| Édition du mardi 8 juillet 2025 |
Social
Près de 10 millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté
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Le taux de pauvreté en France a atteint en 2023 son niveau le plus élevé depuis que l'Insee le calcule. Cette hausse touche en particulier les familles monoparentales, dont presque un tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Des données inquiétantes, au moment où le gouvernement s'apprête à annoncer ce qui ressemble de plus en plus à une cure d'austérité.
Apparent paradoxe de la période : alors que le niveau de vie médian progresse, globalement, dans le pays, le niveau de vie des ménages les plus modestes diminue. C’est ce qui ressort de la dernière étude Niveau de vie et pauvreté de l’Insee, qui porte sur les données de 2023.
1,3 million de pauvres en plus en 20 ans
Le niveau de vie médian se situe, en France, à 2 150 euros mensuels pour une personne seule, et 3 860 euros pour un couple avec un enfant. Ce chiffre a augmenté de 5,9 % en 2023 en euros courants, et de 0,9 % en tenant compte de l’inflation. Cette hausse a été portée par plusieurs facteurs : une conjoncture de l’emploi salarié « favorable », avec 110 000 créations nettes d’emploi entre 2022 et 2023, des augmentations de salaires dans un certain nombre de secteurs pour compenser l’inflation, et un rendement relativement élevé du livret A.
Mais derrière ces chiffres se cache une réalité beaucoup moins riante : le niveau de vie des trois premiers déciles sont en baisse assez marquée : le premier décile – c’est-à-dire les 10 % de ménages les plus pauvres – voit son niveau de vie reculer de 1 % en euros constants. Parmi les explications à cette baisse : le fait que certains secteurs n’ont pas été concernés par des augmentations de salaire en période d’inflation encore marquée ; et la part croissante des auto-entrepreneurs, de plus en plus importante parmi les non-salariés, mais dont les revenus sont « six fois moins élevés en moyenne » que les autres travailleurs indépendants.
Autre explication : la non-reconduction en 2023 des mesures de soutien exceptionnelles prises en 2022 – l’indemnité inflation et la prime exceptionnelle de rentrée. Cette non-reconduction a clairement « pesé sur le niveau de vie des plus modestes », écrit l’Insee. Enfin, le nombre de temps partiels augmente et le nombre d’allocataires de l’aide au logement diminue.
Le taux de pauvreté est donc aujourd’hui « à son maximum depuis le début des séries », soit depuis près de 30 ans : 9,8 millions de personnes (soit 15,4 % de la population) vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire gagnent moins de 1 288 euros par unité de consommation. C’est 650 000 personnes de plus que l’année précédente… et 1,3 million de plus qu’en 2016.
Chômeurs, indépendants et familles mono-parentales
Si l’on regarde les chiffres par statut d’activité, on constate sans surprise que le taux de pauvreté est le plus élevé chez les personnes privées d’emploi (35,3 %) et les étudiants (33 %). Pour ce qui concerne les chômeurs, l’Insee indique que cette dégradation est une conséquence de la réforme de l’assurance chômage entrée en vigueur le 1er février 2023, qui a réduit la durée d’indemnisation de 25 % pour les nouveaux entrants.
Le taux de pauvreté est trois fois plus élevé chez les indépendants (18,3 %) que chez les salariés (6,1 %), la catégorie « indépendants » étant, on l’a vu, tirée vers le bas par les auto-entrepreneurs dont certains, comme les livreurs de la restauration rapide par exemple, ont des revenus plus que dérisoires.
Si l’on considère la composition des ménages, ce sont encore et toujours les familles mono-parentales (c’est-à-dire, à plus de 80 %, des femmes seules avec enfant) qui sont les plus lourdement touchées par la pauvreté (34,33 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté), suivies des couples avec trois enfants ou plus (25,8 %).
« La dégradation de la situation des familles monoparentales entraîne une hausse de la pauvreté chez les enfants : en 2023, le taux de pauvreté des moins de 18 ans croît de 1,5 point et atteint 21,9 % », note l’Insee.
