Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 30 juin 2023
Violences urbaines

Les émeutes s'étendent : les mairies prises pour cibles

Cette nuit du 29 au 30 juin a été pire que la précédente, les émeutes et les violences montant en puissance et touchant de nouvelles communes. Le gouvernement et les maires lancent des appels au calme, pour l'instant sans effet. 

Par Franck Lemarc

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© RATP

Le spectre de novembre 2005, quand le pays avait connu trois semaines de très graves violences urbaines obligeant le gouvernement à décréter l’état d’urgence, plane de nouveau, alors qu’une troisième nuit d’émeutes a eu lieu dans des dizaines – sans doute des centaines – de communes. 

Le gouvernement a pourtant tenté de désamorcer la crise. Outre la décision de la justice d’incarcérer le policier auteur du coup de feu mortel contre le jeune Nahel M., l’exécutif a multiplié les gestes pour faire montre de son empathie : le ministre de la Ville, Olivier Klein, s’est entretenu avec la mère de Nahel pour lui transmettre « les condoléances du gouvernement ». Le chef de l’État lui-même a pris la parole pour dénoncer un geste « inexcusable ». À l’Assemblée nationale, la présidente Yaël Braun-Pivet a fait observer une minute de silence en hommage au jeune homme.

Mais rien n’y a fait : dès le milieu de la soirée, hier, les mêmes événements que la veille ont éclaté aux quatre coins du pays – avec, en plus, des scènes de pillage, comme dans le quartier des Halles, en plein centre de Paris. Les incidents ont d’ailleurs gagné la capitale, où les quartiers populaires – porte de Vanves, Belleville, 19e et 13e arrondissements, se sont embrasés à leur tour cette nuit. 

Des dizaines de mairies détruites

Comme la veille, les émeutiers s’en sont pris aux bâtiments publics – mairies, bibliothèques, commissariats, voire casernes de pompiers. Des commissariats ont été envahis, comme celui de Reims où les émeutiers ont volé des uniformes. Des bâtiments privés ont également été la cible des cocktails Molotov : une banque à Nanterre, un magasin Action à Aubervilliers, un centre d’appel, entièrement ravagé par les flammes, à Roubaix. De nombreux dépôts de bus ont également été pris pour cible, comme celui d’Aubervilliers (93), dont tous les véhicules ont brûlé. 

Dans d’innombrables communes, ce sont encore les mairies et les mairies annexes qui ont été visées. Sur Twitter ce matin, on ne compte plus les messages de maires déplorant l’incendie de leur mairie – malgré le courage personnel de certains maires comme celui de Sannois, Bernard Jamet, que l’on voit sur une vidéo tenter de défendre sa mairie attaquée par des émeutiers et pris à partie physiquement par ceux-ci. Des mairies ont été détruites à Halluins et Maubeuge (Nord), à Montargis (Loiret), à Montmagny, Garges et Sannois (Val-d’Oise), à Fameck (Moselle), à Arcueil (Val-de-Marne), à Clichy-sous-Bois, Drancy, Villetaneuse (Seine-Saint-Denis)… et ce ne sont que les premiers résultats qui apparaissent sur Twitter lorsque l’on tape le mot-clé « mairie ». Partout, ce sont les mêmes images d’incendie et de dévastation, de jeunes qui attaquent les bâtiments municipaux, mettent le feu ou détruisent tout le mobilier à l’intérieur de la mairie…. La facture des dégâts sera faramineuse : le maire de Mons-en-Barœul (Nord), expliquait hier que la destruction de sa mairie représente à elle seule « plusieurs millions d’euros de dégâts ».  

La situation semble, ce matin, hors de contrôle, malgré la mobilisation de quelque 40 000 forces de l’ordre, dont des unités d’élite comme le GIGN, le Raid ou la BRI, et l’interpellation, selon les derniers chiffres, de plus de 660 émeutiers. Selon le ministère de l’Intérieur, 249 policiers et gendarmes ont été blessés cette nuit.

