| Édition du mardi 13 mai 2025 |
Élections
Scrutin de liste paritaire dans les petites communes : les arguments des adversaires du texte devant le Conseil constitutionnel
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Le Conseil constitutionnel va se prononcer de façon imminente sur la conformité à la Constitution de la loi instaurant le scrutin de liste paritaire dans les communes de moins de 1 000 habitants. Mais quels sont les arguments des parlementaires qui ont saisi les Sages ? Tour d'horizon.Â
Le lundi 7 avril, un ultime vote à l’Assemblée nationale a permis l’adoption définitive de la loi « visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité ». Ce texte, extrêmement important pour les 24 734 communes de moins de 1 000 habitants du pays, vise à instaurer dans ces communes les mêmes règles que pour les autres lors des élections municipales : ce serait la fin du scrutin plurinominal à deux tours avec possibilité de panachage, et l’instauration du scrutin proportionnel à deux tours, avec listes paritaires.
Avant d’être certain que cette réforme sera mise en œuvre dès les élections municipales de l’an prochain, il faut que la loi adoptée soit promulguée et pour cela, il faut qu’elle soit validée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet fait l’objet de trois saisines différentes : une du Premier ministre, une des députés du RN et une des sénateurs LR.
Les arguments du RN
Le Premier ministre a transmis le texte au Conseil constitutionnel en lui demandant simplement, sans autres arguments, de « se prononcer sur la conformité de ce texte à la Constitution ».
En revanche, les groupes de députés et de sénateurs qui ont eux aussi saisi les Sages ont longuement argumenté leur saisine.
Du côté des députés, c’est le Rassemblement national qui a saisi le Conseil constitutionnel. Dans un mémoire d’une dizaine de pages, le groupe présidé par Marine Le Pen estime que l’article 1er de la loi, qui met fin au scrutin majoritaire plurinominal dans les communes de moins de 1 000 habitants, est pour de multiples raisons « contraire à la Constitution ». Sans détailler tous les arguments du RN, on peut en citer quelques-uns. Premièrement, le RN estime que ce texte méconnaît « le droit d’éligibilité », puisqu’il interdirait, par exemple, les candidatures isolées. Par ailleurs, ces députés pensent que ce texte méconnait le principe de « préservation de la liberté de l’électeur », dans la mesure où dans de nombreuses petites communes, il n’y aura qu’une seule liste, ce qui conduira les électeurs à « être privés de choix électoral ». On remarquera à ce sujet que l’existence d’une liste unique existe déjà dans bien des communes de plus de 1 000 habitants, ce qui n’empêche nullement les électeurs de s’abstenir ou de voter blanc ou nul.
De même, le RN juge que l’existence de listes uniques dans « de nombreuses communes » fera obstacle au secret du vote : puisqu’il n’y aura alors qu’un seul bulletin de vote, un électeur se rendant à l’isoloir « révèlera la nature de son vote », argue le RN, qui semble oublier là encore la possibilité de voter blanc ou nul.
Autre argument des députés RN : ce texte porterait atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, qui suppose que celles-ci soient dirigées par « un conseil élu ». Or, plaident ces députés, les dispositions de cette loi risquent d’aboutir, dans un certain nombre de communes, à l’impossibilité de constituer une liste. Ils en tirent la conclusion que cette absence de conseil élu conduirait à la « suppression autoritaire » de communes par l’État, au motif qu’elles n’auraient pas élu de conseil municipal. On ignore sur quel article de loi s’appuient les députés RN pour imaginer cette solution : à notre connaissance, aucune loi ne permet à l’état de « dissoudre » une commune au motif qu’elle n’a pas de conseil municipal. La loi prévoit simplement, dans ce cas, que le préfet nomme une « délégation spéciale » de trois membres chargée de gérer les affaires courantes (article L2121-35 du CGCT).
Les arguments des sénateurs
Côté Sénat, c’est un groupe transpartisan composé de parlementaires LR, centristes, Indépendants (dont Horizons) et PCF – ce qui est assez inhabituel – qui a saisi les Sages via un mémoire de 37 pages, avec des arguments qui, de manière générale, apparaissent juridiquement plus consistants que ceux du RN.