Creusement des inégalités
Pendant la même période, les ménages les plus aisés ont vu leur niveau de vie augmenter notablement, ce qui signifie que l’écart s’accroît entre les plus riches et les plus pauvres. Les 10 % de ménages les plus aisés ont vu leur niveau de vie augmenter de 2,1 % en 2023, principalement en raison de « l’augmentation des revenus financiers impulsée par la hausse des taux d’intérêt et à l'augmentation des revenus d'investissement, notamment des placements et assurance-vie ». Ces ménages ont également profité de la dernière tranche de la suppression de la taxe d’habitation, puisque celle-ci a concerné, en 2023, les 20 % de ménages les plus aisés.
Ces données sont d’autant plus inquiétantes que, même si l’inflation ralentit, ce qui peut laisser espérer une stabilisation en 2024, la période à venir s’annonce socialement difficile. Le Premier ministre, même s’il n’a pas encore rendu ses arbitrages pour le budget 2026, a fortement insisté ces derniers mois sur le fait que « tout le monde » serait mis à contribution, y compris les plus modestes. Si, comme certains le suggèrent, comme le vice-président de la commission des finances du Sénat, Michel Canévet, le gouvernement décidait d'un gel des prestations sociales en 2026, la situation des ménages les plus pauvres pourrait de se dégrader encore davantage.
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Incendie et secours
Incendies : confrontée à une « crise majeure », la flotte aérienne de la sécurité civile doit rapidement se renouvelerÂ
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Dans un rapport, deux députés demandent au gouvernement de « clarifier » sa stratégie de renouvellement des Canadair, qui ne cesse d'évoluer. Face au monopole du constructeur canadien, ils plaident également pour « le développement d'une filière française et européenne de production ».
Alors que les premiers incendies d’ampleur se sont déclarés, depuis samedi, dans l’Hérault, les Bouches-du-Rhône, mais aussi l’Aude – avec déjà 2 000 hectares de forêt calcinés près de Narbonne – , deux députés alertent, dans un rapport d'information, sur la « crise majeure » que traverse la flotte aérienne de la sécurité civile.
Composée de 60 aéronefs (23 avions et 37 hélicoptères), cette flotte est jugée « vieillissante » et « inadaptée », selon les députés de la Haute-Vienne et de la Lozère, Damien Maudet (LFI) et Sophie Pantel (PS).
Une flotte « vieillissante et inadaptée »
Ils pointent le vieillissement « notable » des avions, la situation « la plus critique » étant celle des 12 Canadair, dont la moyenne d’âge est de 30 ans. Leur « exploitation intensive » entraîne « un important travail de maintien en condition opérationnelle » et, de ce fait, « une disponibilité des appareils très insuffisante ». Dans le même temps, le remplacement des huit Dash-8 (une vingtaine d’années) et des trois vénérables Beechcraft (qui ont 45 ans) se fait également pressantes.
En tout état de cause, ce vieillissement avancé « ne permet plus à la flotte d’accomplir ses différentes missions pourtant essentielles à la protection des populations et du territoire ».
Rien de bien nouveau finalement dans ce diagnostic puisque la situation est connue de longue date. En 2020 déjà, le sénateur Jean-Pierre Vogel (LR) alertait sur le « sérieux motif de préoccupation » que constituait « le vieillissement de la flotte » aérienne de la sécurité civile. En 2022 et 2023, la Cour des comptes et le sénateur de la Sarthe confirmaient, l’un après l’autre, le manque d'anticipation de l’État pour la renouveler. Et l’an dernier encore, le sénateur centriste du Tarn, Philippe Folliot, rappelait, dans une question au gouvernement, « la faiblesse des moyens français », dont la flotte était « plus que jamais sous tension ».
En outre, celle-ci ne serait « plus adaptée aux besoins » car ceux-ci « augmentent fortement » sous l’effet du réchauffement climatique. « Les incendies, plus longs et plus intenses, remontent désormais vers le nord du territoire jusqu’alors relativement épargné, alors que les pluies extrêmes se multiplient, causant de plus en plus d’inondations notamment en hiver », expliquent les deux députés, rappelant que « l’ensemble de ces risques pose d’importants défis logistiques, humains et financiers qu’il faut anticiper le plus rapidement possible ».