État et associations d’élus « font bloc » 

L’AMF a naturellement réagi, hier, avant même cette nouvelle nuit de violences. Dans un communiqué publié dans l’après-midi, l’association apporte « son soutien aux communes et aux habitants confrontés à la violence ». « Ce ne sont pas que des symboles qui sont attaqués, ce sont des outils de travail et des agents au service de la population », souligne David Lisnard, le président de l’AMF. L’association « invite les maires à relayer dans leur commune un appel au calme, au dialogue et à l’arrêt des violences. Elle appelle nos concitoyens à la responsabilité et au respect des lois de la République qui permettent l’expression libre des revendications. La violence n’est pas la solution. Elle est même le problème. Tout doit être fait pour garantir l’ordre républicain et la justice. Les moyens de sécurité adaptés au degré de violence doivent être mobilisés et la justice doit poursuivre son travail pour établir la responsabilité de chacun. » 

Hier soir, au sortir d’une réunion entre Élisabeth Borne et les représentants des associations d’élus, initialement consacrée à l’agenda territorial, une déclaration a été improvisée sur les marches de Matignon. La Première ministre a expliqué que gouvernement et associations d’élus avaient décidé de rédiger « une déclaration commune », marquant l’unité de l’exécutif et des collectivités sur cette crise. David Lisnard, président de l’AMF, a ensuite lu cette déclaration, qui commence par affirmer que la mort du jeune Nahel « soulève une émotion légitime ». « Gouvernement, élus et habitants, nous partageons la même exigence de vérité. (…) Nous condamnons fermement les violences qui ont éclaté. Ces actes sont inadmissibles et inacceptables. (…) [Les émeutiers] détruisent leur propre quartier et ceux qui y vivent. Nous disons aux habitants que les collectivités et l’État sont à leur côté. Ensemble, nous formons la République. (…) Dans de tels moments nous devons faire bloc et construire des solutions communes. Nous y sommes résolus. » 

Le gouvernement se refuse, pour l’instant, à prendre des mesures d’exception, comme le réclament Les Républicains : « Je demande le déclenchement sans délai de l’état d’urgence partout où des incidents ont éclaté », a demandé hier le président de LR, Éric Ciotti. « Rien n’excuse la loi des bandes et leur dictature de la peur. Emmanuel Macron doit le comprendre. Comme Jacques Chirac en 2005, il doit proclamer l’état d’urgence », a également déclaré le chef de file des députés LR, Olivier Marleix. Le gouvernement, de son côté, estimait hier encore qu’une telle décision était prématurée. Mais on verra ce qui sortira de la « cellule de crise »  convoquée à 13 h, qui sera présidée par Emmanuel Macron lui-même.

L’exécutif a également décidé, à la surprise générale, de maintenir le Comité interministériel des villes (CIV), prévu de longue date, où doivent être présentées les mesures du plan Quartier 2030. Le déroulé du CIV a simplement été « adapté », indique Matignon, « dans le contexte de tensions que connaissent certaines villes », et la réunion, initialement prévue à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), a été rapatriée à Matignon. 

La question du couvre-feu

Dans ce contexte extrêmement tendu ressurgit fatalement le débat sur le couvre-feu. Plusieurs maires (Clamart, Meudon, Neuilly-sur-Marne, Savigny-le-Temple) l’ont imposé la nuit dernière, et des voix politiques se font entendre pour que de telles décisions se multiplient. Les maires peuvent, rappelons-le, prendre des arrêtés de couvre-feu, en vertu de leur pouvoir de police générale, en respectant un certain nombre de conditions et toujours après avoir pris attache avec le préfet (lire Maire info du 27 mars 2020).

Mais la mesure fait débat. Interrogé ce matin dans les médias, Stéphane Baudet, maire d’Évry-Courcouronnes et président de l’Association des maires d’Île-de-France, se montrait plus que réservé sur le sujet, estimant qu’un couvre-feu « n’empêchera pas les jeunes de sortir », faute de moyens policiers pour faire respecter la position, et appelait à la prudence.

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