Toute une partie de l’argumentation des sénateurs repose, d’abord, sur les conditions d’adoption de ce texte : ils estiment que cette adoption, à l’Assemblée nationale, a été marquée par « de multiples manquements aux règles de procédure applicables » – ce qui suffit, d’après eux, à rendre ce texte « inconstitutionnel dans son ensemble », pour cause de « violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ». Rappelons que la dernière séance qui a conduit à l’adoption de ce texte s’est déroulée dans des conditions chaotiques, rapportées en détail par Maire info dans son édition du 8 avril, avec notamment l’utilisation par le gouvernement de son droit à demander une seconde délibération sur la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Les sénateurs LR estiment notamment que cette demande a été faite de façon irrégulière.
Sur le fond, les sénateurs auteurs de la saisine jugent, eux aussi, que ce texte met à mal le principe de libre administration des collectivités territoriales. D’une part, parce que ces dispositions interviennent à une date trop rapprochée du scrutin (moins d’un an) ; d’autre part, parce que l’application du principe de parité « peut se révéler être impossible pour les très petites communes », qui ne pourraient alors élire un conseil municipal. Rappelons toutefois, sur la question de l'adoption tardive de la loi, qu'une situation similaire s'était produite en 2013 au moment de l'adoption de la loi imposant la parité aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants. La loi avait été promulguée le 17 mai 2013, soit dix mois avant les municipales de 2014, sans que le Conseil constitutionnel y trouve rien à redire.
Par ailleurs, ces sénateurs estiment que l’existence de « règles électorales distinctes pour les petites communes » doit être élevée au rang de « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Ce texte, qui supprime un régime électoral distinct pour les communes de moins de 1 000 habitants, porterait donc atteinte à ce « principe fondamental », ce qui doit conduire à sa censure, jugent les sénateurs LR. L’argument semble, toutefois, difficilement recevable, dans la mesure où pour toutes les autres élections, le mode de scrutin est le même quelle que soit la taille de la commune.
Il est à noter que ni du côté du Sénat ni de celui de l’Assemblée nationale, les parlementaires n’ont invoqué la possibilité de « cavaliers législatifs » dans ce texte. Pourtant, l’avant-dernier article du texte, qui concerne le fonctionnement du conseil municipal dans les communes nouvelles, pourrait être considéré comme n’ayant « pas de lien, même indirect », avec l’objet de la loi – qui vise à « harmoniser le mode de scrutin » dans toutes les communes du pays. Même si cet argument n’a pas été utilisé par les parlementaires, il reviendra aux Sages d’en juger, puisque le gouvernement leur a demandé de se prononcer sur l’ensemble de la loi.
Reste à attendre la décision du Conseil constitutionnel, qui est forcément imminente, même si aucune date de lecture de la décision ne figure encore sur le site du Conseil constitutionnel. Mais les Sages, garants de la Constitution, ne sauraient naturellement manquer aux règles fixées par celles-ci : l’article 61 de la Constitution dispose que lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, il a un mois pour statuer. Or la saisine du gouvernement et celle des députés RN ont été déposées le 15 avril (celle des sénateurs le 2 mai). Sur les deux premières saisines, les Sages doivent donc se prononcer au plus tard après-demain, le jeudi 15 mai.
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Santé publique
Déserts médicaux : après l'adoption du texte des députés, les sénateurs débattent du leur
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Les deux chambres du Parlement se font concurrence avec l'examen de deux textes visant à lutter contre les déserts médicaux et rétablir un meilleur accès aux soins dans les territoires. Au centre des débats, la régulation d'installation des médecins. Le gouvernement soutient la proposition sénatoriale, moins coercitive.
Réguler ou ne pas réguler l'installation des médecins afin de lutter contre les déserts médicaux ? Telles sont les deux conceptions qui s’affrontent, en parallèle, dans les deux chambres du Parlement, en ce moment même.
Alors que l'Assemblée nationale a adopté, la semaine dernière, en première lecture, une proposition de loi plaidant pour la régulation, c’est au tour du Sénat, depuis hier de s’attaquer à la problématique de « l’accès au soin dans les territoires » avec l’examen d’un texte promouvant une vision quelque peu différente.
Autorisation d’installation
Porté par un groupe transpartisan de plus de 250 députés (allant de LFI à une partie du groupe LR en passant par certains macronistes), le texte des députés a été adopté facilement par 99 voix contre 9, mais contre l'avis de nombreux médecins et du gouvernement qui lui préfère le texte concurrent des sénateurs. Alors que le Rassemblement national s'est abstenu, les députés macronistes et LR – peu nombreux lors du vote – ont dispersé leurs voix.