À ce titre, les rapporteurs demandent de mieux « répartir les moyens héliportés sur le territoire » puisque « l’actuelle répartition […] se caractérise par d’importants déséquilibres entre les territoires avec, dans certains cas, des chevauchements et, à l’inverse, des zones blanches, comme le nord et le sud du Massif central ». Or le changement climatique étend notamment le risque incendie vers le nord du pays…
Les Canadair, la « préoccupation majeure »
Reconnaissant que « des actions salutaires » de renouvellement de la flotte ont bien été engagées ces dernières années – notamment à la suite de la très violente saison des feux 2022 – , Damien Maudet et Sophie Pantel estiment que « les efforts réels sont insuffisants ». En conséquence, « il faut donc agir vite et fort afin de renouveler à temps la flotte, en particulier les avions bombardiers d’eau ».
Et notamment la flotte des Canadair qui reste « un sujet de préoccupation majeure insuffisamment anticipé ». Avec un certain « retard », un contrat portant sur l’acquisition de deux nouveaux Canadair a bien été signé par la France au mois d’août 2024 (pour une livraison prévue en 2028), mais les députés soulignent des « négociations difficiles » et « âpres » du fait notamment de la « situation de monopole » du constructeur canadien.
Alors que le président de la République s'était engagé en 2022 à renouveler la flotte des 12 anciens Canadair par 16 nouveaux d'ici 2027, les auteurs du rapport dénoncent les « incohérences » dans la stratégie française qui n’a cessé d’« évoluer » sur le calendrier de renouvellement des Canadair.
Au lieu du renouvellement de l’intégralité de la flotte en 2027, c’est finalement l’acquisition de quatre nouveaux appareils qui a finalement été décidée d’ici 2033. Et cela, avant que « la crédibilité de cette stratégie [ait] été atteinte par le décret du 21 février 2024 qui est venu annuler près de 53 millions d’euros du programme […] destinés à l’acquisition de deux [de ces] appareils ».
Au regard des retards pris, les deux députés demandent donc à l’exécutif de « clarifier rapidement la stratégie de renouvellement de la flotte des Canadair quant au nombre d’appareils commandés et leur calendrier de livraison ».
D’autant que la location d’aéronefs doit rester « une solution d’appoint » qui « ne saurait se substituer à l’acquisition d’avions et d’hélicoptères en propre ». « Si la location peut sembler avantageuse à court terme, elle représente au final un coût non négligeable pour les finances publiques [avec] un coût cumulé de plus de 106 millions d’euros depuis 2020 », notent-ils.
Développer une filière française et européenne
Dans ce contexte, les deux rapporteurs estiment que « la situation de monopole du constructeur canadien pourrait menacer notre souveraineté stratégique ». Afin de ne « pas dépendre de constructeurs étrangers s’agissant d’équipements aussi stratégiques », ils militent pour « le développement d’une filière française et européenne de production » d’avions bombardiers d’eau.
Outre la question du respect du calendrier de livraison des appareils, « il ne peut être exclu que le constructeur canadien favorise une demande régionale, notamment vis-à-vis de son voisin américain, au détriment de l’Europe, dans un contexte de tensions géopolitiques commerciales et alors que le continent nord-américain est également touché par les effets du réchauffement climatique et l’intensification du risque incendie », préviennent-ils, en rappelant « la crise de fourniture des masques et la concurrence pour les vaccins durant la pandémie de covid-19 ». Mais aussi les « rumeurs » autour d’« un "Patriot Act" canadien qui viserait à retenir sur le territoire les premiers appareils produits ».
Pour cela, ils estiment qu’une partie des investissements doit être « dirigée vers le développement de projets souverains [français et européens, donc] d’avions bombardiers d’eau ». Avec un objectif de mise en service « la plus rapide possible, en renforçant les financements publics et en dégageant des solutions communes au niveau européen ».
