Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 5 septembre 2022
Fonction publique territoriale

1607 heures dans la fonction publique territoriale : retour sur la décision du Conseil constitutionnel

À la fin du mois de juillet, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par plusieurs communes, concernant l'obligation pour les communes d'imposer les 1607 heures annuelles à tous les agents. Verdict : la mesure est jugée conforme à la Constitution. Mais les Sages ont tout de même ouvert une porte de sortie. 

Par Franck Lemarc

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Imposer les 1607 heures dans la fonction publique territoriale ne contrevient pas à la libre administration des collectivités territoriales, et relève bien d’un objectif « d’intérêt général ». C’est ce qu’a décidé, le 29 juillet, le Conseil constitutionnel, à la grande déception des communes qui avaient tenté de faire annuler cette réforme. 

Libre administration

C’est le 19 juillet que les communes concernées (situées dans le Val-de-Marne) ont plaidé leur dossier devant les Sages. C’était l’aboutissement d’un long combat entamé en 2019, lorsque la loi de transformation de la fonction publique, et en particulier son article 47, ont imposé à toutes les communes et tous les EPCI de faire appliquer les 1607 heures annuelles de travail à l’ensemble de leurs agents, avec prise d’effet au plus tard au 1er janvier 2022. 

Plusieurs communes ont tenté, par tous les moyens, de retarder l’échéance, ce qui a conduit les préfets à les attaquer devant les tribunaux administratifs. Outre la Ville de Paris, plusieurs communes de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne ont été dans ce cas. Elles ont mis en avant le principe de libre administration des collectivités locales pour « ne pas se laisser dicter le rythme de travail de (leurs) agents », selon les mots du maire de Montreuil (93), Patrick Bessac. Cette question de la conformité de l’article 47 de la loi au principe de libre administration a été posée devant le Conseil d’État, qui l’a jugée suffisamment sérieuse pour la transmettre au Conseil constitutionnel. 

Devant les Sages, le 19 juillet, les avocats des communes concernées ont mis en avant « les difficultés de recrutement »  des communes, au regard des faibles rémunérations, et le fait que « le seul levier »  sur lequel elles peuvent jouer est l’organisation du temps de travail. Ils ont également rappelé que le seul motif permettant à l’État de déroger au principe de libre administration des collectivités territoriales est « l’objectif d’intérêt général ». « En quoi le fait d’imposer les 1 607 h dans la fonction publique territoriale répond-il à un objectif d’intérêt général ? », ont demandé les avocats – qui ont réfuté l’argument gouvernemental selon lequel cette « harmonisation »  permettrait de réaliser des économies. Ils ont plaidé pour le principe de « subsidiarité », arguant que les communes sont les mieux placées pour décider de la manière dont le travail de leurs agents doit être organisé. 

Interstices

Ces arguments n’ont donc pas convaincu les Sages, malgré la présence parmi eux de plusieurs anciens maires – Alain Juppé, Jacqueline Gourault et le président du Conseil, Laurent Fabius lui-même. 

La décision rendue le 29 juillet a entièrement repris l’argumentaire du gouvernement. L’article 47 de la loi, détaillent les Sages, vise à « contribuer à l'harmonisation de la durée du temps de travail au sein de la fonction publique territoriale ainsi qu'avec la fonction publique de l'État afin de réduire les inégalités entre les agents et faciliter leur mobilité ». Cet objectif est bien « d’intérêt général ». Il ne peut donc être question ici de méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales. L’article 47 est donc « conforme à la Constitution ». 

Mais les Sages ont toutefois ouvert un petit interstice dans lequel les maires concernés entendent bien se glisser. Dans la décision du 29 juillet, il est également précisé que « les collectivités territoriales qui avaient maintenu des régimes dérogatoires demeurent libres, comme les autres collectivités, de définir des régimes de travail spécifiques pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions de leurs agents ». De portée très générale, cette phrase interroge : il est donc à la fois obligatoire d’imposer les 1607 h à tous les agents mais, en même temps, de « définir des régimes de travail spécifiques » ? On le savait depuis que cette notion de « sujétion spécifique »  est apparue dans le corpus réglementaire, mais de nombreux maires se posent aujourd’hui la question de savoir ce que recouvre cette notion, aujourd’hui ni encadrée ni précisément définie.

Les maires des communes qui étaient allés devant le Conseil constitutionnel ont en tout cas saisi la balle au bond, en publiant dans la foulée de cette décision un communiqué intitulé « Le combat continue ». Si les maires des sept communes signataires (1) regrettent évidemment que les Sages ne soient pas allés jusqu’à déclarer contraire à la Constitution l’article 47, ils se disent « satisfaits »  des « marges d’appréciations et d’interprétations laissées aux autorités administratives et judiciaires pour appliquer les 1607 heures ». Les maires se disent donc décidés, désormais, à « travailler à définir les sujétions légitimes pour l’organisation du temps de travail des agents : contraintes physiques, temporelles, dangerosité, charge de travail… Les sujétions doivent être prises en compte pour permettre aux agents de travailler dans de bonnes conditions au service de tous ». 

Il n’est pas certain, donc, que cette décision du Conseil constitutionnel marque la fin de ce long feuilleton, vu le caractère ambigu de la phrase sur les « régimes spécifiques », qui devrait ouvrir la porte à de nouveaux contentieux entre les collectivités et l’État.  La décision va probablement relancer le débat sur les « sujétions spécifiques », qui font déjà l’objet de débats entre les maires et certaines préfectures. 

(1)   Bobigny, Bonneuil, Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine, Montreuil, Stains et Vitry-sur-Seine.

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