Débutées en avril, les discussions ont donné lieu, sans surprise, à des débats particulièrement nourris, notamment sur la mesure-phare qui fait figure depuis des années de serpent de mer : faut-il obliger les médecins à s’installer dans les territoires sous-dotés, comme cela se fait dans certains métiers de la fonction publique et de la santé ?
Dans la douleur, les députés ont finalement tranché. Après avoir rejeté, en commission, la création d’une autorisation d'installation des médecins délivrée par l'Agence régionale de santé (ARS), ils l’ont finalement rétablie en séance publique.
« Nous avons remis un peu de République dans notre organisation collective, cette République qui doit veiller sur chacun de nous, qui que nous soyons, où que nous habitions », s’est félicité le rapporteur socialiste Guillaume Garot, en soulignant que « notre santé ne peut pas dépendre de notre code postal ».
Concrètement, avec ce texte, dans les zones sous-dotées, l’autorisation d’installation serait délivrée « de droit ». Dans les zones où l’offre est jugée suffisante, celle-ci ne serait délivrée que « si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien pratiquant la même spécialité sur ce territoire ». La liberté d’installation serait donc seulement aménagée.
« Nous avons fait le constat qu’une telle mesure s’était révélée efficace. Pourquoi s’empêcher de mettre en œuvre alors qu’elle porte ses fruits à l’étranger et en France, pour les autres professions de santé ? », avait défendu le député de la Mayenne début avril, rappelant qu’il a été « démontré que [cette mesure] permettrait, chaque année, à 600 000 personnes vivant dans des zones mal dotées, de trouver un médecin ».
« Inchangé pour 87 % du territoire », le principe de liberté d’installation « prévaut », avait soutenu l’élu, assurant qu’il serait « simplement encadré pour les 13 % restants, afin de ne pas concentrer davantage l’offre de soins ».
Pas de quoi convaincre les étudiants et internes en médecine qui estiment, via un communiqué du syndicat Jeunes médecins, que ce qui met en péril l'accès aux soins c’est surtout « la pénurie structurelle de médecins » et le « manque d'attractivité du secteur libéral ».
Une position qui se rapproche de celle du président de l’AMF, David Lisnard, qui s’est dit, la semaine dernière sur BFMTV, « contre la régulation des médecins ». « Plus on mettra de contraintes sur les médecins, plus ils partiront à l’étranger », a-t-il expliqué, celui-ci plaidant surtout pour que l’« on ouvre les vannes de la formation des médecins » et défendant les « avancées récentes permettant aux pharmaciens et aux infirmiers de pratiques avancées de pouvoir être une porte d’entrée dans la prescription médicale ». Cette position ne fait toutefois pas l'unanimité au sein de l'association qui plaide pour « une responsabilité collective et partagée entre l’ensemble des acteurs de santé pour organiser un accès aux soins de proximité » ainsi que pour « une permanence des soins » sur l’ensemble du territoire.
À noter que les députés ont rejeté l’idée du député macroniste Jean-François Rousset, que « l’association départementale des maires [soit] consultée en amont de la définition des zonages », et ce bien que les maires soient « en première ligne ».
Dérogations et plan du gouvernement
Alors que le texte des députés doit désormais poursuivre sa navette au Sénat (pas avant l'automne vraisemblablement), c’est au tour des sénateurs d’examiner le leur depuis hier. Une proposition de loi du sénateur LR Philippe Mouiller qui propose, elle aussi, de « conditionner l'installation des médecins libéraux à une autorisation préalable », tout en ayant l’appui du gouvernement
Quelle différence alors avec le texte transpartisan de l’Assemblée ? Le texte de la droite sénatoriale propose, en fait, que l’installation des médecins généralistes exerçant « en zone sur-dense » soit conditionnée à « un engagement d'exercice à temps partiel en zone sous-dense », là où il y a un déficit de soignants. Et, pour les spécialistes, l’autorisation ne serait possible que lors de « la cessation concomitante d'activité d'un médecin de la même spécialité exerçant dans la même zone ». Concrètement, l'installation dans un territoire bien pourvu en praticiens serait conditionnée à un départ dans la même spécialité et sur le même territoire. Mais, là aussi, une dérogation serait possible si le spécialiste s'engage à exercer en plus, à temps partiel, dans une zone où l’accès aux soins est jugé déficitaire. Une autre dérogation serait possible, « à titre exceptionnel et sur décision motivée du directeur général de l'agence régionale de santé », lorsque l'installation est « nécessaire pour maintenir l'accès aux soins dans le territoire ».