En outre, Damien Maudet et Sophie Pantel préconisent de « diversifier » la flotte de la sécurité civile par « l’acquisition d’hélicoptères lourds bombardiers d’eau », mais aussi de mener une « réflexion » afin de « compléter la flotte par des drones, des capteurs thermiques et des radars embarqués ». Ceux-ci permettraient de « cartographier les risques avant l’allumage des feux, de guider avec précision les moyens aériens et terrestres de lutte contre les incendies et d’optimiser les largages ».
Bien qu’ils considèrent la coopération européenne comme « une solution pertinente [pour] mutualiser les moyens aériens de protection civile », ils estiment que la contribution de la France à ce dispositif ne doit pas empêcher « le maintien d’une flotte nationale autonome ». « Le recours à la flotte RescUE doit compléter les moyens aériens nationaux et non se substituer à eux, sans quoi cela créerait une situation de dépendance vis-à-vis d’une flotte qui, si elle a vocation à monter en puissance dans l’avenir, souffre de certaines limites », estiment-ils, en défendant « une position d’équilibre » et « une logique de complémentarité ».
Consulter le rapport.
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Elections municipales
Scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille : le gouvernement choisit de passer outre le Sénat
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Malgré l'opposition absolue du Sénat à la réforme du mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille, le gouvernement a manifestement choisi d'aller au bout et d'imposer la proposition de loi. Celle-ci a été adoptée hier par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
C’est dans une ambiance très particulière que s’est déroulée la séance d’après-midi à l’Assemblée nationale : alors que le débat sur la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des conseils municipaux des trois plus grandes villes de France débutait à peine, la présidente de la séance a interrompu les débats pour apprendre aux députés le décès de leur collègue Olivier Marleix, député de l’Eure-et-Loir, ancien maire d’Anet et, jusqu’en juin dernier, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale.
Sur tous les bancs, les députés ont fait part de leur stupéfaction et de leur tristesse, et chaque intervention, lors de la discussion générale sur ce texte, a commencé par quelques mots d’hommage à Olivier Marleix – le député LR Nicolas Ray luttant, à la tribune, pour retenir ses larmes.
Un hommage solennel sera rendu à Olivier Marleix à l’Assemblée nationale, par la présidente Yaël Braun-Pivet, aujourd’hui à 15 heures.
« Avancée majeure » ou « texte inconstitutionnel » ?
Après ce moment d’émotion collective, la politique a repris ses droits et le débat sur la proposition de loi a repris, dans un climat peut-être plus respectueux que d’habitude. Avec les mêmes clivages que ceux qui se sont faits jour depuis le début de l’examen de ce texte : sont favorables à la réforme les députés Ensemble, MoDem, LR, LFI et RN. Sont contre les socialistes, les communistes et le groupe Horizons.
Pour mémoire, il s’agit de mettre en place un nouveau mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille, permettant d’élire, en plus des conseils d’arrondissement, un conseil municipal élu au suffrage universel direct. Aujourd’hui, rappelons-le, les électeurs de ces trois villes n’élisent que les conseils d’arrondissement, et le conseil municipal, qui élit ensuite le maire, est une émanation de ces conseils d’arrondissement.
Le texte vise également à instaurer une prime au vainqueur de 25 % seulement, alors qu’elle est de 50 % dans les autres communes (la liste arrivée en tête gagne automatiquement 50 % des sièges, et les sièges restants sont répartis entre toutes les listes, y compris le vainqueur, à la proportionnelle). Le député MoDem Jean-Paul Mattei, rapporteur du texte hier, a longuement développé son soutien à ce point, estimant que « la prime majoritaire de 50 % écrase les oppositions et (que) c’est au mépris de celles-ci que la gouvernance des communes est assurée ». Il a même déclaré espérer que Paris, Lyon et Marseille allaient donner l’exemple à l’avenir d’un système différent « où l’on s’écoute, où l’on coconstruit, où les oppositions disposent de moyens pour effectuer leur travail et où la majorité n’est pas synonyme de quasi-unanimité »… Jean-Paul Mattei a dit souhaiter que la prime majoritaire de 25 % soit étendue, « un jour prochain », à l’ensemble des communes.
