Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 2 octobre 2020
Risques

Accidents industriels post-Lubrizol : des annonces... et des textes 

Le 26 septembre, jour anniversaire de l’incendie Lubrizol, près de Rouen, et alors que les ministres de la Transition écologique, Barbara Pompili, et de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’étaient rendus sur place deux jours plus tôt pour annoncer, notamment, la mise en place d’un nouveau système d’alerte de la population par téléphone portable, plusieurs textes étaient publiés au Journal officiel pour « tirer les conséquences »  de cette catastrophe, dont l’ampleur, d’un point de vue sanitaire et environnemental, est encore difficilement mesurable. Plusieurs enquêtes judiciaires sont d’ailleurs toujours en cours, notamment en matière pénale. 
Rappel des faits : le 26 septembre 2019, aux alentours de 2h40, un grave incendie, ponctué d’explosions, se déclarait dans l’usine Lubrizol et les entrepôts de Normandie Logistique, à Petit-Quevilly, près de Rouen. Pendant deux jours, 9 500 tonnes de produits chimiques brûlent. Une enquête administrative est immédiatement ouverte, une mission d’information de l’Assemblée nationale se saisit du sujet. Le Sénat, enfin, met en place une commission d’enquête, dont le rapport, pointant des « manquements graves », est rendu public le 4 juin 2020. Entre-temps, en février, Élisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique, avait déjà annoncé un plan d’actions pour tirer les leçons de Lubrizol. Après avoir été soumis à consultation publique l’été dernier, les textes publiés le 26 septembre 2020 traduisent ainsi, sur le plan réglementaire, ce plan d'actions. Ils modifient en ce sens la réglementation applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), en particulier les établissements Seveso et les entrepôts – à l’instar de Lubrizol (Seveso seuil haut) et de Normandie Logistique (entrepôt) –, mais aussi, plus globalement, les stockages de liquides inflammables et de produits combustibles.


Etablissements Seveso : exercices et contrôles renforcés
Le premier décret du 24 septembre (n° 2020-1168) « adapte et complète les dispositions communes aux ICPE susceptibles de créer des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses », soit celles relevant de la directive 2012/18/UE du 4 juillet 2012, dite « Seveso 3 ». Afin de répondre aux failles soulevées par l’accident de Lubrizol, ce texte complète et renforce les dispositions existantes transposant la directive européenne. Parmi ces nouvelles mesures, le réexamen quinquennal des études de dangers – obligatoires pour les ICPE soumises à autorisation, telles que les installations Seveso – devra s’accompagner d’un « recensement des technologies à coût économiquement acceptable permettant une amélioration significative de la maîtrise des risques », selon la notice. Plus significatif, les fréquences minimales d’exercices des plans d’opération interne (POI) – plans propres à l’établissement en cas d’accident majeur – seront renforcées : un an pour les établissements Seveso seuil haut, trois ans pour les autres. De même, les pouvoirs du préfet seront renforcés s’agissant des ICPE faisant une déclaration d’antériorité. 
Un arrêté (NOR : TREP2009121A) complète le dispositif – applicable dès le 1er janvier 2021 aux installations nouvelles, et progressivement aux installations existantes, via un calendrier de mise en conformité échelonné jusqu’en 2026. Il clarifie notamment des définitions et précise davantage les catégories d’information tenues à la disposition du public. Il détaille le contenu des POI, notamment en ce qui concerne « les moyens et méthodes prévus pour la remise en état et le nettoyage de l’environnement après un accident majeur, ainsi que les dispositions assurant la disponibilité d’équipements pour mener les premiers prélèvements et analyses environnementaux en cas d’accident », selon la notice.