Plus conforme aux attentes de l’exécutif et tombant à point nommé, ce texte pourrait permettre au gouvernement d’y intégrer son récent « pacte » de lutte contre les déserts médicaux. Dans cette perspective, il lui a notamment appliqué la procédure accélérée afin de réduire la durée de son parcours législatif.
Pour mémoire, François Bayrou a proposé d’imposer aux médecins jusqu’à deux jours par mois de temps de consultation dans les zones prioritaires du territoire. Une sorte de « compromis », « un principe de solidarité », selon les mots du Premier ministre qui refuse toute coercition. Cette solidarité obligatoire se mettrait d’abord en place pour aider les territoires les plus prioritaires identifiés par les ARS, en lien avec les préfets et les élus. Ensuite, progressivement, cette mission serait étendue à l’ensemble des zones sous-denses et non plus uniquement à ces zones rouges.
Le Premier ministre souhaite également former davantage de soignants et a annoncé vouloir ouvrir une première année d'accès aux études de santé dans chaque département (alors qu’aujourd’hui 24 départements n'ont pas d’accès aux études de santé). Le gouvernement souhaite aussi mettre en œuvre la 4e année d’internat de médecine générale dès le 2 novembre 2026 avec une valorisation très forte pour la réalisation des stages en zone très sous-dense et rendre obligatoire des stages en dehors des grandes villes et des CHU dès la rentrée 2026.
On peut également rappeler que les sénateurs prévoient également de « donner la possibilité aux départements de mener une mission d'évaluation des besoins de santé sur le territoire » et d’inscrire « dans les organes de pilotage et de définition de la politique de santé un comité de pilotage comprenant les principaux acteurs de l'offre de soins et des représentants des collectivités locales ». Le but : proposer « des actions de déclinaison territoriale de la politique de santé permettant la prise en compte des besoins spécifiques à certains territoires ».
Du côté de l’Assemblée, les députés ont adopté la suppression de la majoration des tarifs à l’encontre des quelque 6 millions de patients qui ne trouvent pas de médecin traitant, une disposition visant à assurer une formation a minima de première année en études de médecine dans chaque département, mais aussi le rétablissement l’obligation de permanence des soins.
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Mayotte
La loi durcissant le droit du sol à Mayotte promulguée, avec une petite réserve du Conseil constitutionnel
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Adoptée définitivement le 8 avril, la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte a été publiée ce matin au Journal officiel, après que le Conseil constitutionnel l'a validée, à une réserve près.Â
La proposition de loi LR de Philippe Gosselin sur le droit du sol à Mayotte a été déposée début décembre 2024 et adoptée cinq mois plus tard, après de très âpres débats entre des parlementaires aux idées diamétralement opposées en la matière, allant de ceux qui souhaitent la suppression pure et simple de ce droit à Mayotte jusqu’à ceux qui souhaitent, à l’inverse, revenir sur les dispositions déjà adoptées en 2018.
Durcissement du droit du sol
La proposition initiale visait à durcir les conditions existant depuis 2018, qui sont dérogatoires au droit commun : depuis cette date en effet, un enfant né de parents étrangers à Mayotte ne peut prétendre à la nationalité française à ses 18 ans que si l’un de ses parents résidait déjà en France au moment de la naissance, de façon régulière et depuis au moins trois mois. Cette condition n’existe pas dans le reste du territoire français, où un enfant né en France de parents étrangers et nés à l’étranger acquiert automatiquement la nationale française à 18 ans, dès lors qu’il a résidé dans le pays au moins 5 ans depuis ses 11 ans.
Philippe Gosselin a proposé deux modifications aux dispositions relatives à Mayotte : d’une part, que non pas un mais les deux parents résident en France au moment de la naissance de l’enfant ; et d’autre part, qu’ils y résident depuis « au moins un an » et non trois mois.
À l’issue de la navette parlementaire, après bien des tergiversations (il a été un moment acté que le délai de résidence serait porté à trois ans), ces deux dispositions ont été maintenues en l’état. Il a simplement été ajouté que ces dispositions (résidence des deux parents) ne sont pas applicables « lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent ».
Une autre disposition a été ajoutée au texte initial : l’obligation pour les parents de présenter à l’officier d’état civil, non plus de simples « justificatifs » mais « un titre de séjour (…) accompagné d’un passeport biométrique en cours de validité et comportant une photographie permettant l'identification du titulaire ».