Cette assertion selon laquelle les communes sont gouvernées « au mépris des oppositions » fera certainement tiquer bien des maires, qui n’ont l’impression « d’écraser » personne.
Quoi qu’il en soit, pour le rapporteur et ses alliés du moment, ce texte est donc « la correction d’une anomalie » et « une avancée majeure dans la démocratie municipale ». À l’inverse, pour les adversaires de cette proposition de loi – au premier rang desquels le futur candidat socialiste à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire –, la réforme proposée est « désastreuse, inutile, nocive et sans doute inconstitutionnelle ». Emmanuel Grégoire a longuement développé ce dernier moment, donnant les axes de la future saisine du Conseil constitutionnel que les socialistes ne manqueront pas d’organiser en cas d’adoption définitive du texte. Ils estiment en particulier que la prime majoritaire de 25 %, quand toutes les autres communes sont à 50 %, est une « dérogation injustifiée au principe d’égalité devant la loi électorale ». Par ailleurs, les socialistes pointent le fait que cette réforme va avoir des conséquences financières très lourdes pour les trois villes concernées – elles se comptent « en millions d’euros », selon Emmanuel Grégoire. En effet, les trois villes devront organiser le même jour non pas un mais deux scrutins (un pour les conseils d’arrondissement et un pour le conseil municipal), voire trois à Lyon qui doit également élire les conseillers à la métropole. Les socialistes estiment donc que ce texte, dans son ensemble, aurait dû être regardé comme irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, puisqu’il crée une charge nouvelle sans créer de recette équivalente.
Passage en force
Tout au long des débats, hier, ces arguments des défenseurs et des adversaires du texte ont été répétés. Aucun des amendements proposés visant à amoindrir la portée du texte (par exemple en sortant Lyon de la réforme) n’a été adopté. Seuls trois amendements, techniques ou rédactionnels du texte, ont été adoptés, avant que le texte dans son ensemble soit approuvé par 117 voix pour et 34 contre.
Ce vote ne faisait pas de doute, puisque la majorité des députés est, depuis le début des débats, favorable à ce texte. En réalité, la question n’est pas là : après que la commission mixte paritaire eut échoué à trouver un compromis, du fait de l’opposition farouche du Sénat à cette réforme, le gouvernement avait le choix : ou il abandonnait la réforme, ou il faisait réinscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. C’est finalement ce qu’il a fait, ouvrant la voie à un passage en force, contre l’avis du Sénat qui est pourtant la chambre qui représente les collectivités. Les choses devraient maintenant aller très vite : le gouvernement souhaite que le texte soit définitivement adopté avant la fin de la session extraordinaire, c’est-à-dire d’ici la fin de la semaine.
Techniquement, c’est possible et cela devrait être fait : le texte sera examiné demain au Sénat – et certainement rejeté. Il restera alors à l’Assemblée nationale à donner le « dernier mot » en adoptant le texte, ce qui devrait être fait vendredi.
Politiquement, la chose est plus problématique. Adopter aux forceps un texte relatif aux communes qui contrarie profondément le Sénat ne devrait pas arranger les relations du gouvernement avec le Palais du Luxembourg et son président Gérard Larcher ; et encore moins les relations avec Les Républicains – du moins ceux du Sénat, farouchement opposés à ce texte contrairement à leurs collègues de l’Assemblée nationale. Or dans la très difficile négociation qui s’annonce sur le budget, le parti d’Emmanuel Macron aura besoin de tous ses alliés.
Il semble, pourtant, bien décidé à prendre le risque.
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Jeunesse
Les maisons des jeunes et de la culture, un réseau plus jeune qu'il n'y paraît
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Plus de 500 représentants et représentantes des MJC de toute la France – dont la moitié de moins de 25 ans – se sont retrouvés pendant trois jours, du vendredi 4 au dimanche 6 juillet, dans le pays de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor). Une convention festive et engagée sur fond de vitalité, d'échanges, mais aussi d'inquiétudes sur l'avenir d'une partie de ces structures.
