (LR), qui a déposé cette motion.

Pour tenter de trouver un compromis avant la séance publique d’hier, une conférence des présidents a été spécialement organisée une heure avant. Cette dernière « n’est pas parvenue à une solution qui conviendrait à tous » , a déclaré dans l’hémicycle Roland Lescure, président de séance. 

Finalement, la motion de rejet préalable déposée par Julien Dive et par Laurent Wauquiez (Les Républicains), Gabriel Attal (Renaissance), Marc Fesneau (MoDem) et Paul Christophe (Horizons), a été votée à 274 voix pour et 121 contre, avec l'apport des coix du Rassemblement national.

Rappel des règles 

Cette motion de rejet préalable a été déposée en application de l’article 91 alinéa 5 du règlement de l’Assemblée nationale. Selon le règlement, une telle motion a pour objet « de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. » 

Dans ce cas précis, le rapporteur du texte invoque non pas un défaut de constitutionnalité du texte – ce qui serait quelque peu baroque – mais s’appuie sur la deuxième partie du règlement qui consiste à « faire décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer ». En présentant cette motion hier, Julien Dive a expliqué que « face à une obstruction massive », « il est devenu impossible de délibérer de manière constructive » . En votant cette motion de rejet, les partisans de ce texte contestent davantage l'opportunité d’une discussion générale autour du texte que son utilité. Pour rappel, les députés de gauche ont été largement accusés de faire de l’obstruction par les syndicats agricoles et par la majorité, « déposant plus de 2 000 amendements en quelques heures, créant ainsi les conditions de blocage du texte », comme l’a dénoncé hier le député Jean-Luc Fugit (Ensemble). 

De plus, en général, une motion de rejet est présentée par les détracteurs d’un texte. Cela a pu être le cas pour la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration où une motion de rejet avait été déposée par les écologistes à l'Assemblée nationale, et votée par le reste de la gauche. En conséquence, la gauche dénonce largement, depuis hier, un « détournement »  de cet outil parlementaire. 

Rappelons au passage qu’au Sénat, deux procédures similaires existent : l’exception d’irrecevabilité, qui permet de rejeter un texte contenant des dispositions contraires à la Constitution, et la question préalable, qui permet de ne pas débattre d’un texte.

L’adoption de la motion de rejet préalable entraîne donc le rejet du texte et aucun débat n’aura lieu à l’Assemblée nationale. Cette motion de rejet votée avec une large majorité va permettre de convoquer directement la réunion d'une commission mixte paritaire pour tenter de trouver un accord entre députés et sénateurs – puisque le texte a déjà été adopté par le Sénat.

Un « débat parlementaire enterré »   

En séance publique hier, après le dépôt de la motion de rejet annoncé, chacun est resté sur ses positions, dénonçant un déni de démocratie d’un côté et une stratégie d’obstruction de l’autre.

« Vous avez empêché nos débats », a lancé hier Aurélie Trouvé, présidente des affaires économiques de l’Assemblée nationale (LFI) qui « déplore avec inquiétude la motion de rejet préalable du bloc présidentiel contre sa propre loi empêchant tout examen en hémicycle de l’Assemblée. Vous avez fait des promesses, madame la ministre, à certains syndicats agricoles mais elles n’engageaient pas l’Assemblée nationale. C’est toujours un choix désastreux que d’enterrer le débat parlementaire ».

Cette stratégie politique a été largement décriée hier par les députés : « Un précédent inédit et dangereux »  selon Aurélie Trouvé (LFI), une « manœuvre »  pour Boris Vallaud (PS), « un détournement de la motion de rejet »  du point de vue de Cyrielle Chatelain (Les Écologistes). Plusieurs rappels au règlement ont d’ailleurs été fait à gauche au titre de l’article 100 du règlement de l’Assemblée qui dispose que les amendements doivent être discutés après présentation du texte. 

« On n’a jamais vu un rapporteur présenter une motion de rejet sur son propre texte, on marche sur la tête » , a dénoncé Mathilde Panot (LFI). Julien Dive, initiateur de la motion de rejet, considère au contraire que « ce n’est pas une première l’histoire parlementaire »  : « En 1995, le Sénat a eu recours à une question préalable dans un contexte d’obstruction et le Conseil constitutionnel avait explicitement validée cette décision au nom du bon déroulement du débat démocratique. Ce précédent rappelle que lorsqu’une tell stratégie est mise en œuvre, il est légitime, et parfois indispensable, de mobiliser les outils procéduraux dont nous disposons ».

Julien Dive fait référence à la loi du 30 décembre 1995 autorisant le gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale. Cette dernière a en effet été adoptée après le vote au Sénat d’une question préalable. 91 députés et 62 sénateurs avaient à l’époque saisi le Conseil constitutionnel qui a statué en faveur du Sénat, considérant qu’il était justifié, « face à [des] manœuvres », que « le Sénat ait réagi en recourant au vote d'une question préalable. » 

Cette motion de rejet désormais votée, la droite étant en position de force au sein de la CMP, le texte pourrait y être durci. Tandis qu’Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, a dit « comprendre cette motion de rejet », les députés LFI ont annoncé vouloir déposer une motion de censure contre le gouvernement.

Reste à voir aussi si les députés de la gauche vont saisir le Conseil constitutionnel, après le passage du texte en CMP, sur la procédure législative utilisée qui selon eux, empêche que la loi soit adoptée à l'issue d'un réel débat parlementaire. Rappelons toutefois que récemment, le Conseil constitutionnel a constamment refusé de se prononcer sur le respect ou le non-respect du règlement de l'Assemblée nationale, rappelant que celui-ci n'a pas de valeur constitutionnelle et est donc en dehors de son champ de compétences. 

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