Principe fondamental ?
C’est cette dernière disposition qui a fait tiquer le Conseil constitutionnel, comme elle avait fait tiquer de nombreux parlementaires, dans la mesure où de nombreux pays ne dispensent pas de passeports biométriques. Les Sages n’ont pas censuré cet article de la nouvelle loi, mais émis une réserve d’interprétation : il n’est pas possible « d’exiger la production d'un tel document pour les ressortissants de pays ne délivrant pas de passeport biométrique ». Dans ce cas, l’intéressé pourra donc produire « un autre titre d’identité ».
Sur le fond, les Sages n’ont pas suivi les députés et sénateurs de gauche qui l’avaient saisi en lui demandant de reconnaître le caractère inconstitutionnel de ce texte.
Ces parlementaires demandaient, d’une part, que soit reconnu comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République » le fait que « toute personne née sur le territoire français (ait) le droit d’accéder à la nationalité française ». Rappelons en effet que, contrairement à une idée reçue, le droit du sol n’est pas inscrit dans la Constitution. Les « principes fondamentaux reconnus par la loi de la République », en droit, sont des principes ne figurant pas dans la Constitution mais de valeur constitutionnelle, sur décision du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Par exemple, la liberté d’association, les droits de la défense, la liberté de conscience ou la justice pénale des mineurs font partie de ces « principes fondamentaux ».
D’autre part, les requérants ont demandé aux Sages de reconnaître que ce texte instaure « une rupture d’égalité » entre les enfants nés à Mayotte et nés ailleurs sur le territoire, instaurerait « une discrimination » et « méconnaîtrait ainsi les principes d'indivisibilité de la République et d'égalité devant la loi ».
Quitus du Conseil constitutionnel
Sur tous ces points, le Conseil constitutionnel n’a pas donné raison aux requérants.
Premièrement, les Sages ont décidé que le droit du sol ne peut être élevé au rang de « principe fondamental ». Les lois de 1889 et 1927 qui l’ont institué ont été adoptées, rappellent-ils, « pour répondre notamment aux exigences de la conscription ». Elles ne « sauraient donc avoir donné naissance à un principe fondamental ».
Sur la question de l’indivisibilité de la République et du principe d’égalité devant la loi, les Sages rappellent un principe maintes fois répété dans des cas similaires : « Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ».
Or, comme l’avait déjà décidé le Conseil constitutionnel en 2018, lors de la première restriction au droit du sol à Mayotte, la collectivité de Mayotte est soumise à des conditions particulières, étant « soumise à des flux migratoires très importants » et accueillant sur son sol « beaucoup (de personnes) en situation irrégulière ». Or, l’article 73 de la Constitution, relatif aux départements et régions d’outre-mer, dispose que dans ces territoires, « les lois et règlements (…) peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières ». La très forte immigration à Mayotte est bien, jugent les Sages, une « contrainte particulière » qui justifie une « adaptation » de la loi sur le droit du sol.
Le Conseil constitutionnel conclut donc : « Dès lors, en soumettant à des conditions plus restrictives, sur le territoire de Mayotte, l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d'être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité ». Elles ne portent « pas atteinte au caractère indivisible de la République ».
Ce quitus des Sages a permis la promulgation immédiate de la loi, et ces dispositions entreront en vigueur dès demain.
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Handicap
École inclusive : les pôles d'appui à la scolarité en passe d'être généralisés
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Les députés ont adopté en première lecture à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des élèves en situation de handicap. Par le biais d'un amendement, le gouvernement a introduit dans ce texte la création de pôles d'appui à la scolarité (PAS) dans tous les départements d'ici 2027.
Le 5 mai dernier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi déposée en octobre dernier à l’Assemblée nationale par la députée macroniste Julie Delpech, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. « Ce texte vise à renforcer le parcours inclusif des enfants en situation de handicap et, plus largement, de tous les enfants à besoins éducatifs particuliers, a-t-elle détaillé en séance. Si le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés progresse incontestablement, c’est aussi un défi permanent, car, derrière ces chiffres, il y a des réalités de terrain complexes et parfois douloureuses. »
Ainsi, cette proposition de loi vise à instaurer la généralisation du livret de parcours inclusif (LPI), la création d’un Observatoire national de la scolarisation et de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap et l’ouverture de la formation initiale des AESH aux enseignants volontaires. Une autre mesure importante, concernant les pôles d’appui à la scolarité, a également été introduite dans ce texte.