Quintin, Plouha, Bégard, Lamballe-Armor et Saint-Brieuc. Le choix de ces communes, de 2 700 à 44 600 habitants, pour accueillir la convention des maisons des jeunes et de la culture (MJC), la première depuis la création de MJC de France en avril 2022 (fusion de deux anciennes fédérations), ne doit rien au hasard. Il s’agissait de mettre en avant à la fois un département « dense » en MJC, et l’implantation rurale de celles-ci (1).
Une « maison des jeunes et de la ruralité », c’est d’ailleurs le nom que la commune de Plouha a inventé pour affirmer l’identité de sa structure, et dont la scène ouverte a été étrennée pendant la convention. « Nous en avons eu l’idée en 2016. Nous avions une coopérative agricole en friche, 1 000 mètres carrés en face du collège, et nous avons eu l’envie d’en faire une coopérative à la fabrique du commun ! La ruralité a tellement à partager pour faire société et fraternité », explique son maire, Xavier Compain. Une conviction communicative parmi les 500 participants, dont une bonne moitié de moins de 25 ans.
L’effet ciseau
Le réseau ne distribue pas de label en tant que tel, les appellations peuvent être donc variées selon les communes (2). Ce qui fédère les MJC, c’est un cadre politique commun et de référence, et des « fondamentaux » (le processus démocratique, l’accueil inconditionnel, la place des collectivités, etc.).
Si la majorité d'entre elles ont été créées il y a des décennies, il s’en crée toujours de nouvelles, comme à Plouha, mais il s’en ferme aussi. Surtout depuis ces deux dernières années, marquées par « des liquidations pour raisons économiques », relève Patrick Chenu, directeur de MJC de France.
Leur modèle économique repose, en moyenne, sur 52 % de subventions publiques (en majorité des municipalités, en plus petite partie des CAF pour des actions jeunesse et les agréments centre social, de l’État avec des postes Fonjep, des Drac, ou plus à la marge, des régions). Le reste des ressources, 48 %, provient des cotisations et recettes d’activités.
Les MJC subissent donc, elles aussi, l’effet ciseau d’une baisse de certaines subventions, le « coup de rabot » sur les services civiques, comme la hausse des coûts de fonctionnement (inflation des prix des fluides, +10 % de la masse salariale suite à des accords de branche). L’amortissement est impossible pour les plus fragiles. « Or, en 2023, la moitié des MJC était en déficit, les marges de manœuvre se réduisent », pointe le président de MJC de France, Jean-Yves Macé.
Faire vivre le débat
« Le projet MJC reste pourtant désirable, dans sa vocation de transformation sociale, émancipatrice », revendique le directeur. « Même s’il n’est pas peut-être pas assez lisible et visible », nuance le président. « Les MJC sont des lieux de débat, nous tenons à l’implication de chacun, jeunes comme élus, qui siègent dans nos conseils d’administration, nous devons rester des espaces de confrontation pacifique », plaide Jean-Yves Macé. Cette convention était d’ailleurs placée sous le thème des « transmissions ». « Parce qu’il faut remettre en question la motivation et la mobilisation des militants que nous sommes, toujours s’intéresser à la place que l’on laisse aux jeunes, aux nouvelles formes d’engagement », poursuit-il.
Le message de certains élus venus participer à des ateliers a été encore plus franc et direct, comme celui du maire de Plouvenez-Moëdec, Gérard Quilin, lors d’un atelier sur l’action culturelle de proximité : « Les MJC sont politiques et c’est normal, on a besoin de vous. Aux plus jeunes, je dis, participez à la politique, sinon elle se fera contre vous ! ».
