Maire-info
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Édition du mardi 7 juin 2022
Administration électronique

Dématérialisation des services publics : le Conseil d'État fixe des limites au téléservice obligatoire

Dans une décision rendue le 3 juin dernier, le Conseil d'État a retoqué les textes imposant la dématérialisation des démarches en préfecture, estimant que des difficultés peuvent être rencontrées par certains publics, notamment les étrangers demandant un titre de séjour.

Par Lucile Bonnin

Maire-Info

Peut-on imposer aux usagers d’accomplir des démarches administratives en ligne ? La réponse apportée par le Conseil d’État vendredi dernier peut se résumer ainsi : « oui, mais à condition d'avoir une solution de substitution. » 

La dématérialisation complète des services publics qui s’accélère a fait naître de nombreuses inquiétudes par rapport à l’accès des publics les plus éloignés du numérique aux démarches administratives essentielles. Au printemps 2021, comme il est rappelé dans le communiqué de presse du Conseil d’État, le gouvernement avait imposé aux étrangers en quête d'un titre de séjour en France de déposer leur demande par Internet, par l'intermédiaire d'un téléservice. Ce dispositif devait entrer en vigueur progressivement. 

Des associations avaient alors réclamé au Conseil d’État l’annulation de cette mesure gouvernementale et contestaient les décrets du 24 mars 2021 et du 19 mai 2021. La section du contentieux du Conseil d'État s'est donc prononcée sur cette question et sur le cas particulier des demandes de titre de séjour des étrangers vendredi dernier. 

Une obligation possible mais sous conditions 

Dans un premier temps, le principe de dématérialisation des services publics est validé par le Conseil d’État qui « juge que, de façon générale, l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour l’accomplissement de démarches administratives auprès de l’État peut être instaurée par le gouvernement. Cette obligation ne relève pas du domaine réservé à la loi, et aucun droit ou principe constitutionnel ne s’y oppose. » 

En revanche, cette obligation est conditionnée à ce que l’exercice effectif des droits de tous les usagers soit garanti. Le Conseil d'État a donc annulé le décret du 24 mars 2021 et l'arrêté du 27 avril 2021, estimant dans sa décision qu'un recours exclusif au téléservice ne peut être imposé.

Car des difficultés subsistent pour certains publics, notamment pour les étrangers qui souhaitent demander un titre de séjour, qui doivent à la fois s’investir dans « des démarches particulièrement complexes et sensibles »  et avoir accès à un équipement et/ou un savoir numérique. 

Accompagnement et solution de substitution 

« Le texte qui impose l’usage obligatoire d’un téléservice doit prévoir une solution de substitution : tel est le cas pour les demandes de titres de séjour »  : c’est ce qui est indiqué dans le communiqué de presse qui suit la décision du Conseil d’État.

Plus précisément, la plus haute juridiction administrative a fixé deux conditions pour que l’obligation d’utiliser un téléservice pour les demandes de titres de séjour soit légale. D’abord, « il incombe au pouvoir règlementaire (…) de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d’un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l’accomplissement des démarches administratives » . Deuxième condition : le gouvernement doit « garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l’impossibilité de recourir au téléservice. » 

Le Conseil d’État reconnaît que si le gouvernement « prévoit un accompagnement des usagers du téléservice »  actuellement, il ne prévoit pas en revanche « de solution de substitution en cas de défaillance liée à la conception ou au mode de fonctionnement du téléservice. » 

Accueil en préfecture 

En attendant, le Conseil d’État indique que « si un étranger ne parvient pas à déposer sa demande par le téléservice pour de tels motifs, l’administration sera tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité. » 

Il est donc attendu de la part du gouvernement une meilleure prise en compte de « chaque situation »  ainsi que du niveau de complexité de la démarche. Le Conseil d’État somme également l’administration de « compléter ses textes »  afin de proposer des alternatives. En attendant, le téléservice ne peut être imposé aux usagers qui rencontrent ces difficultés. Concrètement, la décision du Conseil d’État reviendrait à demander au gouvernement de prévoir à nouveau un accès physique aux préfectures pour les cas les plus compliqués.

Si cette décision peut simplifier les procédures pour les demandeurs de titre de séjour, cela n’apporte pas de véritables réponses par rapport aux dysfonctionnements de ce système qui ont été identifiés dans un rapport sénatorial publié en mai dernier et intitulé Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité. Les difficultés d’accès aux guichets vont subsister au sein des préfectures et le manque de moyens des services de l’État représente toujours un véritable obstacle pour faire valoir les droits des étrangers. Au-delà de la dématérialisation, c’est toute une organisation qu’il faut repenser selon François-Noël Buffet, président de la commission des lois et rapporteur de la mission.

Plus récemment encore, dans un rapport paru le 30 mai dernier, la Cour des comptes pointe une paupérisation généralisée des préfectures avec des diminutions d'effectifs à marche forcée qui ne vont pas être sans conséquence pour leurs fonctionnements à l'avenir. (lire Maire info du 1er juin)  

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