Le gouvernement saisit la balle au bond
C’est par le biais d’un amendement rectificatif que le gouvernement a donné à ce texte une tout autre dimension. « Nous proposons d’inscrire dans le Code de l’éducation les pôles d’appui à la scolarité qui font l’objet d’une préfiguration depuis la rentrée de 2024 », peut-on lire dans l’exposé de cet amendement adopté.
Rappelons qu'une expérimentation de ces pôles d’appui à la scolarité est menée dans les départements de l’Aisne, de la Côte-d’Or, de l’Eure-et-Loir et du Var depuis le 1er septembre 2024. Leur objectif est d’apporter une réponse de premier niveau face aux difficultés scolaires que peuvent rencontrer certains élèves aux besoins spécifiques. Ces pôles d’appui à la scolarité permettent de mettre en place des aménagements pédagogiques et éducatifs ; de mettre à disposition un matériel pédagogique adapté aux besoins de l’élève ; de fournir un soutien ou une prise en charge spécifique par des professionnels de l’éducation nationale et/ou du secteur médico-social comme des AESH.
Cette réforme annoncée en avril 2023 est en fait une transformation progressive des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) en pôles d’appui à la scolarité. Cependant, le gouvernement semble avoir du mal à la sanctuariser. En effet, une mesure qui devait permettre la création de Pôles d'appui à la scolarité (PAS) avait été inscrite dans le budget 2024 puis censurée par le Conseil constitutionnel qui l’a considérée comme un cavalier législatif (c’est-à-dire qu’elle ne relevait pas de lois de finances). Une circulaire avait alors été publiée en juillet détaillant les contours de l'expérimentation (lire Maire info du 5 juillet).
Reste que, pour être généralisée, cette évolution que constitue les PAS doit passer par la loi. L'Igas (inspection générale des affaires sociales) indiquait justement dans un rapport daté de 2023 que « la mise en place des PAS (..) suppose une évolution législative ». D’autant que le gouvernement se montre ambitieux sur le sujet, puisqu’il a été fixé un objectif de 3 000 PAS d’ici 2027.
Ainsi, le gouvernement a saisi la balle au bond en amendant ce texte. Celui-ci ayant été adopté de justesse par les députés, l’article 3 bis B acte la création des pôles d'appui à la scolarité dans chaque département.
Une partie loin d’être gagnée
Si cette mesure du texte demeure durant toute la navette législative – laquelle bénéficie d’une procédure accélérée – le PAS deviendrait « l’organe opérationnel de coordination pour l’organisation de la réponse aux difficultés d’un élève : adaptation pédagogique, matériel adapté, aide humaine, ou mobilisation de professionnels médico-sociaux. »
Dans l’exposé des motifs de cet amendement, le gouvernement estime que l’expérimentation menée jusqu’ici est concluante : « les PAS sont unanimement salués par les acteurs de terrain », rapporte le gouvernement « plus de 2 800 enfants ont déjà bénéficié d’un accompagnement dans les premiers mois, avec des délais de réponse remarquablement courts (…) ».
Le gouvernement présente même à cette occasion un bref retour d'expérience de chaque département : « Dans l’Aisne, la stratégie déconcentrée permet l’implication locale et le développement d’une culture commune entre professionnels » ; « dans le Var, l’organisation centralisée facilite le suivi des données et la cohérence du pilotage » ; « en Côte-d’Or, le remplacement des PIAL par le PAS départemental a permis une coordination renforcée et une meilleure mobilisation des ressources » et « en Eure-et-Loir, malgré l’absence initiale de cadre réglementaire, les dynamiques locales ont été porteuses, et un pilotage tripartite (État/ARS/Rectorat) s’est structuré efficacement. »
Un article 3 ter a été introduit afin que le gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant l’impact du passage des pôles inclusifs pour l’accompagnement localisés aux pôles d’appui à la scolarité. Jusqu’ici aucune étude d’impact n’a été présentée sur ce nouveau dispositif.