« On a effectivement besoin de lieux où l’on apprend à participer à la vie démocratique, où l’on découvre et comprend un collectif, l’éducation populaire fait partie de ces autres formes d’éducation que l’on soutient », acquiesce Émilie Kuchel, adjointe aux politiques éducatives de Brest, venue en voisine mais davantage avec la casquette de présidente du Réseau français des villes éducatrices. Sa ville vient justement de voter une hausse de la subvention aux MJC de la ville.
62 % des communes maintiennent leurs subventions. Ce qui veut dire que près de 40% les diminuent… « Les élus se trompent lorsqu’ils mettent en concurrence des établissements culturels sous prétexte d’économie, à long terme c’est terrible », soupire un ancien adjoint, aujourd’hui administrateur d’une MJC en Bourgogne Franche-Comté.
Valoriser l’engagement des jeunes
À l’heure où certains mettent en doute la capacité d’engagement des jeunes, il leur est recommandé d’ouvrir les portes d’une MJC. Une personne sur deux les fréquentant a moins de 25 ans. De quoi vivifier certains échanges… « Quand je suis arrivée, je cherchais un stage, j’étais un peu perdue », raconte une jeune fille. « On m’a transmis, et j’ai appris à transmettre à de plus jeunes » explique une autre. « C’est pas toujours drôle, c’est parfois long, mais on s’y sent reconnu ». « J’ai l’impression de me rendre utile, d’avancer vers une société plus égalitaire, c’est peut être naïf ou utopique mais c’est suffisant pour que je souhaite m’engager », ajoute une autre. « C’est un lieu imparfait où on apprend à échanger avec les autres, on remet nos certitudes en question, où on fait un pas de côté », enchaine une jeune femme. « J’ai ouvert la porte d’une MJC pour ne plus m’embêter le mercredi après-midi et trois ans plus tard je suis entrée au conseil d’administration, aujourd’hui je suis plus sûre de moi », exprime une autre. Dans le public, les adultes apprécient. D’ailleurs, n’est-ce pas aussi le sens du message vidéo envoyé par la ministre de la Culture, confiant avoir été une « enfant de l’éducation populaire » ?
(1) 43% des MJC sont rurales. La majorité des MJC urbaines sont plutôt dans des villes entre 5 000 et 10 000 habitants, une sur cinq est installée dans un quartier prioritaire de la ville. Les 1000 MJC se répartissent dans 850 collectivités.
(2) L’appellation « MJC » recouvre plusieurs structures associatives qui partagent les mêmes valeurs : Maison pour Tous, de quartier, de Loisirs et de la Culture, de la Vie Citoyenne, Centre d’animation, rural, socio-éducatif, Foyer de Jeunes, Espace culturel, OCAL, Forum, etc.
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Égalité femmes-hommes
Lutte contre les violences faites aux femmes : une participation des collectivités « mal connue »
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Les sénateurs Arnaud Bazin et Pierre Barros ont présenté un rapport évaluant le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour une action plus efficace, la contribution des collectivités devrait être prise en compte, tout comme les ressources documentaires dont elles disposent.
« Une grande cause encore mal dotée. » Voilà le constat dressé à propos de l'évolution des financements de la lutte contre les violences faites aux femmes dans un rapport sénatorial présenté la semaine dernière.
D’abord, « force est de constater que les violences faites aux femmes n’ont guère connu de reflux », indiquent les deux rapporteurs Arnaud Bazin et Pierre Barros, sénateurs du Val-d’Oise. Le nombre de féminicides a certes diminué entre 2020 et 2023 (de 121 à 96 décès) mais les tentatives de féminicides ont ostensiblement augmenté, passant de 238 à 451. De même, les plaintes pour viols ou tentatives de viol ont augmenté de 104 % entre 2020 et 2023, signe d’une libération de la parole mais aussi d’une prégnance préoccupante dans les violences faites aux femmes. Par ailleurs, les cas de violences volontaires au sein du couple sont en hausse de près de 48 % sur trois ans.
Face à ce constat, il apparaît que la politique de lutte contre les violences faites aux femmes manque « de boussole stratégique » mais que surtout, le financement dédié est à la fois imparfaitement évalué et ne permet pas d’armer suffisamment les acteurs locaux.