Entrepôts : la sécurité incendie progresse, le droit des ICPE recule
Le second décret du 24 septembre (n° 2020-1169), modifie la nomenclature des ICPE et celle « annexée à l'article R.122-2 du Code de de l'environnement »  (projets soumis à évaluation environnementale) des entrepôts couverts. En particulier, le texte « étend le régime d'enregistrement pour les rubriques 1510, 1511, 1530, 1532, 2662, 2663 et modifie les libellés de ces rubriques », selon sa notice. Derrière ce langage ICPE peu intelligible, l’objectif du gouvernement est double : il s’agit à la fois de répondre aux failles mises en exergues par Lubrizol, mais aussi de poursuivre la politique de réindustrialisation du pays, en facilitant les implantations ou extensions de ces mêmes industries. Première vertu de ce décret « entrepôts », en dépit du paradoxe : la pratique du « saucissonnage »  administratif – visant à bénéficier d’un régime ICPE moins contraignant – devrait disparaître, le texte imposant de considérer les entrepôts dans leur ensemble pour déterminer leur régime. Autres nouvelles garanties, issues de l’arrêté du 24 septembre (NOR : TREP2009123A): à compter du 31 décembre 2023, les exploitants d’entrepôts existants, quel que soit leur régime ICPE, seront tenus de réaliser un plan de défense incendie – jusqu’ici réservé aux ICPE relevant du régime de l'autorisation. De même, une étude devra être réalisée par les exploitants pour vérifier l'absence d' « effet domino thermique »  qui peut se produire, en cas d’incendie, vers des bâtiments voisins – d’ici au 1er janvier 2023 pour les ICPE soumises à autorisation ou enregistrement, et avant le 1er janvier 2026 pour celles soumises à déclaration. 
Dans un mouvement contraire, ce nouvel arsenal réglementaire procède à un assouplissement du droit des ICPE et de l’évaluation environnementale – à rebours des attentes et préoccupations actuelles. Ainsi, le décret n° 2020-1169 modifie le seuil d’application des règles de soumission à évaluation environnementale systématique des entrepôts pour le « recentrer sur la lutte contre l’artificialisation des sols ». Seuls les projets de plus de 40 000 m² d’emprise au sol dans un espace non artificialisé seront soumis à évaluation environnementale systématique, contre, auparavant, « 40 000 m² de surface de plancher quelle que soit la nature du lieu d’implantation ». Les projets sortant de l’évaluation systématique de ce fait, « demeurent soumis à la procédure de cas par cas », précise la notice. Autre dérégulation surprenante, affectant le droit des ICPE : le seuil de l'autorisation de la rubrique 1510 (stockage de matières, produits ou substances combustibles dans des entrepôts couverts) est relevé de 300 000 m3 à 900 000 m3. Le régime d'autorisation ICPE est en outre supprimé pour les rubriques 1530, 2662 et 2663. En clair, l’autorisation – régime ICPE le plus protecteur pour la prévention des risques et l’environnement – voit son champ réduit.
Sur les moyens requis par ces nouvelles mesures, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a rappelé, le 24 septembre, « l’engagement du gouvernement »  d’augmenter le nombre des inspections de sites industriels classés de 50 % « d’ici la fin du quinquennat ». Le projet de loi de finances pour 2021 appuie, pour l’heure, cet engagement, en prévoyant la création de 50 postes supplémentaires d’inspecteurs des installations classées d’ici 2022 (30 en 2021, 20 en 2022). Dans les territoires accueillant des sites Seveso seuil haut, le texte prévoit également d’allouer 43 millions d'euros à l’accompagnement des riverains devant réaliser des travaux imposés par un plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Verdict à suivre, dans l’Hémicycle, à partir du 12 octobre.

Caroline Saint-André

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

Consulter le dossier de presse du ministère de la Transition écologique.
Consulter le rapport de la commission d’enquête du Sénat.
Décret n° 2020-1168 du 24 septembre.
Décret n° 2020-1169 du 24 septembre. 
Arrêté du 24 septembre (NOR : TREP2009123A).
Arrêté du 24 septembre (NOR : TREP2009121A).