Des critiques perdurent cependant sur ce dispositif. Certains parlementaires, à l’instar de la députée LFI Murielle Lepvraud, estiment qu’ « en déposant un amendement qui inscrit les PAS dans le Code de l’éducation, sans étude d'impact et pour des raisons comptables, l'exécutif veut contourner les notifications MDPH et réduire le nombre d’élèves à accompagner. » De nombreux syndicats s’opposent également à la généralisation des PAS. SUD-Éducation Gard-Lozère dénonce par exemple une « politique de mutualisation des moyens qui repose sur une volonté de l’État de faire des économies au détriment des publics les plus fragiles » et la Fnec FP-FO estime que la mise en place des PAS est une manière de « contourner les notifications de la MDPH » et de « "coacher" les enseignants au lieu de prendre en charge les élèves à besoins particuliers ».
D’autres critiques s’élèvent sur la proposition de loi en général, qui passerait à côté des problèmes essentiels comme celui de la précarisation du métier des AESH par exemple. Nombreux sont les syndicats qui revendiquent la création d’un statut de fonctionnaire. Guislaine David, secrétaire générale du syndicat SNUipp-FSU, estime dans les colonnes du Monde que le texte de loi adopté début mai est « déconnecté de la réalité ».
Pour sa part, l’AMF s’ interroge sur le risque de confusion des rôles de l’Éducation nationale et de la MDPH dans la mise en place des PAS, ainsi que sur les incidences organisationnelles et financières pour les communes. Elle a obtenu, dans le protocole d’accord commun signé le 8 avril 2025 avec Élisabeth Borne, que les maires soient bien associés au déploiement des PAS (lire Maire info du 6 mai). Plus globalement, le protocole prévoit que les mesures engagées par le ministère pour faciliter l’accès des enfants en situation de handicap à l’école fassent l’objet d’une concertation préalable avec les maires afin de s’assurer des modalités de mise en œuvre.
L’amendement introduisant cette généralisation des PAS n’a d’ailleurs pas fait l’unanimité puisqu’il a été adopté à deux voix près. Reste à voir quel avenir connaîtra ce texte qui a d’ores et déjà été envoyé au Sénat. La procédure accélérée ayant été engagée, son adoption définitive pourrait intervenir avant la rentrée prochaine.
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Environnement
En France, la consommation foncière en 2023 est la plus faible enregistrée depuis quinze ans
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La consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) en 2023 est la plus faible enregistrée en France depuis 2009, selon les données du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) publiées mardi.
En 2023, 19 263 hectares d'espaces naturels ont été consommés, en baisse de 4,8 % par rapport à 2022, soit la plus faible consommation enregistrée depuis la première mesure réalisée en 2009.
Depuis 2019, la tendance est à une « stabilisation du rythme » autour de 20 000 ha, mais ce rythme « demeure élevé », observe l'établissement public, qui publie chaque année un décompte pour le ministère de l'Aménagement du territoire en utilisant des données issues de la taxe foncière.
Entre 2011 et 2023, plus de 297 000 ha ont ainsi été consommés, ce qui correspond à la surface de l'île de La Réunion. En dix ans, l'efficacité de la construction a progressé de 30 %, « un hectare consommé en 2021 permettant de construire 2 435 m² de bâti en 2021, contre 1 950 m² en 2011 », résultat des « efforts croissants de recyclage et de densification urbaine », souligne le Cerema. Or 64 % des espaces naturels consommés depuis 2011 l'ont été pour de l'habitat, 23 % pour des activités économiques et 7 % pour des infrastructures.
À noter que 60,7 % de cette consommation d'espaces se situe dans des petites communes et dans des communes où l'offre de logements est suffisante. Mises bout à bout, « des petites opérations de 2 à 3 ha ont ainsi contribué fortement à la consommation nationale », observent les auteurs. Les 38 % restants correspondent à la deuxième couronne des villes et aux littoraux.
La bétonisation des sols est le principal facteur de perte de biodiversité. Elle contribue au dérèglement climatique et en accélère les effets, les sols naturels ayant un rôle de puits de carbone et de filtration de l'eau.
Loi Climat et résilience
La prise de conscience de l'importance des sols a conduit à l'adoption de la loi « Climat et résilience » en 2021, qui a fixé comme objectif d'atteindre la sobriété foncière en 2050, ou « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN), avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d'espaces naturels (Enaf) d'ici 2031 par rapport à la décennie précédente.
Le Sénat a adopté en mars en première lecture un texte qui assouplit nettement les modalités de la lutte contre l'étalement urbain, suscitant les critiques d'une partie de la gauche et des associations écologistes.
Le texte n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
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Journal Officiel du mardi 13 mai 2025
Lois
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