La contribution des collectivités « mal connue »
Les crédits dédiés au programme 137 (égalité femmes/hommes) ont quasiment triplé entre 2020 et 2024, passant d’environ 35 millions d’euros à plus de 100 millions d’euros. Mais, selon les sénateurs, ces montants sont dérisoires au regard des 3,6 milliards d’euros estimés comme le coût sociétal annuel des violences. Déséquilibré, le financement de l’État est aussi non évalué et mal organisé, selon les sénateurs qui fustigent un « morcèlement des crédits et un pilotage insuffisant de la politique ».
De surcroît, au niveau des financements publics, la participation des financements des collectivités territoriales à la lutte contre les violences faites aux femmes et, plus largement, à l’égalité entre les femmes et les hommes est encore « mal connue ». « Il s’agit là d’une source de financement à mobiliser, de même que les fonds européens et privés encore peu sollicités alors que leur contribution serait nécessaire », peut-on lire dans le rapport.
La contribution des collectivités est pourtant « substantielle ». Par exemple, « en 2022, les collectivités territoriales étaient à la source de 29,8 % des crédits alloués aux Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), l'État représentant pour sa part 39,8 % de leurs ressources ». Aussi, « les collectivités territoriales sont souvent impliquées dans les démarches d'aller vers tels que les dispositifs itinérants qui sont ainsi co-financés à l'échelle régionale ou départementale, en complément des crédits du programme 137, dont la part du financement est estimée par l'administration à 45 % en moyenne du coût d'un projet. »
Les sénateurs estiment ainsi que la mobilisation par les associations de co-financements des collectivités territoriales peut constituer une solution mais « encore faut-il que les démarches administratives permettant d'obtenir de tels financements ne placent pas les associations dans des difficultés insurmontables, et que la contribution des collectivités au redressement des comptes publics leur laisse suffisamment de marges pour ce faire. » Ils recommandent de développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales, « notamment en les associant, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent ».
Recenser les documents des collectivités et extension de la BIE
De la même façon, il serait utile de « mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Rappelons par exemple que les communes de plus de 20 000 habitants, les EPCI, les départements et les régions doivent présenter chaque année, avant les débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité.
Enfin, certaines collectivités se sont précocement engagées dans la mise en œuvre de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE) à leur échelle, comme la commune de Strasbourg et de la Ville de Paris. « Toutefois, cet engagement restant une simple faculté, aucune recension d'ensemble n'est produite par les services de l'État, estiment les rapporteurs. Il conviendrait, lorsque les travaux sur la BIE auront acquis une plus grande maturité s'agissant du budget de l'État, d'en étendre la logique à l'ensemble des grandes collectivités sur le modèle du budget vert désormais utilisée tant par l'État que les collectivités. »
Des priorités pour l’avenir
Dans un climat de contraintes budgétaires, et au-delà du besoin de structurer un pilotage plus cohérent en unifiant par exemple les crédits via un fonds interministériel, les sénateurs préconisent d’axer les efforts sur certaines priorités. Il est, selon les rapporteurs, essentiel d’élargir l'action pour prendre en comptes les violences exercées hors couple, d’investir sur la prévention, de mieux prendre en charge les auteurs de violences et de sécuriser les parcours de sortie de la prostitution. Mais c’est la question de l’hébergement qui reste au cœur des préoccupations : les 11 276 places d’hébergement dans le parc spécialisé pour les femmes victimes de violences restent bien insuffisantes face aux besoins dans les territoires.
Les sénateurs encouragent également accélération du déploiement du « pack nouveau départ (PND) » en l'étendant à de nouveaux départements volontaires. Ce dispositif n'est à ce stade mis en œuvre que dans cinq départements et vient en complément de l'aide universelle d'urgence, « prévenir les situations, trop récurrentes, dans lesquelles les personnes victimes de violences conjugales font des allers/retours avant de quitter définitivement leur conjoint violent. »
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Journal Officiel du mardi 8 juillet 2025
Ministère de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique
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